Cass. Soc. 13 octobre 2010 n°10-60.130 (commentaire)
Publié le 24/08/2012
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Il n’existe pas de définition légale des valeurs républicaines. Ce choix du législateur et de la jurisprudence est à double facette, puisqu’aussi bien il permet de ne pas dresser une liste exhaustive des atteintes possibles, il ne permet pas d’apporter facilement la preuve d’une éventuelle atteinte. La question se pose de savoir comment prouver une atteinte à une condition essentielle de la représentativité d’un syndicat qui n’est pas clairement définie par la loi. Les syndicats ont essayé de dégager une définition des valeurs républicaines lors de la position commune du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme. En effet, selon eux, le respect des valeurs républicaines implique « le respect de la liberté d'opinion, politique, philosophique ou religieuse ainsi que le refus de toute discrimination, de tout intégrisme et de toute intolérance «. Cette définition, suffisamment large pour permettre d’y intégrer l’ensemble des syndicats et de leurs actions, n’a pourtant pas été reprise par le législateur.
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Par ailleurs, cette solution est à mettre en parallèle avec une autre solution, cette fois-ci rendue au regard du critère de l'indépendance du syndicat, qui avait retenu cemême renversement de la charge de la preuve : « l'indépendance étant présumée, le défaut d'indépendance doit être établi par la partie qui la conteste » (Cass.
soc.
22juillet 1981, n° 81-60.695, BC V n° 748).
Même si dans cet arrêt, la chambre sociale ne parle pas explicitement de présomption de respect des valeurs républicaine,le rapprochement entre les deux solutions est envisageable, puisqu'un renversement de la charge de la preuve comprend presque automatiquement une présomptionconnexe.
De plus, « le syndicat contesté sur sa représentativité, par l'employeur ou d'autres organisations syndicales, doit démontrer qu'il remplit les critères légaux sur lesquelsil est contesté » (cass.
Soc ; 4 mai 1994, n° 92-60.369 et 92-60.396 BC V n° 163).
Ainsi, il n'y a que pour les critères de respect des valeurs républicaines etd'indépendance que la charge de la preuve est laissée à la partie demandeuse.
La raison d'une telle différence peut s'expliquer par le caractère objectif des autres critères légaux, contrairement aux critères d'indépendance et de respect des valeursrépublicaines.
Ce sont des valeurs plus subjectives, dont la preuve positive est plus difficile à rapporter que la preuve négative.
Il est beaucoup plus abordable dans lapratique d'apporter la preuve de l'irrespect des valeurs républicaines par un détail de l'organisation syndicale, comme a tenté de le faire l'employeur en l'espèce.
Par ailleurs, la notion même de valeurs républicaines est subjective, transversale, et est difficile à délimiter.
Une atteinte est beaucoup plus facile à prouver que sonrespect.Il semble donc que c'est pour des raisons pratiques que la Cour de cassation a décidé de renverser la charge de la preuve en matière de non-respect des valeursrépublicaines.Par ailleurs, la décision de la Cour de cassation laisse transparaître quelques caractéristiques formelles de la preuve.
II) Les modalités de la preuve apportée du non-respect des valeurs républicaines du syndicat
La Cour de cassation, dans sa décision, semble apporter quelques éléments quant à la forme de la preuve (A), alors même qu'il n'y a pas de définition légale desvaleurs républicaines (B).
A) La forme de la preuve.
Plusieurs éléments quant à la forme de la preuve peuvent être dégagés de la décision de la Cour de cassation, même si l'attendu est relativement succin.
En effet, le premier élément symptomatique est l'apparente indifférence des mentions prescrites dans les statuts du syndicat.
Et sur ce point, la décision de la Cour decassation aurait pu être discutable, si jamais elle avait privilégié l'examen des statuts : il est difficilement concevable qu'un syndicat respecte les valeurs républicainesalors que ses propres statuts prônent la suppression du modèle républicain par la violence.
