Sociologie du « yé-yé » : le regard d’Edgar Morin
Publié le 23/01/2013
Extrait du document
«
Reichstag si ce n’est un certain parti pris de musicalité ? » ( Le Figaro , 24 juin 1963).
L’ère du
« yé-yé » est ouverte.
Edgar Morin (né en 1921), quant à lui, ne s’emballe pas.
Dans deux articles du Monde
publiés deux semaines après le concert, les 6 et 7-8 juillet 1963, l’auteur des Stars (1956) et
de L’Esprit du temps.
Essai sur la culture de masse (1962), va tenter d’interpréter, en une
démarche inusitée pour un sociologue, l’événement sur le vif 2
.
Dans le premier volet intitulé
« Une nouvelle classe d’âge », il se concentre sur les nouveaux « décagénaires » – c’est-à-dire
les teenagers – et leur musique, concluant que « la constitution de [cette] nouvelle classe
d’âge est un aspect du développement de la culture de masse » 3
.
Dans le deuxième article
consacré au « yé-yé », le sociologue se propose d’analyser la soi-disant « frénésie » des jeunes
sans tomber dans la critique des adultes.
C’est ce texte auquel nous allons nous intéresser en
détail 4
.
On sait qu’à l’origine, le mot frénésie désignait une maladie mentale.
Nous sommes
bien dans un contexte d’ aliénation avec les termes de « possédées, hurlantes, pâmées,
défaillantes », qui évoquent des comportements de femmes envoûtées et jouissant
sexuellement sans faire l’amour.
Or les adultes, observe Morin, ne sont pas non plus à l’abri
d’un tel comportement irrationnel : certains hommes frémissent au son d’une marche militaire
(même s’ils ne jouissent pas, ou du moins rarement).
Donc leur rejet est instinctif et irréfléchi.
Morin leur concède qu’il y a une « frénésie à vide », une « exaltation sans contenu »
provoquée par la musique, mais cela n’a rien d’inquiétant.
Il faut analyser.
Premièrement, la « frénésie » stigmatisée par les bien-pensants doit être comprise
comme la réaction naturelle , « élémentaire », d’une civilisation hypersophistiquée et
« abstraite » contre ses propres excès.
Réactivant la vieille antinomie entre nature et culture,
Morin oppose l’être « biologique » à l’être « artificiel ».
En l’adolescent, l’être biologique
réagit instinctivement contre la société des « temps modernes », contre la réduction de sa vie à
une existence purement machinale.
Un quart de siècle plus tôt, Charlot réagissait par une
dépression nerveuse à l’existence devenue invivable dans le monde industrialisé dominé par
le fordisme.
Deuxièmement, le twist, et plus généralement le phénomène yé-yé, réactive les
anciens rites d’initiation, avec la différence qu’on n’entre plus dans un groupe après avoir
accompli une action exemplaire : il suffit tout simplement d’affirmer son adhésion.
Pour faire
2
Nous citons les deux articles d’après Morin, E., Sociologie .
Édition revue et augmentée par l’auteur, Paris,
Fayard, 1994, p.
399-407.
3
Morin, E., ouvr.
cité , p.
401.
4
Voir l’annexe.
2.
»
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