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C.E. 30 mars 1916, COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ÉCLAIRA-GE DE BORDEAUX, Rec. 125, concl. Chardenet

Publié le 20/09/2022

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« CONTRATS ADMINISTRATIFS IMPRÉVISION C.E.

30 mars 1916, COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ÉCLAIRA-GE DE BORDEAUX, Rec.

125, concl.

Chardenet " (S.

1916.3.17, concl.

Chardenet, note Hauriou; D.

1916.3.25, concl.

Chardenet; R.D..P.

1916.206 et 388, concl.

Chardenet, note Jèze) Sur les fins de non-recevoir opposées par la ville de Bordeaux : Cons.

que les conclusions de la Compagnie requérante tendaient deyant le conseil de préfecture, comme elles tendent devant le Conseil d'Etat, à faire condamner la ville de Bordea�x à supporter l'aggrava­ tion des charges résultant de la hausse du prix du charbon; que, dès lors, s'agissant d'une difficulté relative à l'exécution du contrat, c'est à bon droit que par application de la loi du 28 pluv.

an 8, la Compagnie requérante a porté ces conclusions en première instance devant le conseil de préfecture et en appel devant le Conseil d'État; Au fond : Cons.

qu'en principe le contrat de concession règle d'une façon définitive, jusqu'à son expiration, les obligations respectives du concessionnaire et du concédant; que le concessionnaire est tenu d'exécu­ ter le service prévu dans les conditions précisées au traité et se trouve rémunéré par la perception sur les usagers des taxes qui y sont stipulées; que la variation du prix des matières premières à raison des circonstances économiques constitue un aléa du marché qui peut, suivant le cas, être favorable ou défavorable au concessionnaire et demeure à ses risques et périls, chaque partie étant réputée avoir tenu compte de cet aléa dqns les calculs et prévisions qu'elle a faits avant de s'engager; Mais cons.

que, par suite de l'occupation par l'ennemi de la plus grande partie des régions productrices de charbon dans l'Europe continen­ tale, de la difficulté de plus en plus considérable des transports par mer à raison tant de la réquisition des navires que du caractère et de la durée· de la gue"e maritime, la hausse survenue au cours de la gue"e actuelle, dans le prix du charbon, qui est la matière première de la fabrication dù gaz, s'est trouvée atteindre une proportion telle que non seulement elle a un caractère exceptionnel dans le sens habituellement donné à ce terme, mais qu'elle entraîne dans le coût de la fabrication du gaz une augmenta­ tion qui, dans une mesure déjouant tous les.calculs, dépasse certainement lt.s limites extrêmes des majorations ayant pu être envisagées par les parties lors de la passation du contrat de concession; que, par suite du concours des circonstances ci-dessus indiquées, l'économie du contrat se trouve absolument bouleversée; que la Compagnie est donc fondée à .soutenir qu'elle ne peut être tenue d'assurer, aux seules conditions prévues à l'origine, le fonctionnement du service tant que durera la situation anormale ci-dessus rappelée; Cons.

qu'il résulte de ce qui précède que, si c'est à tort que la 30 MARS 1916, GAZ DE BORDEAUX 133 Compagnie prétend ne pouvoir être tenue de supporter -aucune augmentation du prix du charbon au-delà de 28 F la tonne, ce chiffre ayant, d'après elle, été envisagé comme correspondant au prix maximum du gaz prévu au marché, il serait tout à fait excessif d'admettre qu'il y a lieu à l'application pure et simple du cahier des charges comme si l'on se trouvait en présence d'un aléa ordinaire de l'entreprise; 'qu'il importe, au contraire, de rechercher, pour mettre fin à des difficultés temporaires, une solution qui tient compte tout à la fois de l'intérêt général, lequel exige la continuation du service par la Compagnie à l'aide de tous ses moyens de production, et des conditions spéciales qui ne permettent pas au contrat de recevoir son application normale; qu'à cet effet, il convient de décider, d'une part, que -la Compagnie est tenue d'assurer le service concédé et, d'autre part, qu'elle doit supporter seulement, au cours de cette période transitoire, la part des conséquences onéreuses de la situation de force majeure ci-dessus rappelée que l'interprétation raisonnable du contrat permet de laisser à sa charge; qu'il y a lieu, en conséquence, en annulant l'arrêté attaqué, de renvoyer les parties devant le conseil de préfecture auquel il appartiendra, si elles ne parviennent pas à se mettre d'accord sur les conditions spéciales dans lesquelles la Compagnie pourra continuer le service de déterminer, en tenant compte de tous les faits de la cause, le montant de l'indemnité à laquelle la Compagnie a droit à raison des circonstances extracontractuelles dans lesquelles elle aura à assurer le service pendant la période envisagée; .._ (Annulation; renvoi de la Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux et de la ville de Bordeaux devant le conseil de préfecture pour être procédé, si elles ne s'entendent pas amiablement sur les conditions spéciales auxquelles la Compagnie continuera son service, à la fixation de l'indemnité à laquelle la Compagnie a droit à raison des circonstances extracontractuelles dans lesquelles elle aura dû assurer l~ service concédé). OBSERVATIONS I.

- La Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux avait actionné la ville devant le conseil de préfecture de la Gironde afin de faire juger que le prix du gaz fü~é par le contrat de concession devait être relevé, et pour obtenir une indemnité réparant la perte que lui avait fait subir la hausse du prix du charbon.

