Satire et ironie Le but essentiel de Voltaire est de ridiculiser la théorie de Leibniz, mais aussi de dénoncer la...
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Satire et ironie
Le but essentiel de Voltaire est de ridiculiser la théorie de
Leibniz, mais aussi de dénoncer la sottise et l'injustice
humaines.
Sa réussite tient au choix d'un récit à la fois
réaliste et merveilleux, que pénètrent discrètement mais
efficacement satire et ironie.
RÉALISME ET
OBJECTIVITÉ APPARENTE
Candide se présente sous la forme d'un récit à la troisième
personne raconté par un narrateur anonyme qui ne saurait
être Voltaire, puisque ce dernier, pour prendre de plus grandes
distances par rapport à l'histoire, a pris le soin d'attribuer
l'œuvre à un auteur allemarid inconnu.
Le conte s'ouvre de
la manière la plus traditionnelle qui soit ( « Il y avait en
Vestphalie »), propre à rassurer le lecteur: ce n'est pas une
discussion philosophique ni un traité théorique contre fopti
misme (comme aurait pu le suggérer le sous-titre1 ), mais bel
et bien un récit relatant les aventures d'un jeune homme.
Les procédés narratifs suggèrent la plus grande objectivité :
sur un ton apparemment neutre, Voltaire fait se suivre des
descriptions sobres et brèves, reproduit des dialogues ou livre
des faits à l'état pur sans jamais intervenir personnellement soit
pour émettre un quelconque jugement soit pour apporter une
accusation contre telle ou telle pratique.
L'auteur se garderait
bien d'imposer à son lecteur une critique qui, brutalement ou
clairement formulée, perdrait sans nul doute sa force.
A un premier niveau donc, le lecteur va se révolter de lui
même contre les événements horribles qui lui sont présentés.
1.
Le conte s'intitule Candide ou /'Optimisme
Car les faits rapportés ne sont pas seulement possibles, ils
sont vrais : la terre a tremblé à Lisbonne, l'amiral Byng a été
fusillé à Portsmouth, !'Inquisition a fait rôtir des gens au
Portugal, les nations d'Europe se sont brûlé un nombre
appréciable de villes et villages au nom du droit public, les
viols sont tolérés de la part de messieurs les militaires après
chaque combat héroïque, la vérole importée d'Amérique fait
des victimes partout, on châtre des jeunes gens en Italie
pour en faire des chanteurs de la Sixtine, le jeu et la tricherie
sévissent dans les salons parisiens, etc.
Voltaire, pour
l'essentiel, n'invente pas.
et tous ses lecteurs le savent.
li
n'invente pas non plus pour les détails, même les plus inutiles
d'apparence.
Nous avons vu à quel point il suivait minutieusement.
pour le chapitre de l'autodafé, les témoignages qui
avaient été publiés en France et en Allemagne'.
li fait de
même partout.
L'énorme documentation qu'il a accumulée et
décantée pour écrire son Essai sur les mœurs lui fournit, à
chaque page, le détail caractéristique qui authentifie ou qui
fait sourire, qu'il s'agisse de la monnaie, des repas, ou des
coutumes.
Même !'Eldorado s'insère dans la réalité, puisque
ce pays imaginaire a longtemps été considéré comme réel :
Voltaire indique sa source dans le texte (chap.
18), il a lu le
récit du chevalier Raleigh, envoyé par la reine Elisabeth l'e en
1595 pour en retrouver le chemin.
Cette exactitude constante favorise la confiance du lecteur,
et fait accepter les invraisemblances et les exagérations.
Ainsi, la chronologie du conte mélange des faits historiques
qui se sont déroulés à différentes périodes, ou montre à la
même table, à Venise, deux princes dont l'un était mort
quand l'autre naquit.
Mais la rapidité du récit empêche le
lecteur de se poser trop de questions.
De plus, la caricature,
pour le portrait de Pangloss, est énorme, mais elle est fondée
sur le vrai 2 , et proportionnelle à cette vérité en quelque sorte,
comme celle de Mascarille, de Vadius et Trissotin chez
Molière.
Nous quittons le réalisme pour une sorte de surréalisme comique, terriblement efficace.
Tous les grossissements deviennent possibles, les coïncidences les plus invraisemblables nous étonnent à peine, elles sont naturelles.
1.
Cf.
p.
40 et suivantes.
2.
Cf.
p.
54-55.
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Voltaire peut faire arriver Candide à Lisbonne ou à Portsmouth
juste au moment où il faut ressusciter Pangloss pendu et le
baron transpercé, perdre, retrouver, reperdre et retrouver
Cunégonde ; il peut inventer des situations de vaudeville
aussi cocasses que le partage de Cunégonde selon les jours
de la semaine entre un Inquisiteur et un Israélite, dénoncer
à chaque page un ridicule ou une abomination, nous le
suivons : nous sommes aussi admiratifs que Candide devant
ce kaléidoscope imprévisible et pourtant impossible à mettre
en doute, dix fois plus cohérent que toutes les démonstrations
de Pangloss.
Et si nous avons tout de même envie, parfois, de crier à
l'absurde, tant mieux, c'est encore un effet cherché: l'impression d'absurde est ce qui nous guérira le plus sûrement
de l'optimisme béat et de l'harmonie préétablie.
Voltaire joue
d'ailleurs sur deux tableaux : tantôt il introduit dans le récit
des hasards niant les liens de causalité des événements qui,
selon Pangloss, mènent le monde vers le bien, tantôt il
enchaîne rigoureusement les faits pour aboutir à des maux
toujours plus grands et injustifiés.
Parfois aussi, il mélange
les deux procédés: toute l'histoire ne découle-t-elle pas d'une
succession implacable au premier chapitre, malicieusement
due au précepteur ? Pangloss exerce sa sensualité sur la
femme de chambre, Cunégonde les voit et veut les imiter
avec Candide derrière un paravent, son père passant par
hasard les surprend et chasse le jeune garçon.
Ainsi la présentation même des péripéties, malgré ou plutôt
à cause de l'objectivité apparente, infléchit le conte vers la
satire, par une collaboration étroite de l'habileté voltairienne
et des réactions spontanées du lecteur.
Mais Voltaire ne s'en
tient pas là.
Î
1
l
LA CRITIQUE
SOUS-JACENTE
L'EMPLOI DE L'IRONIE
La critique transparaît à travers le texte par des insinuations
et des sous-entendus.
Tout l'art de l'auteur consiste à ne
pas exprimer directement sa pensée mais à la laisser aisément
percevoir.
Sans jamais se manifester ouvertement, il dirige
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1
les moindres détails pour aboutir à notre indignation.
Prenons
pour exemple le chapitre 3 qui décrit le conflit des Bulgares
et des Abares : à aucun moment, Voltaire ne s'insurge contre
les horreurs du combat qu'il décrit, au contraire, comme un
observateur objectif et distant.
Pourtant, la cruauté et
l'absurdité humaines éclatent à chaque mot.
L'auteur feint
d'abord d'approuver la logique de la guerre et commence par
admirer la beauté des deux....
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