C.E. 19 mai 1933, BENJAMIN, Rec. 541
Publié le 26/09/2022
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«
C.E.
19 mai 1933, BENJAMIN, Rec.
541
(S.
1934.3.1, concl.
Michel, note Mestre;
- D.
1933.3.354, concl.
Michel)
Cons.
que les requêtes susvisées, dirigées contre deux arrêtés du
maire de Nevers interdisant deux conférences, présentent à juger les
mêmes questions; qu'il y a lieu de les joindre pour y" être statué par une
seule décision;
En ce qui concerne l'intervention de la Société des gens de lettres : Cons.
que la Société des gens de lettres a intérêt à l'annulation des
arrêtés attaqués; que dès lors son intervention est recevable;
Sur la légalité des décisions attaquées; - Cons.
que s'il incombe au
maire, en vertu de l'art.
97 de la loi du 5 avr.
1884, de prendre les
mesures qu'exige le maintien de l'ordre, il doit concilier l'exercice de ses
pouvoirs awc le respect de la liberté de réunion garantie par les lois du
,30juin 1881 et du 20 mars 1907;
Cons.
que pour interdire les conférences du sieur René Benjamin
figurant au programme des galas littéraires organisés par le syndicat
d'initiative de Nevers, qui présentaient toutes deux , le caractère de
conférences publiques, le maire s'est fondé sur ce que la venue du sieur
Benjamin à Nevers était de nature à troubler l'ordre public;
Cons: qu'il résulte de l'instruction que l'éventualité de troubles,
alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité
tel qu'il n'ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l'ordre en
édictant les mesures de police qu'il lui appartenait de prendre; que, dès
lors, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen tiré du détournement
de pouvoir, les requérants sont fondés à soutenir que les arrêtés
attaqué� sont entachés d'excès de pouvoir; ...
(Annulation).
OBSERVATIONS
René Benjamin devait donner à Nevers une conférence
littéraire : « Deux auteurs comiques : Courteline et Sacha
Guitry».
Les instituteurs syndiqués firent savoir au maire qu'ils
s'opposeraient par tous les moyens ·à ce qu'ait lieu la confé
rence d'un homme « qui avait sali dans ses écrits le personnel
de l'ènseignement laïque».
Par la presse,,_les tracts et les
affiches, ils convièrent à une contre-manifestation les défen-
seurs de l'école publique, les syndicats, les groupements de
gauche.
Le maire de Nevers prit, à la suite de cette campagne,
un arrêté interdisant la conférence de René Benjamin.
Le
syndicat d'initiative fit alors paraître dans la presse un commu
niqué annonçant la substitution à la conférence publique d'une
conférence privée.
Lç_ maire l'interdit encore.
René Benjamin
déféra au Conseil d'Etat les deux arrêtés d'interdiction, invo
quant à la fois la violation des lois du 30 juin 1881 et du
-28 mars 1907 sur la liberté de réunion, et le détournement de
pouvoir.
L'examen du premier moyen supposait que fût préalablement
définie la « réunion publique».
Le commissaire du gouverne
ment Michel la distingua de la manifestation, de l'association,
de la conférence et du spectacle, et la définit comme « un
groupement momentané de personnes formé en vue d'entendre
l'exposé d'idées ou d'opinions, ou de se concerter pour la
défense d'idées ou d'intérêts».
Il n'était dès lors pas douteux
que la conférence littéraire de René Benjamin fût juridiquement
une réunion publique, qu'elle fût ou non déguisée sous le nom
de conférence privée.
Or, la Itberté de réunion était l'une des mieux garanties par
la loi : la loi du ·30 juin 1881 se bornait à exiger des
organisateurs une simple déclaration, et la loi du 28 mars 1907
avait même supprimé cette exigence.
Le législateur a donc
expressément exclu toute mesure de police préventive qui pût
être de nature à entraver la liberté de réunion.
Il faut cepen
dant concilier le respect des textes garantissant la liberté de
réunion avec le devoir qui incombe à l'autorité municipale, en
vertu de l'art.
97 de la loi du 5 avr.
1884, de maintenir l'ordre
public.
