Sujet traité SUJET 8 Jean-Paul SARTRE (1905-1980) Les Mots, 1964 [ ... ] Sur les terrasses du Luxembourg, des enfants...
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Sujet traité
SUJET 8
Jean-Paul SARTRE (1905-1980)
Les Mots, 1964
[ ...
] Sur les terrasses du Luxembourg, des enfants jouaient,
je m'approchais d'eux, ils me frôlaient sans me voir, je les
regardais avec des yeux de pauvre: comme ils étaient forts et
rapides ! comme ils étaient beaux ! Devant ces héros de chair
et d'os, je perdais mon intelligence prodigieuse, mon savoir
universel, ma musculature athlétique, mon adresse spadassi
ne ; je m'accotais à un arbre, j'attendais.
Sur un mot du chef
de la bande, brutalement jeté:« Avance, Pardaillan ', c'est toi
qui feras le prisonnier », j'aurais abandonné mes privilèges.
Même un rôle muet m'eût comblé; j'aurais accepté dans l'en
thousiasme de faire un blessé sur une civière, un mort.
L'occasion ne m'en fut pas donnée : j'avais rencontré mes
vrais juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indiffé
rence me condamnait.
Je n'en revenais pas de me découvrir
par eux : ni merveille ni méduse, un gringalet qui n'intéressait
personne.
Ma mère cachait mal son indignation: cette grande
et belle femme s'arrangeait fort bien de ma courte taille, elle
n'y voyait rien que de naturel : les Schweitzer sont grands et
les Sartre petits, je tenais de mon père, voilà tout.
Elle aimait
que je fusse, à huit ans, resté portatif et d'un maniement aisé:
mon format réduit passait à ses yeux pour un premier âge
prolongé.
Mais voyant que nul ne m'invitait à jouer, elle pous
sait l'amour jusqu'à deviner que je risquais de me prendre
pour un nain - ce que je ne suis pas tout à fait - et d'en
souffrir.
Pour me sauver du désespoir elle feignait l'impa
tience:« Qu'est-ce que tu attends, gros benêt? Demande-leur
s'ils veulent jouer avec toi.
» Je secouais la tête : j'aurais
accepté les besognes les plus basses, je mettais mon orgueil à
ne pas les solliciter.
Elle désignait des dames qui tricotaient
sur des fauteuils de fer : « Veux-tu que je parle à leurs
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mamans? » Je la suppliais de n'en rien faire; elle prenait ma
main, nous repartions, nous allions d'arbre en arbre et de
groupe en groupe, toujoms implorants, toujoms exclus.
(1) Pardaillan : héros de la série des Pardaillan, roman populaire et
d'aventure de Zevaco, lecture des enfants de la génération de Sartre.
COMMENTAIRE LITTERAIRE
Première partie : 4 points
1.
Combien d'années séparent le jeune Jean-Paul de Sartre,
l'auteur des Mots ? (1 point)
2.
Quelle est la valeur de l'imparfait dans ce texte ? (2 points)
3.
Quelle est la valem du présent dans :
« -
ce que je ne suis pas tout à fait-» (J point)
Deuxième partie : 16 points
Vous ferez un commentaire composé de ce texte.
ETUDE LITTERAIRE
Première partie : 8 points
1.
Quels sont les traits caractéristiques de l'autobiographie
dans ce texte? (4 points)
2.
Citez un exemple de discours rapporté au style direct ; un
exemple de style indirect libre.
(2 points)
3.
Caractérisez le ton de cette phrase : « Devant ces héros de
chair et d'os, je perdais mon intelligence prodigieuse, ma
musculature athlétique, mon adresse spadassine.
» (2 points)
Deuxième partie : 12 points
1.
D'après cet extrait, comment comprenez-vous le titre que
Sartre a choisi de donner à son autobiographie? (6 points)
2.
En vous appuyant sur une étude précise du vocabulaire, de
l'énonciation et des figmes de style, vous analyserez les caractéristiques de la relation entre la mère et le fils, dans ce passage.
(6 points)
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• Commentaire littéraire I
Première partie
1 ) Jean-Paul Sartre
Les Mots fut publié en 1964.
