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Portrait de Don Juan par Sganarelle Acte 1, scène 1 CONTEXTE Ce texte se situe à la fin de la...

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« Portrait de Don Juan par Sganarelle Acte 1, scène 1 CONTEXTE Ce texte se situe à la fin de la scène d'exposition: après avoir maintenu le pauvre Gusman dans un suspense habilement ménagé, Sganarelle procède à une transition vers le vif du sujet, à savoir la personnalité de Don Juan. Le dialogue qui se poursuit entre les deux valets ne manque pas de saveur.

Ils apparaissent tous les deux comme des ré­ pliques de leurs maîtres respectifs.

L'honnête Gusman est horri­ fié par les ab"nnes de noirceur que Sganarelle lui laisse entrevoir. Il se réfère avec onction aux« saints nœuds du mariage », ce qui suscite cette objection définitive de Sganarelle: « .•• tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme est Don Juan.

» Le serviteur de Done Elvire rappelle alors comme autant d'arguments a contrario tous les signes donnés par Don Juan de la passion la plus sincère.

Pour convaincre le naïf incrédule, Sganarelle se décide à dresser un portrait véridique de son maître. Ce passage est donc l'aboutissement de toute une progression qui commence par l'éloge du tabac et passe par l'abandon d'Elvire pour mener jusqu'à la psychologie de Don Juan. TEXTE SGANARELLE: Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu connaissais le pèlerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui.

Je ne dis pas qu'il ait changé de sen­ timents pour Done Elvire, je n'en ai point de certitude encore: tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos, que tu vois en Don Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un Diable, un Turc, 10 un Hérétique, qui ne croit ni Ciel, [ni saint, ni Dieu}, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'Epicure, en vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances [chrétiennes} qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous 15 croyons.

Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse: crois qu'il aurait plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat.

Un mariage ne lui coûte rien à contracter; il ne se sert point d'autres pièges pour attraper les belles, et c'est un épouseur à 20 toutes mains.

Dame, damoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui; cet si je te disais le nom de toutes celles qu'il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir.

Tu demeures surpris et changes de couleur à ce êlis25 cours; ce n'est là qu'une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau.

Suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'ac­ cable quelque jour; qu'il me [vaudrait} bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant 30 d'horreurs, que je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j'en aie: la crainte en moi fait l'office du zèle, bride mes senti­ ments, et me réduit d'applaudir bien souvent à ce que 35 mon âme déteste.

Le voilà qui vient se promener dans ce palais: séparons-nous; écoute, au moins je t'ai fait cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche; mais s'il fallait qu'il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais 4o menti. 5 ) MATÉRIAUX Civilisation ► Epicure (1.

12) est un philosophe grec (341-270 av.J.- C.); aucun texte de lui n'a été conservé.

Il nous est connu par le poète latin Lucrèce (9 8-55av.J.-C.) et par Diogène Laërce (111° s.

après J.-C.).

Il estimait que l'homme doit avant tout chercher son plaisir et, en cela, il était fait pour plaire aux libertins. Cependant, son idéal était plutôt ascétique puisqu'il disait que du fromage et de l'eau suffisaient à son bonheur. Il était donc loin de conseiller la débauche; mais ses adversaires caricatu­ rèrent sa pensée qui s'écartait trop de la pensée dominante.

Ils utilisaient l'ex­ pression «pourceau d' Epicure » pour désigner ses disciples, empruntant cet­ te expression au poète latin Horace (65-8av.J.-C.); pourceau signifie «porc», «cochon». Sganarelle se réfère évidemment à cette image stéréotypée et populaire (non scientifique) du philosophe grec. ► Sardsnsps/e (1.

12): il s'agit d'un roi d'Assyrie légendaire, réputé pour ses énormes débauches.

Il a souvent été représenté par les peintres. ►Lemsrlage(l.18):il importe de garder à l'esprit que le mariage «sacrement» chrétien, au XVll0 siècle, n'était pas une institution banalisée et révocable com­ me c'est le cas aujourd'hui.

