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Un théâtre_ moral?- Le drame romantique fut longtemps accusé d'immora­ lité par ses adversaires. En fait, il s'oppose bien moins...

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« Un théâtre_ moral?- Le drame romantique fut longtemps accusé d'immora­ lité par ses adversaires.

En fait, il s'oppose bien moins à la morale en elle�même qu'à ·un'certain discours moralisa.: teur, souvent hypocrite.

Ce discours voudrait que l'art, et notamment le théâtre', évite les sujets scabreux, présente des repères moraux conformes à l'ordre social, et soit tou­ jours ·pourvu d'une morale claire· et rassurante.

A cela, le drame romantique se refuse en effet, jusqu'à la provoca­ tion.

En outre, il montre de nombreux personnages cy­ niques, et évoque à travers eux une conception de l'exis­ tence qui refuse toute morale.

Et pourtant, comme nous allons le voir, le drame romantique est profondément habité par un désir de morale. CONTRE LE CONF:ORMISME MORAL ' Le spectacle des vices Loin d'éviter les sujets immoraux, le drame romantique n'hésite pas à montrer ou évoquer toute une gamme de fautes et de vices.

Octave dans Les Caprices de Marianne (Il, 1) et don César dans Ruy Blas (IV, 2) chantent les louanges du vin et s'enivrent sur scène.

Le héros de Lorenzaccio admet qu'il est «vicieux» sans retour, qu'il. n'aime plus que «,le vin, le jeu·et les filles» (Ill, 3).

Dans ce drame, la prostitution est régulièrement évoquée (dès la première scè'ne) ; le duc Al_exandre plaisante avec son homme de main, Giorno, sur les meurtres qu'ils ont com­ mis (Il, 6).

Tout cela était alors ·ressenti, par un certain pu­ blic, comme une véritable provocation,.,__ . La subversion des codes moraux Surtout, le drame rom.antique dénonce.l'habitude consis� tant à juger la moralité des actes et des personnes selon un code tout fait, simpliste et souvent hypocrite.

Il s'éver-· tue à montrer l'abîme qui peut exister entre des attitudes généralement tenues pour vertueuses et la réalité· de la morale.

Ainsi, dans Les Caprices de Marianne, la fidélité conjugale et la dévotion de l'héroïne ne font pas d'elle un personnage vertueux.

Elle apP._araît plutôt comme un être sans cœur, dévitalisé, raidi dans u~n conf9rmisme social hy­ pocrite.

Inversement dorïa Sol, l'héroïne d' Hernani, amou­ reuse d'un brigand qu'elle reçoit dans sa chambre à la nuit tombée, a été qualifiée par la censure de« dévergondée». Mais elle entre en scène vêtue de blanc, symbole de pu­ reté (1, 1), et tout le drame montre la douceur, le courage et la noblesse de cette jeune fille amoureuse. L'écart est grand, également, entre le statut sociaÎ des personnages et leur valeur morale.

Dans Lorenzaccio, le cardinal Cibo se révèle plus préoccupé de son ambition personnelle que de morale chrétienne (1, 3; 11, 3; IV, 4). Il est l'un de ces hommes d'Église, nombreux dans le drame romantique, qui utilisent les mots et les rites de la religion pour assouvir des passions bien peu vertueuses. Dans Ruy Blas, l'aristocrate et premier ministre don Salluste fait une leçon de morale à son cousin don César devenu voleur de grand chemin.

Il lui reproche ses forfaits, mais finit par lui proposer une machination ignoble que César repousse avec hauteur et dédain (1, 2).

Les actes du bandit paraissent alors moins immoraux que ceux du ministre. Un monde immoral ? La principale « immoralité» du drame romantique est peut-être de représenter un monde, un monde social no­ tamment, qui souvent récompense davantage les vices que les vertus.

Le seul vrai vainqueur dans Lorenzaccio, c'est le cardinal Cibo.

Or cet homme est un cynique sacri­ lège, qui utilise sa fonction religieuse de confesseur (Il, 3) pour faire chanter sa belle-sœur, la marquise, et l'inciter à devenir la maîtresse du duc.

Dans la tourmente qui em­ porte à la fois Alexandre et Lorenzo, et qui voit la déroute des républicains, seul le.

cardinal Cibo tire son épingle du · jeu et voit sa position renforcée, en faisant élir_e un nou­ veau duc qui lui sera tout dévoué CV, Sf.

Dans Ruy Blés, in­ versement, le héros, qui a tant voulu faire le bien, est contraint au suicide N, 4).

Il semôle parfois que seul le mal soit puissant dans le monde tel qu'il est.

C'est l'avis de Lorerizaccio, qu( voit partout le mal à I' œuvre.

