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Qu'est-ce Que les Lumières l La définition des Lumières est un souci constant au xvm• siècle, parce que l'objet et...

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« Qu'est-ce Que les Lumières l La définition des Lumières est un souci constant au xvm• siècle, parce que l'objet et les enjeux de cette lit­ térature d'idées doivent sans cesse être rappelés, pré­ cisés, caractérisés avec la plus grande rigueur et la plus fine précision.

Rarement un mouvement semble avoir eu autant coriscience de son unité et de ses différences, si bien que ses auteurs ont consacré une part impor­ tante de leur œuvre à débattre de leur inscription dans le cadre trop large (et parfois contradictoire) du siècle des Lumières.

Ainsi, à côté du discours de la pensée des Lumières, s'est développé un méta-discours sur les Lumières, distinct et pourtant inséparable du reste des textes.

C'est particulièrement le cas en Allemagne, où le débat fait rage quelque temps avant la Révolution française, pour déterminer ce que sont les Lumières et ce qu'elles peuve nt apporte r à l'homme.

Kant et Mendelssohn apporteront ainsi une réponse différente à la même question: qu'est-ce que les Lumières?Tout se passe en fait comme si les philosophes du siècle, avant de prolonger leur investigation, devaient définir leur méthode: avant d'éclairer, encore faut-il détermi­ ner.ce qu'est éclairer, et comment l'on éclaire.

La méta­ phore des «Lumières» de l'entendement demande ainsi à être explicitée, et son emploi dans les textes (cf.

le Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot), perme t de préciser ce que signifie «éclairer».

Enfin, comprendre les Lumières, c'est aussi et peut-être sur- tout comprendre qui éclaire: le Philosophe, figure cen­ trale du siècle, préoccupe de nombreux auteurs qui ten­ teront de définir ses caractéristiques comme son rôle. Cependant, avant d'aller à la rencontre de ces Lumières et de leurs philosophes, il faut remonter plus avant et voir d'où elles proviennent: la fin du XVIIe siècle marque déjà les débuts de l'esprit des Lumières. 1.

Les débuts de l'esprit des Lumières Fontenelle, Histoire des oracles, 1, 4, 1687. 30 Fontenelle ( 1657-1757) présente la particularité d'avoir vécu à cheval sur le xv11• et le xvm• siècle; son œuvre appar­ tient certes au xv11• (il a arrêté d'écrire au début du xvm•), mais l'esprit qui se dégage de certains de ses textes est proche de celui des Lumières; il apparaît donc comme un témoin et un acteur privilégié de leur naissance.

Secrétaire de l'académie des Sciences, il préfigure le philosophe rationnel qui s'imposera comme modèle aux auteurs du xvm• siècle. Son Histoire des Oracles, dont le but est de réfuter les croyances et les superstitions pour leur substituer la raison, annonce ainsi les combats les plus célèbres de Voltaire contre les vaines querelles de la religion.

La célèbre anecdote de «la dent d'or» apparaît comme l'exemple d'un plaidoyer pour ce que l'on appellera la science expérimentale.

Toute l'originalité de ce texte est qu'il mime dans sa construction la méthode qu'il défend : demandant que l'on vérifie les faits avant de bâtir une théorie à partir d'eux, il narre d'abord une anecdote avant d'en tirer une réflexion générale.

L'utilisation du registre ironique n'est enfin pas sans annoncer l'une des armes les plus célèbres des philosophes des Lumières. 5 10 15 20 25 Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause.

Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent natu­ rellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait; mais enfin_ nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est I point. Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle passé à quelques savants d'Allemagne, que je ne puis m'empêcher d'en parler ici. « En 1593, le bruit courut que, les dents étant tombées à un enfant de Silésie 2 âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or à la place d'une de ses grosses dents.

Horstius 3, professeur en médecine dans l'uni­ versité de Helmstad, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs! Figurez-vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens ni aux Turcs! En la même année, afin que cette dent d'or ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit l'histoire.

Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment 4 que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique.

Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier.

Il ne manquait autre chose à tant de beaux 1.

Il faut ici prendre le verbe être au sens d'exister. 2.

Silésie: région d'Europe centrale, aujourd'hui en Pologne. 3.

Tous les noms de cette anecdote sont bien sûr inventés par Fontenelle, qui parodie ici les noms à consonances latines. 4.

Sentiment : opinion, pensée. ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfèvre l'eut examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent, avec beaucoup d'adresse : mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre.

» Rien n'est plus naturel que d'en faire autant sur toutes sortes de matières.

Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous _est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison.

Cela veut dire que, non seulement nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d'autres qui s'accommodent très bien avec le faux. 2.

Lumières et Aufklarung Les Lumières ne sont pas un mouvement exclusivement français : elles ont les dimensions de l'Europe entière.

Les voyages de Voltaire chez Frédéric de Prusse et de Diderot chez Catherine de Russie témoignent de l'aspect cosmopolite des Lumières.

Le mouvement se développe ainsi dans des pays comme l'Allemagne, où les Lumières deviennent, sur le même modèle métaphorique, l'Aufk/éirung.

Deux philosophes allemands proposent chacun, dans des ouvrages au titre très ressemblant, leur définition de ce courant et de ses caracté­ ristiques. Kant, Qu'est-ce que les Lumières?, 1784. Kant ( 1724-1804), philosophe allemand dont les textes tentent de fixer les limites et la compétence de la raison, écrit Qu'est-ce que les Lumières? pour tenter de définir son entre-· prise.

C'est l'occasion, pour lui, de peindre la philosophie des Lumières comme une libération de l'homme grâce à la pen- 30 35 40 sée : faisant usage de son «propre entendement», l'homme peut alors raisonner sans l'aide ou la «tutelle» d'autrui.

C'est donc à l'autonomie et à la responsabilité de l'individu devenu majeur que mènent les Lumières. Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement I sans la conduite d'un autre.

On est sois même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l'entende­ ment mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre. Sapere aude2 ! Aie le courage de te servir de ton propre 10 entendement! Voilà la devise des Lumières. Mendelssohn, Que signifie éclairer?, 1784. La même année que Kant, un autre philosophe allemand propose sa définition des Lumières, dans une démarche qui frappe par sa rigueur.

Mendelssohn (1729-1786) oppose ainsi la «civilisation» et les «Lumières», ces dernières se trouvant rabattues sur le seul champ théorique.

Les Lumières, pour Mendelssohn, sont donc intimement liées à la connaissance et à la réflexion théoriques; le champ lexical de la raison, omni­ présent dans ce passage, témoigne déjà de l'importance de ce modèle dans toute définition des Lumières. l.

Entendement: ce mot désigne, en philosophie, la faculté de com­ prendre. 2.

Sapere aude: expression latine, qui signifie « ose comprendre» et dont Kant propose sa propre traduction dans la phrase qui suit. La culture se décompose en ci,vilisation et Lumières. La ci,vilisation semble se porter davantage vers le pra­ tique : la qualité, le raffinement et la beauté sont recherchés dans l'artisanat, les arts et les mœurs sociales (c'est l'aspect objectif) ; le savoir-faire, le travail soigné et l'habileté dans les premiers 1, les pen­ chants, les instincts, les habitudes dans les dernières 2 (c'est l'aspect subjectif) .

Plus ces dernières correspon­ dent chez un peuple à la destination de l'homme, plus on lui reconnaît de civilisation, de même qu'à un terrain on attribue d'autant plus de culture et d'activité agricole qu'il a été mis par l'industrie des hommes en état de produire des choses utiles à l'homme.

Les Lumières en revanche semblent se rapporter davantage au théorique, à une connaissance rationnelle (partie objective) et un savoir-faire (partie subjective) per­ mettant une réflexion raisonnable sur les choses de la vie humaine en fonction de leur importance et de leur influence sur la destination de l'homme. Je pose toujours la destination de l'homme comm� mesure et but de toutes nos aspirations et de tous nos efforts, comme un point vers lequel nous devons diri­ ger nos regards si nous ne voulons nous perdre. Une langue acquiert des Lumières grâce aux sciences et de la civilisation grâce aux relations sociales, à la poésie et à l'éloquence.

Par les premières, elle devient plus apte à l'usage théorique, grâce aux secondes à l'usage pratique.

Les deux ensemble (Lumières et civilisation) donnent à une langue de la culture. 1 Trad.

J.

Mondot. © Publications de l'université de Saint-Étienne 1.

Autrement dit, dans «l'artisanat [et] les arts». 2.

Autrement dit, dans «les mœurs sociales». 5 10 15 20 25 30 3.

La métaphore des Lumières Diderot, Supplément au Voyage de Bougainville, 1, 1772. Denis Diderot ( 1713-1784) écrit le Supplément au Voyage de Bougainville dans le b ut d'exposer «l'image idéale d'une société libérée de tous les despotismes et où chacun serait maître de soi, maître chez soi».