L'expression « les saints n(Euds du mariage» qu'emploie Gusman dit bien ce qu'elle veut dire.

Briser l'interdit par l'adultère était une faute grave.

Ridiculiser un sacrement en l'utilisant comme une ruse l'était au moins autant. Langue ► Le pèlerin (1.2) : le mot désignait seulement à l'origine celui qui participait à un pèlerinage (déplacement vers un lieu saint).

Mais il acquit une connotation pé­ jorative, qu'il a conservée aujourd'hui.

On dit encore: «C'est un drôle de pè­ lerin.

» ►Inter nos (1.

7):locution latine signifiant « entre nous"· Les gens cultivés (mais non Sganarelle) avaient tous appris le latin et émaillaient leurs propos de réfé­ rences à cette seconde langue. ► Un Turc (1.

9): même si Louis XIV avait noué des relations diplomatiques avec la Turquie, les Turcs, qui dominaient alors le monde islamique, incarnaient le type même de l'infidèle. ► Un Hérétique (1.10): celui qui, tout en restant à l'intérieur d'une religion, émet des idées qui s'écartent du dogme, c'est -à-dire de la vérité à laquelle on n'a pas le droit de toucher.

Le terme ne correspond pas à Don Juan qui est soit athée soit agnostique.

Mais le mot «hérétique».

comme d'ailleurs le mot «athée», servait indifféremment pour tous ceux qui s'écartaient de la norme. ► Loup-garou (1.11): homme capable de se transformer en loup.

Se rattache à tout un univers de croyances populaires très fortes. ►Il traite de billevesées (1.

14): il considère comme des idioties, des sornettes, des sottises••• ► Un épouseur à toutes mains (1.

19)·: Sganarelle recourt à une expression em­ ployée pour les chevaux.

Un cheval «à toutes mains» est un cheval qui peut être monté par un cavalier ou utilisé pour tirer une voiture.

Molière joue à la fois sur le rapprochement femme-cheval et sur la référence aux «mains ».

Mais on peut imaginer que Sganarelle emploie l'image innocemment. ► Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne (1.

20): nous avons w que toutes les catégories sociales étaient représentées dans Dom Juan.

Il en va de même dans l'éventail des conquêtes de Don Juan. La dame désignait la femme d'un seigneur ou la suzeraine elle-même. Comme Done dans Done Elvire, le mot dame vient du latin domina = femme du seigneur (dominus) ou maitresse, propriétaire. Le bourgeois tendant toujours à se rapprocher de la noblesse, des femmes de la grande bourgeoisie s'appropriaient le mot dame.

Furetière, dans son dic­ tionnaire, estimait que le mot «s'avilissait» par un tel usage. La demoiselle était la fille d'un noble.

On disait, dans le passé, damoi­ selle, comme on disait damoiseau pour un jeune homme noble; mais, au XVll8 siècle, «demoiselle» tendait déjà à l'emporter sur «damoiselle». ► En dépit que J'en ale (1.

32): malgré la répugnance que cela m'inspire. ► Me réduit d'applaudir (1.

34): me contraint à applaudir. Technique flréâtrafe Nous sommes toujours dans la scène d'exposition.

Sur la fonction de cette scène, se reporter pages 37 et 40. IDÉE DIRECTRICE ET MOUVEMENT DU TEXTE • Dans un premier temps.

Sganarelle répond enfin aux ques­ tions dont le presse Gusman sur la raison du départ soudain de Don Juan qui a quitté Elvire en pleine lune de miel.

En fait, il est amené à avouer que, concrètement.

il n'en sait rien.

puisque son maître ne lui a pas fait de confidence.

Mais il compense cette la­ cune par sa connaissance de la vie dissolue de Don Juan.

