C.E. 28 déc. 1906, SYNDICAT DES PATRONS COIFFEURS DE LIMOGES, Rec. 977, concl. Romieu (S. 1907.3.23, concl. Romieu)
Publié le 20/09/2022
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«
RECOURS POUR EXCÈS DE POUVOIR
INTÉRÊT POUR AGIR
C.E.
28 déc.
1906, SYNDICAT DES PATRONS COIFFEURS
DE LIMOGES, Rec.
977, concl.
Romieu
(S.
1907.3.23, concl.
Romieu)
Sur l'intervention de la chambre syndicale des ouvriers coiffeurs de
Limoges:
Cons.
que le mémoire en intervention a été présenté sur papier non
timbré; que, dès lors, il n'est pas recevable;
Sur la requête du syndicat des patrons-coiffeurs de Limoges :
Cons.
que si, aux termes du dernier paragraphe de l'art.
8 de la loi du
13 juill.
1906, l'autorisation accordée à un établissement doit être
ét�ndue à ceux qui, dàns la même ville, font le même genre d'affaires et
· s'adressent à la même clientèle, l'art.
·2 suppose nécessairement que-la
situation de tout établissement pour lequel l'autorisation est demandée
fait l'objet d'un examen spécial de la part du préfet;
Cons., d'autre part, que s'il appartient aux syndicats professionnels de
prendre en leur nom la défense des intérêts dont ils sont chargés aux
termes de l'art.
3 de la loi du 21 mars 1884, ils ne peuvent intervenir au
nom d'intérêts particuliers sans y être autorisés par un mandat ,spécial;
28
DÉC.
1906,
PATRONS COIFFEURS
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que, par suite, le syndicat requérant ne pouvait adresser de demande au
préfet que comme mandataire de chacun de ses membres pour lesquels
la dérogation était sollicitée;
Cons.
que la demande collective présentée au préfet par le syndicat,
et qui, d'ailleurs, ne contenait d'indication ni du nom des patrons-coiffeurs pour lesquels elle était formée, ni du siège de leurs établissements,
n'était accompagnée d'aucun mandat; que, dans ces conditions, cette
demande n'était pas régulière et que, dès lors, la requête contre l'arrêté
qui a refusé d'.y faire droit doit être rejetée; ...
(Rejet).
OBSERVATIONS
I.
- La loi du 13 juill.
1906 instituant le repos hebdomadaire a donné lieu dès son entrée en application à un abondant
contentieux, dû surtout au pouvoir qu'elle donnait au préfet de
lui apporter des dérogations dans certaines hypothèses.
C'est
ainsi que la chambre syndicale des patrons coiffeurs de Limoges adressa au préfet de la Haute-Vienqe une demande générale
de.
dérogation pour tous ses membres, et déféra au Conseil
d'Etat le refus opposé à cette demande.
La situation de chaque
~tablissement pour lequel une autorisation de ce genre était
de!llandée devant faire l'objet d'un examen spécial, le Conseil
d'Etat estima que la dérogation avait un caractère individuel, et
de ce fait ne pouvait être sollicitée ni de l'administration ni du
juge par une organisation syndicale.
Il rejeta donc comme
irrecevable le recours du syndicat des coiffeurs.
Cette affaire permit au commissaire du gouvernement
Romieu d'énoncer les règles déterminant la capacité des syndicats professionnels pour ester en justice.
Il fut d'abord amené à
distinguer l'action syndicale de l'action individuelle.
« L'action
syndicale est celle que le syndicat exerce en son nom propre
-comme personne civile chargée de la défense des intérêts
collectifs dont elle a la garde ...
; il faut, pour qu'elle puisse
exister, qu'il s'agisse d'un intérêt professionnel collectif et que
les conclusions ne contiennent rien ayant un caractère purement_ individuel...; l'action individuelle, au contraire, tend à
obtenir un avantage détermi_né au profit d'un membre du
syndicat nominativement désigné...
Elle ne peut être exercée
que par l'individu intéressé agissant lui-même ou par mandataire; elle ne peut être intentée d'office par le syndicat préten·dant exercer en son nom l'action syndicale dans l'intérêt de ses
membres ut singuli...
