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Un roman ·mystique? Chrétien de Troyes n'a pas voulu écrire la simple histoire d'un chevalier, de sa dame et d'un...

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« Un roman ·mystique? Chrétien de Troyes n'a pas voulu écrire la simple histoire d'un chevalier, de sa dame et d'un voisin hostile.

Par-delà la lettre, il faut dégager l'esprit du récit, le« sens» dont parle le prologue sans en révéler le contenu.

Dépassant le cadre chevaleresque et courtois imposé par Marie de Champagne, le romancier semble avoir cherché à transmettre un mes­ sage symbolique à ses lecteurs.

La critique actuelle 1 sug­ gère une interprétation mystique : sous son habillage romanesque, Le Chevalier de la charrette serait une réécri­ ture de la Bible.

Le thème, les personnages et les épisodes du récit présentent, en effet, des ressemblances frappantes avec le texte sacré. UNE ALLÉGORIE DE LA RÉDEMPTION On peut lire le roman comme une allégorie, c'est-à-dire la transcription, sous une forme concrète, d'une signification abstraite que le lecteur doit déceler à la lumière de son savoir personnel.

Les hommes du xu e siècle, imprégnés de culture chrétienne, n'ont probablement pas eu de mal à repérer, dans Le Chevalier de la charrette, les allusions au mystère biblique de la r.édemption2 : Lancelot serait une représenta­ tion du Christ, du Sauveur engagé dans une quête salvatrice. 1.

Ce chapitre s'inspire du livre de Jacques Ribard, Chrétien de 7royes: le Chevalier de la charrette.

Essai d'interprétation symbolique, Nizet, 1972. 2.

Le mystère de la rédemption désigne l'intention de Dieu de sau­ ver les hommes, d'abord cachée puis révélée en la personne du Christ.

Le Moyen Age appelle aussi « mystère » une P.ièce de théâtre mettant en scène un sujet religieux.

Les deux significations semblent pouvoir être employées à propos de ce roman. A l'intérieur de ce thème, se superposent deux niveaux de lecture: l'histoire du salut de l'humanité, et celle d'une quête individualisée. Une histoire de l'humanité Le royaume de Logres, celui du roi Arthur, symbolise la condition humaine, le monde d'ici-bas, voué à la mort: dans Le Conte du Graal, Chrétien nous dit qu'il fut jadis « la terre des ogres», monstres dévoreurs qui représentent l'action du temps, destructeur de toutes choses.

Inversement, le royaume de Gorre est le monde de l'au-delà, qui échappe à la limitation du temps.

« Gor (r) e» est d'ailleurs l'anagramme1 du mot « ogre».

Les deux pôles du récit ne se distinguent donc pas seulement par une opposition géographique.

Le royaume d'Arthur, frappé au début du récit par l'intervention de Satan (Méléagant), symbolise l'humanité devenue esclave du péché; celui-ci entraîne la mort spirituelle, suggérée par l'enlèvement de Guenièvre dans le royaume des morts (Gorre). La présence du héros salvateur amène certains habitants du royaume de Logres à se racheter; ainsi, les organisatrices du tournoi de Noauz reportent à un an leurs projets de mariage (v.

6049-6052).

De leur côté, les captifs emmenés dans le royaume du sombre Méléagant symbolisent les âmes des morts, qui attendent au purgatoire la venue du Sauveur.

A tous, Lancelot apporte, à la fin du récit, une « joie» (v.

7094) qui évoque la béatitude des élus.

Ainsi résumée, l'intrigue laisse deviner les trois étapes du salut chrétien : l'Église mili­ tante, où le héros invite les hommes à s'interroger sur leur misère; l'Église souffrante, où les âmes expient leurs péchés; l'Église triomphante, enfin, qui accède à la félicité de la vie éternelle.

Mais cette lecture ne rend pas compte du rôle par­ ticulier dévolu à Guenièvre. Une quête individuelle du salut Limité à ses trois personnages principaux, Le Chevalier de la charrette illustre l'histoire d'un salut individuel: c'est la lutte entre le Christ-Lancelot et Satan-Méléagant, dont l'enjeu 1.

Une anagramme est un mot obtenu par une autre disposition des lettres d'un mot. est l'âme humaine incarnée par Guenièvre.

La reine connaît une expérience spirituelle supérieure à celle des autres captifs : dans le silence de la nuit, elle échappe à la surveillance du Malin et rencontre l'amour divin avec le Sauveur.

Cet instant unique a la brièveté fulgurante et indicible de la vision qui unit les mystiques à leur Dieu.

La fin du récit ramènera la reine auprès de son époux, le roi Arthur, dans le monde des hommes.

Mais si Guenièvre est la figure centrale de cette quête, de nombreux autres personnages s'y trouvent engagés. LES ACTEURS DU « MYSTÈRE » Figures de l'au-delà A la tête du royaume de Gorre, le roi Bademagu, vieillard plein de sagesse, évoque Dieu le Père.

De lui dépend l'admission des âmes dans l'au-delà : car il n'est pas facile d'y entrer sans l'autorisation du roi. (V.