Quand .. Philippe Strozzi lui fait remarquer que le mal n'existe pas sans le..

bien,' il répond que l'existence ·du bien n'empêche.. pas son impuissance dan..

ce monde (Ill, 3). Ce· pessimisme moral, ·fréquent dans le drame roman::. tique, pourrait faire croire à une mise en doute radicale de· la morale, aussi bien ·par Hugo que par Musset.

Et si la morale n'existait pas? semblent-ils nous dire.

Si elle n'était, au mieux, qu'un rêve pieux 6u, au pire, qu'un 'discours hy-' pocrite destiné àjustifier l'ordre social actuel? Dans c� cas, l'amoralisme, le cynisme, seraient pleinement justifiés, et la seule règle de conduite serait la poursuite de l'intérêt P,ersonnel par tous les moyens �fficaces. ' .. s UN THÉÂTRE AMORAL? ' . Les personnages cyniques; qui 'ne croient à rien et sur­ tout pas aux grands mots et aux grands' principes de lâ morale, sont nombreux dans les drames romantiques. Mais leur valeur, et celle de l'amoralisme qu'ils · représen· te'nt, n'est pas évidente. Vérité où mensonge du cynisme? Le cynisme de Lorenzaccio fait de lui un grand démas­ queur d'hypocrisies.

A ses yeux, Jes principes moraux, no­ tamment en politique, ne sont guère que de brillants dé­ guisements dont les hommes recouvrent leur noirceur ou leur petitesse.

Et il prend un plaisir amer à faire tomber ces masques.

Les républicains Bindo et Venturi lui font la leçon, lui reprochant avec mépris sa vie de débauche au- . près du tyran.

Mais ils acceptent aussitôt les faveurs de ce même tyran, que Lorenzo demande pour eux.

Il prouve ainsi que la vertu républicaine a tôt fait de s'effacer devant l'intérêt personnel (Il, 4). Dans Ruy Blas, le grand cynique est don Salluste.

Unique­ ment guidé, en toute conscience; par son intérêt person­ nel, il s'amuse du grand discours moral du héros.

Ruy Blas affirme en effet que« Le salut de l'Espagne[.

..

]/Et l'intérêt public demandent qu'on s'oublie» (Ill, 5, v.

1352-1353).

_ Aux yeux de don Salluste, au contraire, c'est « Chacun pour soi» (v.

1335), et les grandes valeurs morales«Vertu», «foi»,'«probité», ne sont que«clinquant déteint» (v.

1375), « pathos» (v.

1378) et«billevesées» (v.

1382), Cependant, la valeur de vérité de ce cynisme n'est pas évidente.

Don Salluste.se présente ici comme un homme clairvoyant qui refuse de se payer de mots.

Mais la situa­ tion désastreuse de l'État espagnol semble prouver que les maximes des hommes comme don Sallustè sont rui­ neuses.

En fait, ce cynisme a surtout l'intérêt de dire sans fard la vérité d'un groupe social, celui des nobles de cour, des puissants.

Don Salluste est ici leur représentant (il dit «nous», parlant des « grands seigneurs»).

L'exemple de don Salluste montre que le cynisme est souvent une atti­ tude intéressée: celle des hommes qui voient fort bien que le monde n'a rien de moral, mais qui s'en satisfont; parce qu'ils en profitent. Force ou faiblesse d� cynisme 7 En apparence, le cynisme confère à l'individu une grande puissance.

Le cynique n'est arrêté par aucun scru­ pule, aucun frein moral, et il së détermine uniquement en fonction de son propre intérêt.

Le refus de toute morale pourrait donc être la condition de la réussite ét du bonheur individuels.

En fait, le drame romantique réfute plus qu'il ·· ne confirme cette puissance du cynisme. Chez Musset, les personnages cyniques sont rarement des personnages �eureux.

Lorenzaccio a beau dire et prouver que tout n'est qu'hypocrisie et impureté, il est le premier à en souffrir.

En effet la sincérité et la pureté res­ tent pour lui des valeurs essentielles, et il se désole de les voir reniées par les autres et, surtout, de les avoir lui­ même reniées dans sa vie de débauche (Ill, 3; IV, 5).

Dans Les Caprices de Marianne, Octave est un cynique qui ne croit à rien, et surtout pas à l'amour.

Il n'est amour�ux que «du vin de Chypre» (1, 1) et pour lui, toutes les femmes se valent, c'est-à-dire qu'elles ne valent pas grand-chose (1, 1; 11, 1).

Il paraît très heureux ainsi (1, 1).

Mais ce bonheur n'est qu'un masque, qui tombe à la dernière scène: « Je ne suis qu'un débauché sans cœur », avoue-t-il à Marianne. « Ma gaieté est comme le masque d'un histrion 1.... »

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