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SUJET Dans sa Défense et Illustration de la langue française, le poète Joachim du Bellay a écrit : « Celui-là...

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« SUJET Dans sa Défense et Illustration de la langue française, le poète Joachim du Bellay a écrit : « Celui-là sera véritablement le poète que je cherche en notre langue, .

qui me fera indigner, apaiser, réjouir, douloi,r, aimer, haïr, admirer, étonner; �ref qui tiendra la bride de mes affections ( = sentiments), me tournant çà et là à son plaisir.

» Quel ést, parmi les poètes que vous connaissez -et aimez, celui qui a le plus complètement réalisé cette belle définition? (Baccalauréat.) RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES 1.

Question d'esthétique poétique assez délicate, parce que la conception moderne de la poésie, conception plus sentimentale qu'active et pfos incantatoire que sentimentale, nous rend assez étranger ce problème des puissa nccs de la puésie sitr le lecteur ou l'auditeur. :t �\1ais dans la lyrique ancienne, celle de l' Antiquité g,·Jco-fu;tine, reprise par le X V/e siècle, le poète était cwant tout l'être privilégié_ qui tient des dieu.1; le mystJ,·ieux pouPoir d'agir sur tes· autres hommes et de modifie,· leurs senti,.rwnts ù son gré.

Cette co,wictiun des forces e.i;traordinaires de la poésie est exprimée dans cle nombreux mythes, dont le plus connu est sûrement celui d'Orphée apaisant les bêtes féroces et allant jusqtt'à entntÎner les pierres.

On raconte aussi l'his­ toire de Tyrtée, poète non légendaire, que les Spartiates chargeaient d'entraîner au combat leurs jeunes soldats.

Ces puissances 4,e la poésie semblaient si exorbitantes à certains penseurs qu'ils tillaient jusqu'à considérer les poètes comme des êtrés dangereux.

Platon_.

les chasse de sa République, parce que, s'ils consacrent cet extraordinaire pouvoir à exciter des passions dissulçantes, ils peuçent ruiner la Cité; il admet toutefois, précisément à cause de cette puissance, une poésie mâle et (( dorienne i1, qui soutiendra la Cité. à.

Ainsi ne pas faire àe contresens : du Bellay ne çeut pas dire, ce qui semit une éçidence sans intérêt, que la poésie proPoque en nous certains sentiments, mais que le poète tient Péritablement à sa disposition les 11wuvements les plus profonds de notre âme comme l'amour ou la ltaine, l'admiration ou le mépris(« me tournant çà et là à son plaisir))), Il faudra donc remarquer successivement l'originalité de cette concep· tiun par rapport aux conceptions modernes, étuclier ensuite l'effet pruduit chez le lecteur et les moyens de cet effet.

Le devoir peut dé/10u­ ·c1ter sur une intéressante discussion des rapports de la puésie et de l'él�(JU!J",ice, èle la ·poésie et du classicisme, etc. 4.

Le suiet était é1Jidemment trop diffic,ile pour être, tel quel, _un suiet de· baccalauréat.

Aussi était-il simplifié par une question iointe, in1Jitant à raisonner·sur un poète du choix du candidat.

Cela changeait é1Jidem0 ment tout.

Nous ne tie_ndrons pas compte de cette restriction. - ( PLAN SCHEMATIQUE Intraduction. Nous avons actuellement une conception.

esthétique de la poésie. La critique ancienne en avait· plutôt une conception efficace .: -le poète est celui q½i cc tiendra la bride de mes affections ii, dit du Bellay. I.

Une conception qui nous surprend un peu. 1.

La poésie moderne est plutôt sentimentale.

Depuis le romantisme, la poésie est devenue synonyme d'émotion un peu ..

rêveuse.

Les sources essentielles du lyrisme romantique sont : l'émoi amoureux, le sentiment de la nature, l'angoisse de la mort et du néant.

Or du Bellay nous propose des ,_sentiments très variés, comme l'admi­ ration, l'indignation, la haine, l'étonnement.

De pareils senti­ ments ne nous semblent pas, en eux-mêmes, poé:�ques_'. 2.

La poésie moderne est plutôt intz:ospective.

Même les sentiments que nous reconnaissons comme poétiques dans le texte de du Beliay (la joie, la douleur) restent plutôt cc intérieurs n dans la' poésie moderne : la poésie moderne, c'est plutôt l'émotion de l'amour que la déclaration d'amour, c'est plutôt rêver d'amour que vivre l'amour. 3.

C'est pourquoi la poésie moderne est plutôt passive.

Un poète qui rêve de lui me fait rêver de moi, alors.

que le poète ancien m·e fait agir.

Ronsard veut se faire aimer de Marie ou d'Hélène, Tyrtée veut faire combaUre les Spartiates. La poèsie moderne est donc a_ssez loin de la conception de du Bellay. Qu'on ne dise pas que ce ·que nous appelons poésie moderne, c'est seulement le fruit d'un mauvais romantisme.

Parnasse et Sym­ bolisme ont contribué à 'détournerla poésie de toute influence sur les hommes.

Agir en se seryant de la poésie serait céder à ce que Baudelaire appelle cc l'hérésie de l'enseignement ».

Par son culte de la poésie pure, de l'incantation qui trouble mais n'incite pas à l'action, ne modifie pas nos passions,.

la poésie moderne nous rend très étrangère la concéption de du Bellay.

Or, à examiner · les choses historiquement, on peut constater que cette conception moderne n'est qu'une conception de la poésie, conception sans doute issue dé la tendance mondaine et précieuse où le poète raffine plutôt qu'il n'agit.

Mais elle n'est pas la seule.

Mêqie de nos jours une autre conception la double, qu'on peut appeler la conception des poètes cc entraîneurs n. II.

La lignée des poètes i< entraîneurs Ji. Ce sont ces poètes auxquels pense du Bellay, des poètes capables de vous prendre votre âme, d'y verser les passions qu'ils veulent,. de provoquer les grands mouvements humains : la haine, l'amour, l'admiration. 1.

Les divisions antiques de la poésie répondent aux différents mou­ vements que celle-ci peut causer.

Dans l'Antiquité, les ge1ires lyriques sont divisés suivant leur pouvoir sur le lecteur et l'audi­ teur.

Veut-on ·réjouir? on compose une ode bachique.

Veut-on susciter la haine? on dispose alors de l'épigramme, de l'iambe, de la satire.

Veut-on indigner contre les désordres politiques? c'est la satire et notamment la« Satire Ménippée», genre que repren­ dra le xvi e siècle.

Veut-on apaiser? c'est l'ode ou l'élégie.

Veut-on provoquer le sentiment amoureux? c'est encore l'élégie, par laquelle / le poète cherche à attendrir sa cruelle maîtresse: Veut-on soulever l'admiration pour un athlète vainqueur? c'est le genre pindarique qui livre à l'admiration publique les vainqueurs d'Olympie. Le poète dispose de tous les sentiments des hommes.

Il les pousse au combat comme Tyrtée, à l'enthousiasme patriotique comme Virgile.

Archiloque força même, dit-on, un homme à se suicider en l'accablant sous.ses traits satiriques; Le xvi e siècle, admirateur des Anciens et toujours porté à placer haut le rôle du poète dans la cité, reprend cette conception.

Ronsard cherche à inspirer·' la sagesse à Charles IX, le patriotisme au peuple de France, l'amour au cœur de Marie.... »

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