Si l'action syndicale n'est pas, dans ce cas,
recevable, _ce n'est nullement qu'il n'ait pas intérêt à la solution
du litige, ...
c'est que son action directe se trouve empêchée par
l'application du principe : « Nul ne plaide par procureur »; ...
si
le syndicat ne peut exercer à titre d'action syndicale une action
individuelle, rien ne s'oppose à ce qu'il soit choisi comme
mandataire par l'individu intéressé pour exercer l'action individuelle au nom de ce dernier.»
72
LES GRANDS ARRITTS ADMINISTRATIFS
L'action corporative présente cependant une originalité en
matière de recours pour excès de pouvoir ~ « Si le recours tend
à faire tomber un acte positif, individuel ou collectif, qui lèse
l'association dans ses intérêts généraux, le syndicat est recevable à l'exercer...
Si le recours tend à faire tomber un acte
négatif, _c'est-à-dire par lequel l'administration refuse de faire
un acte, il faut y regarder de plus près ...
Au cas où il s'agirait
d'un acte collectif (par exemple, le refus d'annuler un règlement), le recours du syndicat est recevable...
Si au contraire, il
s'agit d'un refus d'autorisation individuelle, l'action en annulation a elle-même un caractère nettement individuel...
Peu
importe que le gain du procès intéresse tous les autres membres
·du syndicat, qui pourront à leur tour former la même demande,
l'action est individuelle et ne peut être exercée que par chaque
intéressé direct ou en son nom ...
».
L'arrêt s'inspire des principes ainsi dégagés :
,
1° les syndicats professionnels ne peuvent intervenir au nom
d'intérêts individuels sans y être autorisé par mandat spécii;tl;
2° un sy:gdicat professionnel n'est pas recevable à déférer au
Conseil d'Etat pour excès de pouvoir l'arrêté par lequel le
préfet a refusé d'accorder à ses membres l'autorisation de
'donner le repos hebdomadaire à leurs ouvriers le lundi.
II.
- Retenant dans_ ses grandes lignes le système proposé
par le commissaire du gouvernement Romieu, la jurisprudence
a eu depuis lors de nombreuses occasions de le préciser, et, sur
certains points, de l'amender.
1° Le Conseil d'État admet largement l'action des syndicats
contre des mesures de caractère réglementaire ou collectif
portant atteinte aux intérêts moraux ou matériels de l'ensemble
de.
_leurs membres ou d'une partie d'entre eux.
Ainsi la ligue
nat1ona1e contre 1'alcoolisme est-elle recevable à attaquer une
décision ministérielle favorisant les.
bouilleurs de crû (C.
E.
27 avril 1934, Ligue nationale contre l'alcoolisme, Rec.
493), ou
une union de parents d'élèves à défendre la liberté de l'enseignement (C.E.
22 mars 1941, Union nationale des parents
d'élèves de l'enseignement libre, Rec.
49).
De même, un groupement de propriétaires peut se pourvoir contre ~< des mesures
générales de nature à porter atteinte aux droits des propriétaires » telles que des arrêtés portant renouvellement pour six
mois de toutes les réquisitions de logement (C.
E.
7 mai 1948,
Chambre syndicale de la propriété bâtie de La Baule, Rec.
202),
ainsi qu'un syndicat de fonctionnaires eontre des dispositions
statutaires (C.
E.
10 févr.
1933, Association amicale du personnel
de l'administration cen!rale du ministère de l'agriculture,
Rec.
193).
Le Conseil d'Etat a également admis le syndicat du
personnel d'une e~treprise publique à se pourvoir contre une
décision concernant l'activité de cette entreprise et susceptible
,)
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1.
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.
28
DÉC.
1906,
PATRONS COIFFEURS
73
d'entraîner des réductions de ses effectifs JC.
E.
2 juill.
1965,
Syndicat indépendant des cadres, ingénieurs et agents de maîtrise
d'Air France, Rec.
398; A.
J.
1965.11.488, concl.
Galabert) et
une confédération syndicale qui a pour....
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