C. E. 7 août 1909, WINKELL, Rec. 826 et 1296, concl. Tardieu
Publié le 20/09/2022
Extrait du document
«
FONCTION PUBLIQUE - GRÈVE
C.
E.
7 août 1909, WINKELL,
Rec.
826 et 1296, concl.
Tardieu
(S.
1909.3.145, concl.
Tardieu, note Hauriou;
D.
1911.3.17, concl.
Tardieu;
R.
D.
P.
1909.494, note Jèze)
Cons.
que la grève, si elle est un fait po�vant se produire légalement
au cours de l'exécution d'un contrat de travail réglé par les dispositions
du droit privé, est, au contraire, lorsqu'elle résulte d'un refus de service
concerté entre des fonctionnaires, un acte illicite, alors même qu'il ne
pourrait être réprimé par l'application de la loi pénale; que, par son
acceptation de l'emploi qui lui a été conféré, le fonctionnaire s'est soumis
,à toutes les obligations dérivant des nécessités mêmes du service public et
a renoncé à toutes les facultés incompatibles avec une continuité essen
tielle à la vie nationale; qu'en se mettant en grève les agents préposés au
service public, sous quelque dénomination que ce soit, ne commettent pas
seulement une faute individuelle, mais qu'ils se placent eux-mêmes, par
un acte collectif, en dehors de l'application des lois et règlements édictés
dans le but de garantir l'exercice des droits r_ésultant pour chacun d'eux
du contrat de droit public qui les lie à l'administration; que, dans le cas
d'abandon collectif ou concerté du service public, l'administration est
tenue de prendre des mesures d'urgence et de procéder à des remplace
' ments immédiats;
Coµs.
que le sieur Winkell ne conteste pas qu'il était au nombre des
ouvriers du service des postes qui étaient en grève au mois de mai 1909
et que, pour demander l'annulation de l'arrêté par lequel le sous-secré
taire d'Etat a prononcé sa révocation, il se borne à alléguer que cette
mesure a été prise sans qu'il ait reçu préalablement la communication
de son dossier, en conformité de l'art.
65 de la loi du 22 avr.
1905;
Mais cons.
qu'il résulte de ce qui précède que, quelle que soit la
généralité des termes de cet article, le législateur n'a pu comprendre la
grève dans un service public au nombre des cas en vue desquels il a
formulé cette prescription;...
(Rejet).
OBSERVATIONS
Au début du xxe siècle, le syndicalisme devenait une force
importante de la :vie sociale en France, et les grèves se multi
pliaient dans les services publics comme dans le secteur privé.
C'est ainsi que deux grèves éclatèrent, en mars et en mai 1909,
dans l'administration des postes.
Soutenu par la majorité de la
Chambre des députés, et en dépit d'interpellations socialistes, le
gouvernement réprima le second de ces mouvements avec
vigueur : cinq à six cents agents furent révoqués.
Les mesures
prises à leur encontre étant intervenues sans que leur dossier
leur eût été préalablement communiqué, un certain nombre
d'agents révoqués, dqnt le sieur Winkell, formèrent des recours
devant le Conseil d'Etat en invoquant la violation de l'art.
65
de la loi du 22 avr.
1905, qui imposait une telle communication
avant toute mesure disciplinaire.
Le Conseil d'État rejeta ces
_recours, conformément aux conclusions du commissaire du
gouvernement Tardieu.
Les effets de la grève sur le contrat de travail en droit privé
étaient à l'époque l'objet de discussions passionnées qui
devaient se prolonger jusqu'à une date récente.
La majorité des
juristes - et les théoriciens socialistes - critiquaient la juris
prudence de la Cour de Cassation selon laquelle la grève avait
pour effet de rompre le contrat de travail.
Rappelant ces
controverses, le commissaire du gouvernement Tardieu
approuva la jurisprudence judiciaire, et· montra qu'il y avait_ des
raisons particulièrement f9rtes de la transposer dans le droit
administratif : « Quand l'Etat, les départements ou les commu
nes se substituent à la libre initiative des particuliers pour
organiser un service public, c'est le plus souvent afin de
procurer à tous les habi_tants de 'la France, sur les points_ les
plus reculés du territoire, la satisfaction de besoins généraux
auxquels l'initiative privée ne pouvait assurer qu'une satisfac
tion incomplète et intermittente...
La continuité est de l'essence
du service public...
La grève est en co_ntradiction directe avec la
notion même de service public.
» Telles étant les considérations
d'opportunité, il restait à trouver un fondement juridique à la
possibilité pour l'administration d'évincer les grévistes : le
commissaire du gouvernement fit appel à la notion de « contrat
de fonction publique».
Celui-ci est automatiquement rompu
par la grève; le gréviste se met de lui-même, et en quelque sorte
par un libre choix, en dehors du service; l'acte de révocation ne
fait que constater cet effet juridique de la grève.
Revenant dans
sa péroraison au problème général de la grève des fonctionnai
res, le commissaire du gouvernement résumait nettement sa
pensée en ces termes : « il faut que l'arrêt que vous allez rendre
apprenne aux requérants, et en même temps à tous les fonc�
tionnaires, que, pour eux, la grève, même quand elle n'est pas
réprimée pénalement, est un moyen révolutionnaire....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- FONCTION PUBLIQUE — GRÈVE C. E. 7 août 1909, WINKELL, Rec. 826 et 1296, concl. Tardieu (commentaire d'arrêt)
- C. E. 29 janv. 1909, COMPAGNIE DES MESSAGERIES MARITIMES et autres, Rec. 120 (D. 1910.3.89, concl. Tardieu)
- C.E. 6 déc. 1907, COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER DE L'EST ET AUTRES, Rec. 913, concl. Tardieu (S. 1908.3.1, note Hauriou, concl. Tardieu; D. 1909.3.57,-concl. Tardieu; R.D.P. 1908.38, note Jèze)
- C. E. 4 août 1905, MARTIN, Rec. 749, concl. Romieu (S. 1906.3.49, note Hauriou; D. 1907.3.49, concl. Romieu; R. D. P. 1906.249, note Jèze)
- RECOURS POUR EXCÈS DE POUVOIR - RÈGLEMENTS D'ADMINISTRATION PUBLIQUE - C. E. 6 déc. 1907, COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER DE L'EST ET AUTRES, Rec. 913, concl. Tardieu (commentaire d'arrêt)