C. E, 22 juin 1951, DAUDIGNAC, Rec. 362
Publié le 01/10/2022
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«
LIBERTÉ DU COMMERCE
ET DE L'INDUSTRIE - POLICE.
C.
E, 22 juin 1951, DAUDJGNAC, Rec.
362
(D.
1951.589, concl.
Gazier, note J.
C.)
Sur la légalité de l'arrêté du maire de Montauban en date du 2 mars
1949;
Cons.
que, par cet arrêté, le maire a soumis à une ;tutorisatio_n, dont
les conditions étaient fixées par l'acte attaqué, l'exercice, même tempo
raire, de la profession de photographe sur la voie publique; qu'il'est
constant qu'il a entendu viser ainsi notamment la profession dite de
photographe-filmeur;
Cop.s.
que les opérations réalisées par ces photographes n'ont pas le
caractère de ventes au déballage, soumises à autorisation spéciale du
maire par la loi du 30 déc, 1906; qu'en admettant même qu'elles soient
faites par des personnes ayant la qualité de marchand ambulant au
sens de l'art.
Jer de la loi du 16 juill.
19J2, le maire, qui tient de
l'art.
97 de la loi du 5 avr.
1884, le pouvoir de prendre les mesures
nécessaires pour remédier aux inconvénients que ce mode d'exercice de
la profession de photographe peut présenter pour la circulation et
l'ordre public, � notamment en oéfendant à ceux qui s'y livrent de
photographier les passants contre leur volonté ou en interdisant, en cas
d;:: nécessité, l'exercice de cette profession dans certaines rues ou à
certaines heures, · - ne saurait, sans méconnaître la loi précitée du
16 juil/.
1912 et porter atteinte à la liberté de l'industrie et du commerce
gwantie, par la loi, subordonner l'exercice de ladite profession à la
délivrance d'une autorisation; que dès lors, le sieur Daudignac est fondé
à soutenir que l'arrêté attaqué est entaché d'excès de pouvoir;...
(Annulation).
OBSERVATIONS
Le photographe-filmeur qui prend par surprise, dans la rue,
les passants qui lui paraissent photogéniques, a remplacé,
comme le déclarait spirituellement le commissaire du gouverne
ment Gazier,.
« le photographe à barbiche, caché sous son voile
noir, derrière son trépied, pour « tirer leur portrait» dans les
squares aux militaires et aux bonnes d'enfants».
Cette profes
sion nouvelle_ s'est rapidement développé depuis quelques ,
années et s'est heurtée à l'hostilité des photographes en bouti
que, ainsi qu'à celle des promeneurs et passants qui estiment
que personne n'a le droit de les protographier et de reproduire
leur effigie sans leur consentement préalable.
Un assez grand
nombre de municipalités, sensibles à ces protestations, ont
interdit ou réglementé l'exercice de cette activité.
Ainsi le maire
de Montauban l'avait-il soumise à une autorisation préalable
assortie de multiples conditions : autorisation annuelle, person
nelle, révocable, onéreuse, unique par famille, réservée aux
personnes sans profession, accordée dans les limites d'un maxi
mum ...
Les photographes-filmeurs furent bientôt en contraven
tion avec l'arrêté municipal.
L'un d'eux, le sieur Daudignac,
déjà relaxé d'ailleurs par le juge de simple police qui avait
estimé illégale la réglementation édictée par le maire, forma un
reèours devant le Conseil d'État afin d'obtenir l'annulation qui
le mettrait à l'abri de telles mesures administratives.
Le maire avait donné trois fondements juridiques à son
arrêté:
1 ° la loi du 30 déc.
1906 qui soumet à une autorisation
spéciale les ventes au déballagè; le commissaire du gouverne
ment n'eut aucune peine à démontrer que l'activité des photo
graphes-filmeurs n'avait rien de commun avec les ventes au
déballàge;
2° la loi du 16 juill.
1912 sur l'exercice des professions
ambulantes; le commissaire du gouvernement estimait que les
photographes-filmeurs ne répondent pas à la définition que
donne cette loi de la profession ambulante; l'arrêt n'a pas
résolu cette question, car elle ne modifiait pas la solution à
donner au cas d'espèce;
3° la loi du 5 avr.
1884 (art.