Cela donne un premier portrait qu'il déroule dans une longue phrase s'étendant jusqu • à « tout ce que nous croyons». • Ensuite, dans une deuxième partie, Sganarelle entreprend de dessiller les yeux de Gusman en lui expliquant ce que représente le mariage pour Don Juan: non un engagement éternel mais un moyen de conquête.

Ce mouvement commence par: « Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse...

» et va jusqu'à: «ce serait un cha­ pitre à durer jusques au soir». • Après avoir savouré l'effet produit sur son interlocuteur, Sganarelle propose ses propres commentaires sur le «grand sei­ gneur méchant homme».

Cette troisième phase du texte est très importante car on y trouve pour la première fois la référence au « courroux du Ciel» qui annonce le châtiment final.

En confiant son opinion à Gusman, Sganarelle expose la nature de ses rela­ tions avec son mai"tre, dominées par la peur que celui-ci lui ins­ pire.

Le valet de Don Juan avoue la duplicité à laquelle la tyran­ nie de son maître le contraint. • Gusman et les spectateurs auront l'occasion de constater la réalité de ces dires: apercevant son maître, Sganarelle change d'attitude.

Il passe du ton de supériorité adopté envers Gusman à l'humilité du valet battu.

Il semble regretter ses épanchements et prend ses précautions au cas où son maître apprendrait son -double jeu.

Il retrouve sa morgue antérieure pour mettre en gar­ de Gusman, si celui-ci osait le dénoncer: « ...

je dirais haute­ ment que tu aurais menti» (alexandrin). Ce quatrième mouvement commence avec les mots par les­ quels Sganarelle signale la présence de Don Juan: «Le voilà qui vient se-promener dans ce palais...» Cette dernière phrase sert de conclusion au portrait de Don Juan par Sganarelle et apporte un contraste comique avec tout ce qui précède. AXES D'EXPLICATION Suite de l'exposition On s'aperçoit ici que le véritable objet de la scène n'est pas, comme on a pu le croire, l'affaire de Done Elvire dont s'entre- tiennent les deux valets.

L'abandon de celle-ci par Don Juan, tout en étant le centre principal de l'intrigue, n'est, en soi, qu'un épisode dans la masse innombrable des aventures galantes de Don Juan. Le mouvement de toute la scène l repose sur une série de re­ tards apportés par Sganarelle dans les explications qu'il livre à Gusman.

Quand il doit enfin dire ce qu'il sait, il avoue tout sim­ plement son ignorance de la situation, puisque Don Juan n'a pas eu le temps de l'informer.

Cette reculade lui permet d'aborder le thème qui lui tient à cœur et qui constitue la véritable finalité de la scène: la personnalité de Don Juan.

C'est, en"effet, de sa connaissance intime de la vie de son maître qu'il tire son inter­ prétation des malheurs de Done Elvire. Celle-ci, d'après lui, n'a rien à espérer, elle a été la victime d'un séducteur qui met tout son plaisir dans la conquête mais ne s'attarde pas à la possession.

Ce séducteur est un simulateur qui excelle à donner le change.

Dans cette perspective, l'histoire de Done Elvire--R'apparaît que comme une simple illustration de la stratégie de Don Juan.

Le catalogue des triomphes amoureux de celui-ci remet cet épisode à sa juste place.

L'essentiel est non l'effet, mais la cause, et la cause est en Don Juan lui-même, dans sa vision du monde, dans sa philosophie de la vie, dans son athéisme, dans son libertinage.

C'est pourquoi, dans son portrait de ce «loup-garou», de cet «hérétique», Sganarelle passe du li­ bertinage amoureux au libertinage intellectuel, du cynisme envers les femmes à la provocation envers le Ciel. On aborde ici, dès l'ouverture, le véritable sujet de la pièce: le personnage de Don Juan.

C'est pourquoi le portrait qu'en fait Sganarelle se révèle l'aboutissement d'une longue progression destinée à accroître la tension et à aiguiser l'intérêt de Gusman et du spectateur.

On.... »

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