On observe donc ici une relative exclusion de l'interprétation littérale auprofit d'une approche fonctionnelle, puisque c'est parce que l'activité réelle du syndicat n'illustre pas la poursuite d'un objectif illicite que la Cour de cassation n'a pasaccueilli le pourvoi formé.
Le contrôle du juge et l'examen du respect des critères légaux se basent donc sur l'action réelle du syndicat.
Il faut alors rapporter unepreuve matérielle de la poursuite d'un objectif illicite, qui serait contraire aux valeurs républicaines, dans le cadre de l'action même du syndicat.
Cette solution, quiconsacre la primauté d'un certain principe de réalisme, est appréciable en ce sens que la plupart des syndicats, dans leur action, se démarquent nettement des statutsprévus initialement, et le contrôle a posteriori peut s'avérer beaucoup plus efficace.
Par ailleurs, il sera plus facile de rapporter la preuve du non-respect des valeursrépublicaines de manière concrète, dans le cadre de l'action syndicale.
Un deuxième élément qui se dégage de la décision est la prise en compte éventuelle du temps écoulé depuis la rédaction des statuts.
En effet, la Cour de cassation apu estimer que c'est parce que les statuts ont été rédigés en 1946, et que depuis cette date, l'action syndicale n'a en rien poursuivi un objectif illicite, qu'elle n'a pastenu compte du non-respect flagrant des valeurs républicaines.
Existerait-il une forme implicite de prescription ? La solution de la Cour de cassation, muette en ce quiconcerne l'appréciation des statuts, soulève néanmoins la question.
La portée juridique des statuts et leur opposabilité semble cependant énormément amoindries par la décision de la Cour de cassation.
La décision est regrettablepuisque quand bien même la chambre sociale estime à juste titre que ce n'est pas un élément suffisant pour prouver la poursuite d'un objectif illicite, elle n'accordeaucune importance et aucune sanction à la rédaction des statuts, qui va exactement à l'encontre du respect des valeurs républicaines.
Ce flou juridique est accentué par le fait qu'aucune définition légale des valeurs républicaines n'existe à ce jour.
B) L'absence de définition légale des valeurs républicaines.
Il n'existe pas de définition légale des valeurs républicaines.
Ce choix du législateur et de la jurisprudence est à double facette, puisqu'aussi bien il permet de ne pasdresser une liste exhaustive des atteintes possibles, il ne permet pas d'apporter facilement la preuve d'une éventuelle atteinte.
La question se pose de savoir commentprouver une atteinte à une condition essentielle de la représentativité d'un syndicat qui n'est pas clairement définie par la loi.
Les syndicats ont essayé de dégager une définition des valeurs républicaines lors de la position commune du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement dudialogue social et le financement du syndicalisme.
En effet, selon eux, le respect des valeurs républicaines implique « le respect de la liberté d'opinion, politique,philosophique ou religieuse ainsi que le refus de toute discrimination, de tout intégrisme et de toute intolérance ».
Cette définition, suffisamment large pour permettred'y intégrer l'ensemble des syndicats et de leurs actions, n'a pourtant pas été reprise par le législateur.
L'absence de définition légale implique donc un rôle nécessairement important de l'appréciation du juge, et de son contrôle de la régularité du syndicat représentatif.Il est ainsi libre d'apprécier, du point de vue concret, au cas par cas, si la preuve apportée par le demandeur est de nature ou non à porter atteinte aux valeursrépublicaines.
Même si cette organisation reflète au premier abord une certaine insécurité juridique, elle permet un élargissement du champ de protection dessyndicats, qui souffrent d'un nombre important de conditions légales.
Ainsi, le législateur et la jurisprudence ont voulu réduire ces exigences en permettant uneinterprétation large de cette condition, notamment à travers le renversement de la charge de la preuve et une présomption de respect des valeurs républicaines..
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