Montesquieu, Les Lettres persanes, lettre CLXI. ROXANE A USBEK. A Paris. Oui, je t'ai trompé ; j'ai séduit tes eunuques...
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Montesquieu, Les Lettres persanes, lettre CLXI.
ROXANE A USBEK.
A Paris.
Oui, je t'ai trompé ; j'ai séduit tes eunuques ; je me suis jouée de ta jalousie; et j'ai su de
ton affreux sérail faire un lieu de délices et de plaisirs.
Je vais mourir; le poison va couler dans mes veines : car que ferais-je ici, puisque le seul
homme qui me retenait à la vie n'est plus? Je meurs; mais mon ombre s'envole bien
accompagnée : je viens d'envoyer devant moi ces gardiens sacrilèges, qui ont répandu le
plus beau sang du monde.
Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule, pour m'imaginer que je ne fusse dans le
monde que pour adorer tes caprices ? que, pendant que tu te permets tout, tu eusses le
droit d'affliger tous mes désirs? Non: j'ai pu vivre dans la servitude; mais j'ai toujours été
libre: j'ai réformé tes lois sur celles de la nature; et mon esprit s'est toujours tenu dans
l'indépendance.
Tu devrais me rendre grâces encore du sacrifice que je t'ai fait; de ce que je me suis
abaissée jusqu'à te paraître fidèle; de ce que j'ai lâchement gardé dans mon coeur ce que
j'aurais dû faire paraître à toute la terre; enfin de ce que j'ai profané la vertu en souffrant
qu'on appelât de ce nom ma soumission à tes fantaisies.
Tu étais étonné de ne point trouver en moi les transports de l'amour : si tu m'avais bien
connue, tu y aurais trouvé toute la violence de la haine.
Mais tu as eu longtemps l'avantage de croire qu'un coeur comme le mien t'était soumis.
Nous étions tous deux heureux; tu me croyais trompée, et je te trompais.
Ce langage, sans doute, te paraît nouveau.
Serait-il possible qu'après t'avoir accablé de douleurs, je te forçasse encore d'admirer mon courage ? Mais c'en est fait, le poison me consume, ma force m'abandonne; la plume me tombe des mains; je sens affaiblir jusqu'à ma haine; je me meurs. Du sérail d'Ispahan, le 8 de la lune de Rebiab 1, 1720. Montesquieu, Les Lettres persanes, lettre CLXI. ROXANE A USBEK. A Paris. Oui, je t'ai trompé ; j'ai séduit tes eunuques ; je me suis jouée de ta jalousie; et j'ai su de ton affreux sérail faire un lieu de délices et de plaisirs. Je vais mourir; le poison va couler dans mes veines : car que ferais-je ici, puisque le seul homme qui me retenait à la vie n'est plus? Je meurs; mais mon ombre s'envole bien accompagnée : je viens d'envoyer devant moi ces gardiens sacrilèges, qui ont répandu le plus beau sang du monde. Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule, pour m'imaginer que je ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices ? que, pendant que tu te permets tout, tu eusses le droit d'affliger tous mes désirs? Non: j'ai pu vivre dans la servitude; mais j'ai toujours été libre: j'ai réformé tes lois sur celles de la nature; et mon esprit s'est toujours tenu dans l'indépendance. Tu devrais me rendre grâces encore du sacrifice que je t'ai fait; de ce que je me.... »
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