C.E. 28 mars 1919, REGNAULT-DESROZIERS, Rec. 329
Publié le 20/09/2022
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RESPONSABILITÉ - RISQUE
C.E.
28 mars 1919, REGNAULT-DESROZIERS, Rec.
329
(S.
1918-1919.3.25, note Hauriou;
D.
1920.3.1, note Appleton;
R.
D.
P.
1919-239, concl.
Corneille, note Jèze)
Cons.
qu'il résulte de l'instruction que, dès l'année 1915, l'autorité
militaire avait accumulé une grande quantité de grenades dans les
casemates du Fort de la Double-Couronne, situé à proximité des
habitations d'une agglomération importante; qu'elle procédait, en
outre, constamment à la manutention de ces engins dangereux, en vue
d'alimenter rapidement les armées en campagne; que ces opérations
effectuées dans des conditions d'organisation sommaires, sous l'empire
des nécessités militaires, comportaient des risques excédant les limites de
ceux qui résultent normalement du voisinage, et que de tels risques
étaient de nature, en cas d'accident survenu en dehors de tout fait de
.
·guerre, à engager, indépendamment de toute faute, la responsabilité de
l'État;
Cons.
qu'il n'est pas contesté que l'explosion du Fort de la Double
Couronne, survenue le 4 mars 1916, ait été la conséquence des
opérations ci-dessus caractérisées; que, par suite, le requérant est fondé
à soutenir que l'État doit réparer les dommages causés par cet
accident : ...
(Annulation; indemnité accordée).
OBSERVATIONS
1.
- Le 4 mars 1916, une formidable explosion se produisit
au fort de la Double-Couronne, au nord de Saint-Denis, faisant
dans cette ville et dans les agglomérations voisines de nombreu
ses victimes, et provoquant d'importants dégâts matériels :
14 soldats et 19 civils furent tués, 81 personnes furent blessées;
de nombreux immeubles furent ravagés.
C'était un dépôt de
grenades et de bombes incendiaires qui sautait.
L'autorité
militaire avait en effet entassé dans ce fort des milliers d'explo
sifs destinés au front, sans prendre les précautions nécessaires
pour éviter que ce dépôt de munitions improvisé ne constituât
un danger pour le voisinage.
Des recours à fin d'indemnité
ayant été formés à la suite de cet accident, le commissaire du
gouvernement Corneille proposa au Conseil d'État de les
accueillir, en considérant que la responsabilité de l'État était
engagée à raison des fautes commises par l'autorité militaire
dans l'organisation du service.
Le Conseil d'État ne le suivit
pas : s'il reconnut aux requérants droit à indemnité, c'est en
raison du risque anormal de voisinage créé par l'accumulation
d'une grande quantité de grenades à proximité d'une agglomé
ration et la manutention constante de ces engins, dans des
conditions d'organisation sommaire.
Jusqu'alors la théorie des risques anormaux de voisinage
n'avait reçu d'application qu'en matière de responsabilité résul
tant des dommages causés par les travaux publics : les domma
ges permanents résultant pour les biens de la réalisation d'un
travail public ou de la présence d'un ouvrage public et qui
excèdent les inconvénients normaux du voisinage engagent en
effet la responsabilité administrative, dès lors qu'est établi le
lien de causalité entre le travail public et le préjudice (C.E.
31 janv.
1890, Nicot, Rec.
112; - 16 mars 1906, de Ségur,
'Rec.
242).
Mais, jusqu'à l'arrêt Regnault-Desroziers, le Conseil d'État,
dans des cas analogues, appliquait la responsabilité pour faute
(C.E.
10 mai 1912, Ambrosini, Rec.
549; S.
1912.3.161, note
Hauriou : explosion du cuirassé « Iéna »); désormais les victi
mes d'un risque exceptionnel de voisinage allaient recevoir
réparation sans avoir à prouver l'existence d'une faute (C.E.
21 mai 1920, Colas, Rec.
532 : explosion du cuirassé
« Liberté»; - 24 déc.
1926, Walther, Rec.
1140 : dommage
causé à un immeuble lors de la destruction par le feu, en vue
d'enrayer le développement d'une épidémie, d'un immeuble
contaminé; - 16 mars 1945, S.N.C.F., Rec.
54; D.
1946.290,
concl.
Lefas, note Waline; J.
C.
P.
1945.11.2903, note Charlier,
et 21 oct.
1966, Ministre des armées c.
S.N.C.F.
Rec.
557;
D.
1967.164, concl.
Baudouin; J.
C.
P.
1967.11.15198, note
Blaevoet; A.
J.
1967.37, chr.
Lecat et Massot : explosions de
wagons de munitions).
II.
- La notion de risque de voisinage a été étendue aux
dommages (crimes, vols, etc.) causés par les pensionnaires de
certains établissements d'éducation surveillée : les jeunes délin
quants y sont soumis, en effet, en vertu des principes modernes
de rééducation, à un régime libéral, qui leur offre des facilités
particulières d'évasion, et qui crée ainsi pour les voisins un
risque spécial (C.E.
3 févr.
1956, Ministre de la justice c.
Thou
zellier, Rec.
49; D.
1956.597, note Auby; R.
D.
P.
1956.854,
note Waline; R.
P.
D.
A.
1956.51, note Bénoit; J.
C.
P.
1956.11.9608, note Lévy; A.
J.
1956.11.96, chr.
Gazier).
Depuis
lors cette jurisprudence a été infléchie et élargie.
Le Conseil d'État n'invoque plus la notion de « voisinage»,
qui était d'ailleurs difficile à préciser, avec la rapidité des
transports modernes, et se contente de faire état du « risque
spécial pour les tiers» que les méthodes nouvelles comportent;
en revanche, et afin de ne pas étendre à l'infini la responsabi
lité de l'administration en ce domaine, il vérifie s'il existe un
« lien direct de causalité» entre le fonctionnement de l'institu
tion et le préjudice subi (C.E.
24 févr.
1965, Caisse primaire
centrale de sécurité sociale de la région parisienne, et 26 mars
1965, Ministre de la justice c.
compagnie d'assurances La Zurich,
Rec.
127 et 1052; D.
1966.322, note Vincent et Prévault; A.
J.
1965.339, chr.
Mme Puybasset et Puissochet; - 9 mars 1966,
Ministre de la justice c.
Trouillet, Rec.
201; J.
C.
P.
1966.11.1481 l, concl.
Braibant, note....
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- C. E. 13 mars 1953, TEISSIER, Rec. 133
- T. C. 27 mars 1952, Dame DE LA MURETTE, Rec. 626
- T. C. 17 mars 1949, Soc. « HÔTEL DU VIEUX-BEFFROI », Rec. 592 et Soc. « RIVOLI-SÉBASTOPOL», Rec. 594
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