La tonne de charbon était, en effet, passée de 35 F en janvier 1915 à 117 Fen mars 1916 du fait des circonstances de la _guerre, rappelées avec précision dans la décision du Conseil 'd'Etat (occupation par l'ennemi des grandes régions productrices de charbon sur le continent et difficultés des transports maritimes). Après avoir rappelé les caractères essentiels du contrat de concession - contrat qui charge un entrepreneur de la construction d'un ouvrage public ou de la gestion d'un service public, et contrat de longue durée - le commissaire du gouvernement Chardenet rappela les nombreuses décisions rendues en matière de travaux publics lorsque les entrepreneurs 134 LES GRANDS AR!œTS ADMINISTRATIFS ··avaient rencontré des terrains d'une nature tout à fait imprévue, et notamment, l'arrêt du 3 févr.

1905, Ville de Paris c.

Michon (Rec.

105 : en l'espèce, l'entrepreneur ayant rencontré des nappes d'eau exceptionnellement importantes et l'administration ayant dû •,prescrire alors la pose de plus de douze kilomètres de drains, l'entrepreneur était fondé à réclamer une indemnité pour l'aggravation des sujétions initialement prévues).

Le commissaire du gouvernement proposa d'appliquer les mêmes principes dans le cas du concessionnaire victime d'une hausse exceptionnelle et imprévisible des prix : « On se trouve en présence de charges dues à des événements que les parties contractantes ne pouvaient prévoir, et qui sont telles que, temporairement, le contrat ne peut plus être exécuté dans les conditions où iL est intervenu.

Le service public n'en doit pas moins être assuré - l'intérêt général l'exige - et le contrat doit subsister.

La puissance publique, le concédant, aura à supporter les charges que nécessite le fonctionnement du service public, et qui excèdent le maximum de ce que l'on pouvait admettre comme prévision possible et raisonnable par une saine interprétation du contrat.

» , • L'arrêt rappelle d'abord qu'en principe le contrat de concession règle de manière définitive les obligations des parties jusqu'à son expiration et que la variation du prix des matières premières n'est que l'un des aléas du contrat.

Mais, confrontant 1( ensuite la hausse prévisible du charbon·_ matière première de la fabrication du gaz - au moment de la signature du contrat (23-28 F) avec la hausse réelle (23-116 F), la Haute assemblée constate que l'augmentation a déjoué les prévisions des parties par son ampleur et qu'il n'y a pas lieu d'appliquer purement et simplement le cahier des charges comme si l'aléa était ordinaire.

EHe donne alors une solution tenant compte « à la fois de l'intérêt général, lequel exige la continuation du service par la Compagnie à l'aide de tous ses moyens de production, et des conditions spéciales qui ne permettent pas au contrat de recevoir son applicatio,n normale » : la Compagnie devra assurer le service, mais ne supportera que la part de déficit que l'interprétation raisonnable du contrat permet de laisser à sa charge : la ville lui versera une indemnité d'imprévision couvrant le reste { du déficit.

A défaut d'accord entre les parties, l'indemnité sera ~ fixée par le juge. J 1 • f l II.

- La concession est, par excellence, le domaine d'application de la théorie,de l'imprévision.

Cette théorie a cependant une portée générale, et vaut également pour les marchés de transports (C.E.

21 juill.

1917, Compagnie générale des automobiles postales, Rec.

586) et de travaux publics (C.

E.

30 oct. 1925, Mas-Gayet, Rec.

836).

Elle a également été appliquée aux marchés de fournitures (C.E.

8 févr.

191~, Gaz de Poissy, Rec. ------------- - 30 MARS 1916, GAZ DE BORDEAUX 1 135 122, concl.

Corneille), mais les conditions de l'imprévision sont plus rarement réunies pour cette catégorie de marchés, dont les délais d'exécution sont généralement courts. A.

- Conditions d'ouverture du droit à indemnité La théorie de l'imprévision est fondée sur la nécessité d'assu- ii rer la continuité du service public; la jurisprudence en avait tiré ! la conséquence qu'elle n'est pas applicable à un contrat résilié j (C.E.

28 nov.

1952, Société coopérative des ouvriers et techniciens du bâtiment, Rec.

542).

Cette solution rigoureuse, qui n'avait pas étfo toujours retenue par le juge, a été abandonnée; le Conseil d'Etat a admis, en effet, que l'indemnité d'imprévision peut être demandée même après l'expiration de la concession (C.E.' 12 mars 1976, Département des Hautes-Pyrénées c. Société Sofilia, Rec.

153; A.

J.

1976.552, concl.

Labetoulle). Quelle que soit la date de la demande d'indemnité, la 1 jurisprudence de l'imprévision s'applique lorsque le contrat est, 1 en cours d'exécution, bouleversé par un événement exception- ! nel qui n'est pas le fait des parties contractantes et ne pouvait raisonnablement pas entrer dans leurs prévisions lors de la signature du contrat. L'indemnité d'imprévision n'est due par le concédant que si l'exécution du contrat provoque un déficit réellement important,· et non un simple manque à gagner.

La notion de déficit important est appréciée par le juge eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause : « ...

En admettant que l'exercice 1936 se soit soldé pour la Compagnie par un déficit de 64 863,33 F, il est établi par les pièces du dossier que cette perte, eu égard notamment au chiffre d'affaires de ladite société, à l'importance de ses réserves et à l'aisance de sa trésorerie, n'a pas entraîné un bouleversement de l'équilibre financier du contrat» (C.E.

8 nov.

1944, Compagnie du chemin de fer d'Enghien, Rec.

283).

Toutefois, la çirconstance que la société ait pu distribuer des dividendes à ses actionnaires n'exclut pas.... »

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