97) d'après laquelle le maire
doit maintenir l'ordre dans la rue : ce texte fournissait à l'arrêté ;;
municipal sa base la plus solide et "plaçait le juge administratif ' \
.en face d'un problème qui lui est familier : la conciliation de
l'exercice d'une liberté avec l'obligation qui incombe à l'auto
rité publique de maintenir l'ordre dans la rue.
Mais la liberté
dont se prévalaient les photographes-filmeurs était celle du
commerce et de l'industrie, et l'on pouvait se demander si les
atteintes innombrables qui lui avaient été portées depuis 1939
n'avaient pas fait disparaître le principe même de cette liberté
et si, par suite, la jurisprudence fort nombreuse qui censurait
des arrêtés réglementant d'une manière trop sévère, par rapport
aux exigences réelles du maintien de l'ordre, l'exercice d'un
commerce, ne serait pas remise en question (C.E.
30 nov.
1928,
Penicaud, Rec.
1227; S.
1929.3.1, note Hauriou; - 8 déc.
1933, Grundmann, Rec.
1152; - 11 janv.1939, Boyer, Rec.
8).
Pourtant le Conseil d'État ne cessa de se référer au principe
traditionnel, le plus souvent implicitement, et parfois en parlant
expressément de « liberté du commerce et de l'industrie» (C.E.
30 janv.
1948, Syndicat départemental des industries en lentilles
de la Haute-Loire, Rec.
42), ou de « droits des professionnels»
(C.E.
8 déc.
1948, Syndicat général des patrons laitiers de la
ville de Lyon, Rec.
462).
Dans ses conclusions sur l'affaire Daudignac, le commissaire
du gouvernement Gazier affirma que « là où aucune loi n'est
intervenue, le principe subsiste toujours, qui demeure le droit
commun de l'activité industrielle en France » et que la loi des
2-17 mars 1791 proclamant la liberté du commerce et de
l'industrie restait applicable.
L'arrêt énonce fermement le principe de « liberté du commerce et de l'industrie garantie par la
loi», et la loi des 2-17 mars 1791 est citée dans les visas.
Le Conseil d'État a d'ailleurs fait, depuis lors, des applications remarquables de ce principe.
Dans l'arrêt Daudignac, il
décidait que le maire ne pouvait subordonner à autorisation
l'exercice d'une profession non réglementée par la loi.
Dans un
,arrêt du 29 juill.
1953, Société générale des travaux cinématographiques (Rec.
430), il est allé encore plus loin.
Dans cette
affaire, il était en présence d'une loi subordonnant l'exercice
d'une activité à l'obtention d'une autorisation précaire et révocable; il décida néanmoins que « si le directeur général du
centre national de la cinématographie a compétence pour
accorder, refuser ou retirer l'autorisation et peut subordonner
celle-ci à certaines conditions, le pouvoir qui lui est ainsi
reconnu est toutefois limité par le respect dû à la liberté du
commer~ et de l'industrie, dans la mesure où la loi ne lui a
pas porté atteinte » et annula en conséquence une autorisation
subordonnée à la désignation d'un commissaire du gouvernement ayant le droit d'assister à toutes les séances des organes
de la société requérante, pouvant obtenir communication de
tout document et possédant le droit de suspendre l'exécution de
toute décision : « ces dispositions, déclare l'arrêt, constituent
des atteintes à la liberté du commerce et de l'industrie et ne
pourraient être valablement édictées qu'en application d'une
disposition législative express~».
Sous l'empire de la Constituftion de 1958, le Conseil d'Etat considère que la liberté du
· commerce et de l'industrie figure parmi les libertés publiques
placées par l'article 34 de la Constitution sous la sauvegarde du
législateur (28 oct.
1960, Martial de Laboulaye, Rec.
570;
j
A.
J.
1961.20, concl.
Heumann; Dr.
soc.1961.141, concl.
Heumann, note Teitgen) et que le gouvernement ne peut porter
atteinte au « libre accès à l'exercice par les citoyens de toute
activité professionelle n'ayant fait l'objet d'aucùne limitation
légale» (22 juin 1963, Syndicat du personnel soignant de la
Guadeloupe, Rec.
386; A.
J.
1963.460, chr.
Gentot et Fourré :
annulation d'un décret limitant l'accès....
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