Il en résulte que si l'autorité munl.cipale ne dispose
/ véritablement, pour assurer le maintien de l'ordre, d'aucun
autre moyen efficace que l'interdiction préventive, celle-ci sera
/l licite, mais il faudra que la menace pour l'ordre public soit
exceptionnellement grave, et que le maire ne dispose pas des
forces de police nécessaires pour permettre à la réunion de se
tenir tout en assurant le maintien de l'ordre.
Or, en l'espèce, le maire aurait pu, en faisant appel à la
gendarmerie et à la garde mobile, éviter tout désordre, tout en
laissant René ,Benjamin donner sa conférence.
C'est pourquoi
le Conseil d'Etat annula les décisions attaquées, réservant la
question que soulevait le requérant en arguant du détournement
de pouvoir et en souten'ant que le maire avait été plus inspiré
par le désir de satisfaire ses a!J¾iS politiques que par celui de
maintenir l'ordre.
Le Conseil d'Etat a ensuite jugé que le maire
avait commis une faute lourde en interdisant la réunion et que
sa décision engageait la responsabilité de la ville (3 avr.
1936,
Syndicat d'initiative de Nevers et Benjamin, Rec.
453;
S.
1936.III.l 08, concl.
Detton).
19
MAI
1933,
BENJAMIN
219
Le Conseil d'État devait faire preuve du même libéralisme,
.résumé par la formule souvent répétée par les commissaires du \
gouverne ment : « la liberté est la règle, la restriction de police J' l'excepti on», dans l'arrêt Bujadoux (5 févr.
1937, Rec.
153; ~
D.
1938.3.19, concl.
Lagrange) : à la suite des événements du
6 févr.
1934 s'étaient formés à côté des partis politique s, et
collabora nt avec eux, des groupem ents ayant le caractère d'organisatio ns de combat; la loi du 10 janv.
1936 permetta it au
gouverne ment de les dissoudre par décret pris en conseil des
ministres; ainsi, le décret du 13 févr.
1936 prononca -t-il la
dissolutio n des ligues d' Action française.
Quelques jours plus
tard, la presse monarchi ste de Lyon annonçai t le banquet du
Groupem ent médical corporati f de Lyon qui devait présider
Charles Maurras; le maire de Lyon l'interdit par un arrêté du
17 févr.
1936, qui fut déféré au Conseil d'État.
Le banquet ne
constitua it pas une réunion privée quoi qu'aient pu dire les
organisat eurs : les inscriptio ns étaient très largemen t ouvertes et
une large publicité lui avait été faite par la presse; c'était donc
une réunion publique.
On ne pouvait d'autre part y voir' une
manifesta tion organisée par les ligues dissoutes, puisque le
décret de dissolutio n avait laissé _subsister l'Union des corporations de France.
Le Conseil d'Etat devait donc appliquer et
préciser la doctrine de l'arrêt Benjamin; le commissaire du
gouverne ment observa qu'en lui-même ce banquet politico-p rofessionnel ne présentai t pas de danger, mais cela ne lui suffit
pas; il se demanda si, dans le climat de l'époque, le banquet ne
pouvait apparaîtr e comme une provocati on; mais, même dans
l'hJpothè se o~ une Acon!re-m~nifestation eût été _à redouter, le f
prefet du Rhone eut dispose des foi:_ces de pohce suffisantes •
pour mainteni r l'ordre.
Le Conseil d'Etat annula donc l'arrêté.
\
Il se montra encore une fois aussi libéral, dans un cas assez
voisin (2 févr.
1938, Xavier Vallat, Rec.
117).
Mais les passions politique s s'exacerb aient; l'ordre public
était sans cesse plus menacé; les décrets-lois c9mmenç aient à
restreindr e les libertés publiques .
Le Conseil d'Etat ne pouvait
rester insensible à cette transform ation de l'ambianc e politique
et tendit à abandonn er une jurisprud ence élaborée en des temps
plus pacifiques pour faire prévaloir les nécessités du maintien
de l'ordre.
L'arrêt Bucard (23 déc.
1936, Rec.
1151) annonce
l'évolutio n : le Conseil d'État rejette le recours formé contre un
arrêté préfector al interdisan t même des réunions privées, données en des points très disséminés d'un départem ent frontière,
alors que le préfet n'avait pas les forces de police suffisantes
pour assurer le m~intien de l'ordre partout où il eût....
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