Les souvenirs du Luxembourg
remontent à l'âge de huit ans, ainsi que l'indique le texte :
« Elle aimait que je fusse, à huit ans, resté portatif et d'un
maniement aisé.
» Cinquante et un an séparent donc le jeune
Jean-Paul, de Sartre, !'écrivain.
2 ) La valeur de l'imparfait
Ce récit autobiographique est à l'imparfait et non, comme on
pourrait s'y attendre, au passé simple.
Il s'agit d'un imparfait
itératif au moyen duquel Sartre raconte en une seule fo is des
événements qui se sont produits à plusieurs reprises, des sentiments qu'il a éprouvés chaque fois qu'il allait au Luxembourg.
3 ) La valeur du présent
Il s'agit d'un présent de commentaire : !'écrivain interrompt
un instant le déroulement du récit pour apporter à l'énonciation
de cliscours (« ce que je ne suis pas tout à fait ») une correction
à l'image que pourrait donner de lui ses craintes d'enfant.
Deuxième partie
Le commentaire composé
Sartre est le célèbre auteur de In Nausée (1938), de L'Etre
et le Néant (1943) et de Huis Clos (1944) lorsqu'il publie, à
l'âge de cinquante-neuf ans, une autobiographie intitulée
Les Mots, dans laquelle il retrace son enfance parmi les livres.
C'est au jardin du Luxembourg que le narrateur se trouve
pour la première fois confronté aux autres.
L'écrivain évoque
avec distance et humour ce premier contact avec une réalité
bien différente de celle qu'il s'était imaginée.
En même temps
qu'il se rappelle le sentiment d'exclusion dont il a souffert,
Sartre, orphelin de père, se souvient du lien privilégié qui
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l'unissait à sa mère.
Ainsi que le laisse entendre le titre de
l'autobiographie, l'enfance de l'exclu n'est pas dissociable de
l'avenir de !'écrivain, dont le destin fut placé sous le signe tantôt douloureux, tantôt victorieux des mots.
Dans un récit à l'imparfait itératif, Sartre évoque ses sorties
au jardin du Luxembourg et sa difficulté à s'intégrer au
monde des enfants de son âge et à partager leurs jeux.
Il
observe la société des enfants en spectateur, ne réussissant
pas à y obtenir le moindre rôle d'acteur.
La métaphore du
théâtre permet d'opposer à l'image héroïque des autres celle,
disqualifiée, de soi : « héros de chair et d'os » s'oppose à
« gringalet qui n'intéressait personne » .
Mais l'exclusion s'accompagne d'une auto-exclusion: réponse
orgueilleuse du jeune Sartre à l'indifférence de ses camarades.
Ne pouvant même accéder à un « rôle muet », il adopte un
mutisme de revanche.
L'autobiographie met ainsi en évidence le
rôle des premières expériences sociales dans le développement
ultérieur des thèmes philosophiques chers à Sartre.
On ne peut
que rapprocher cette première confrontation avec l'altérité
menaçante des propos que Sartre prête à l'un de ses personnages dans Huis Clos : « l'enfer c'est les autres ».
Si la rencontre avec les autres ne débouche pas sur une
communication, elle révèle à Sartre une vérité sur lui-même
dont l'avait protégé la fiction.
Prenant conscience de soi à travers le regard des autres, il fait l'épreuve d'une expérience
narcissique douloureuse : au miroir d'autrui son image a
perdu toute la grandeur que lui conférait la projection
héroïque et romanesque.
Ainsi qu'en témoignent les antithèses qui opposent l'image idéale de soi aux illusions perdues.
La métaphore du procès ( « j'avais rencontré mes vrais
juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence me
condamnait » ) voue Sartre à l'exclusion.
Seul le regard de la mère est un regard aimant.
A la fois
médiatrice avec le monde et compagne en exclusion, la mère
tente d'établir, pour son fils, le lien avec les autres.
Mais elle
participe en même temps à l'exclusion par l'exclusivité de
l'amour qu'elle porte à son fils, en le retenant dans le monde
de l'enfance.
Même si cela n'échappe pas à Sartre, celui-ci
rend dans ce passage un hommage discret à l'amour de sa
mère : il devine à son tour, et à distance, ses pensées comme
elle devinait jadis les siennes sans même avoir à échanger un
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