65()-651 ). Face à lui, Méléagant peut être identifié à Satan, l'ange révolté : il refuse de se soumettre au bien, et préférera la damnation au rachat.

Sa sœur, au contraire, fait office d'ange gardien aux côtés de Lancelot : elle s'associe à Bademagu pour favoriser la mission du Sauveur. Figures d'ici-bas Le couple royal formé par Guenièvre et Arthur incarne l'homme total, l'âme unie au corps.

Arrachée au corps, l'âme souffre violence lorsque Méléagant l'emporte dans le royaume des morts.

Mais la fin du roman réunira les deux époux, tout comme les âmes retrouveront leur corps le jour de la Résurrection, à la fin des temps.

Seule Guenièvre, l'âme, accède à l'aventure spirituelle, dans l'au-delà.

Arthur reste dans le monde terrestre; il est le corps, un peu lourd, lent à s'émouvoir, qui souffre sans vraiment comprendre pourquoi Méléagant l'a ainsi dépossédé: Le roi répond que force lui est bien de le supporter, s'il ne peut y remédier, mais il le ressent douloureusement. {v.

61-63). La quête de Lancelot est jalonnée d'une foule anonyme de dames et de chevaliers.

Demoiselles et vavasseurs hos­ pitaliers gravitent autour du héros, et celui-ci accueille leur «compagnie» (v.

2186) avec autant de simplicité que le Christ acceptant de partager la table et le gîte des hommes. Les deux jeunes gens qui suivent Lancelot jusqu'au Pont de l'Épée pourraient bien évoquer les disciples de Jésus, rem­ plis de douleur et d'impuissance face au sacrifice de leur maître: Ils ne savent plus que lui dire, mais tous deux, saisis de pitié, répandent larmes et soupirs. {v.

3091-3093). A la cour d'Arthur, se distinguent le sénéchal Keu et Gauvain, neveu du roi.

Poussés par leur orgueil, ils tentent en vain de libérer la reine captive.

Leur entreprise échoue car l'enjeu, d'ordre spirituel, dépasse leurs capacités: figures de l'humanité sans Dieu, ils sont de faux messies1. Lancelot, un héros messianique Lancelot doit être placé à part, à la charnière des deux mondes, de !'ici-bas et de l'au-delà.

Comme le Christ.

il est un dieu fait homme.

On sait qu'il a été élevé par la fée du lac (v.

2345-2347), dont la sollicitude lointaine rappelle celle de la Vierge Marie.

Plus tard, dans le Lancelot en prose, écrit vers 1230 par un continuateur anonyme, la ressemblance du héros avec le Christ sera accentuée : Lancelot y sera pré­ senté comme le fils unique d'un mortel, le roi Ban, en qui 1.

Dans la tradition chrétienne, le Messie est le libérateur envoyé sur terre par Dieu, en la personne de son fils, pour sauver l'humanité pécheresse. l'on peut voir une transposition romanesque du charpentier Joseph, père de Jésus.

Par ses silences et ses extases, Lancelot montre qu'il est dans le monde mais non du monde. Sa figure se construit tout au long des quatre actes qui ponc­ tuent le« mystère». UN ITINÉRAIRE BIBLIQUE Le roman s'ouvre sur l'évocation de la Genèse1 (la cour d'Arthur, symbole du paradis terrestre, où s'introduit le mal); il se referme sur celle de la Parousie 2 (le retour de Lancelot, le Sauveur, dans le royaume de Logres).

On a là un condensé de l'histoire sainte, dont il convient de dégager les princi­ paux épisodes. La chute originelle , Dès les premiers vers, une atmosphère d'harmonie et de paix se dégage de l'évocation de la cour d'Arthur réunie autour de son roi.

Mais l'intervention brutale d'un chevalier « armé de pied en cap» (v.

46), dont on apprendra qu'il s'agit de Méléagant, crée une rupture : tel le serpent dans le para­ dis, le mal s'est introduit et va retenir l'humanité prisonnière, Jusqu'à la venue d'un sauveur. La révélation progressive du Messie L'.apparition de Lancelot, surgi des profondeurs de la forêt, frappe par son caractère mystérieux.

La discrétion du héros rappelle celle de Jésus : on retrouve la même humilité, le même désir d'anonymat.

Comme son modèle biblique, le chevalier endure l'outrage et les moqueries.

L'.humiliation de la charrette le rabaisse au niveau des voleurs, qui sont appe­ lés« larrons» en ancien français (v.

330).

Elle implique aussi 1.

Premier livre de l'Ancien Testament.

la Gen_èse raconte la créa­ tion du monde et le péché originel d'Adam et Eve. 2.

Dans la doctrine chrétienne, la Parousie est le second avène­ ment glorieux du Christ sur terre, à la fin des temps. l'idée d'un voyage: le salut ne s'obtient qu'au terme d'une longue et douloureuse quête.

L'hésitation et la crainte sont autant de preuves de l'humanité du Dieu incarné : le dilemme qui assaille Lancelot au moment de monter dans la charrette.... »

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