À travers le dialogue de A et B, qui commentent le Voyage du navigateur Bougainville 1, Diderot contrib ue à développer l'image du Bon Sauvage 2, figure centrale des Lumières.

Les Tahitiens participent d'une société idéale fondée sur la liberté de ses membres.Au début du dialogue, A et B discutent les mérites du texte de Bougainville, et B loue les qualités de ce récit de voyage.

La métaphore des Lumières 3 est constamment reprise, et c'est finalement l'idéal philosophique du siècle que définit ici Diderot A.

- Toujours ce Voyage de Bougainville ? R - Toujours. A.

-Je n'entends rien 4 à cet homme-là.

L'étude des mathématiques, qui suppose une vie sédentaire, a rem­ s pli le temps de ses jeunes années; et voilà qu'il passe subitement d'une condition méditative et retirée au métier actif, pénible, errant et dissipé de voyageur_ B.

- Nullement.

Si le vaisseau n'est qu'une maison 1.

Louis-Antoine de Bougainville (1729-1811), mathématicien et capitaine de vaisseau du Roi, explora le monde de novembre 1766 à mars 1769, et visita en particulier Tahiti_ Il publia en 1771 son Voyage autour du monde. 2.

Voir à ce sujet l'encadré, p.

77. 3.

Sur c� point, voir la présentation, p.

9-10. 4.

Je n'entends rien: je ne comprends rien. flottante, et si vous considérez le navigateur qui tra­ verse des espaces immenses, resserré et immobile dans une enceinte assez étroite, vous le verrez faisant le tour du globe sur une planche, comme vous et moi le tour de l'univers sur notre parquet. A.

- Une autre bizarrerie apparente, c'est la contradiction du caractère de l'homme et de son entreprise 1• Bougainville a le goût des amusements de la société.

Il aime les femmes, les spectacles, les repas délicats.

Il se prête au tourbillon du monde d'aussi bonne grâce qu'aux inconstances de l'élément sur lequel il a été ballotté.

Il est aimable et gai.

C'est un véritable Français lesté, d'un bord, d'un traité de cal­ cul différentiel et intégral 2, et de l'autre, d'un voyage autour du globe. B.

- Il fait comme tout le monde : il se dissipe après s'être appliqué, et s'applique après s'être dissipé. A.

- Que pensez-vous de son Voyage? B.

- Autant que j'en puis juger sur une lecture assez superficielle,j'en rapporterais l'avantage à trois points principaux : une meilleure connaissance de notre vieux domicile et de ses habitants; plus de sûreté sur des mers qu'il a parcourues la sonde à la main, et plus de correction dans nos cartes géographiques. Bougainville est parti avec les lumières nécessaires et les qualités propres à ses vues : de la philosophie, du courage, de la véracité, un coup d'œil prompt qui saisit les choses et abrège le temps des observations; de la circonspection 3, de la patience; le désir de voir, de s'éclairer et d'instruire, la science du calcul, des méca- 10 15 20 25 30 35 1.

Entreprise: mise à exécution d'un projet. 2.

Différentiel et intégral: deux modes de calcul mathématique. 3.

Circonspection : prudence, retenue, discrétion. 3 40 niques, de la géométrie, de l'astronomie et une teinture suffisante d'histoire naturelle. A.

- Et son style ? B.

- Sans apprêt, le ton de la chose; de la simplicité et de la clarté, surtout quand on possède la langue des marins. 4.

La figure du Philosophe Le Philosophe, à la fois héritier de l'honnête homme du xv11• siècle et préfiguration de l'intellectuel de la fin du x1x• siècle, est l'homme des Lumières par excellence. Trouvant peut-être sa réalisation la plus aboutie dans la figure de Voltaire, il est celui qui, guidé par la raison, sait discerner le vrai du faux, mais aussi celui qui ne craint pas de s'engager dans de justes causes, pour dénoncer les abus de la société d'Ancien Régime, l'injustice et l'intolérance (comme Voltaire lors de la fameuse affaire Calas).

En même temps sage et savant, homme de dialogue et de contestation, défenseur de la liberté dans la théorie comme dans sa pratique d'homme d'action, le Philosophe porte en lui, à l'instar de l'Encyclopédie, quelque chose de l'esprit totalisant caractéristique du siècle. Voltaire, Lettre à M.

Helvétius, 15 septembre 1763. Voltaire ( 1694-1778) est, pour les lecteurs de son siècle comme pour ceux d'aujourd'hui, le symbole même du philo­ sophe.... »

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