Marivaux, La Vie de Marianne. On me releva pourtant, ou plutôt on m'enleva, car on vit bien qu'il m'était impossible...
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Marivaux, La Vie de Marianne.
On me releva pourtant, ou plutôt on m'enleva, car on vit bien qu'il m'était impossible de
me soutenir.
Mais jugez de mon étonnement, quand, parmi ceux qui s'empressaient à me
secourir, je reconnus le jeune homme que j'avais laissé à l'église.
C'était à lui
qu'appartenait le carrosse, sa maison n'était qu'à deux pas plus loin, et ce fut où il voulut
qu'on me transportât.
Je ne vous dis point avec quel air d'inquiétude il s'y prit, ni combien
il parut touché de mon accident.
À travers le chagrin qu'il en marqua, je démêlai pourtant
que le sort ne l'avait pas tant désobligé en m'arrêtant.
Prenez bien garde à mademoiselle,
disait-il à ceux qui me tenaient ; portez-la doucement, ne vous pressez point ; car dans ce
moment ce ne fut point à moi à qui il parla.
Il me semble qu'il s'en abstenait à cause de
mon état et des circonstances, et qu'il ne se permettait d'être tendre que dans ses soins.
De mon côté, je parlai aux autres, et ne lui dis rien non plus ; je n'osais même le regarder,
ce qui faisait que j'en mourais d'envie : aussi le regardais-je, toujours en n'osant, et je ne
sais ce que mes yeux lui dirent ; mais les siens me firent une réponse si tendre qu'il fallait
que les miens l'eussent méritée.
Cela me fit rougir, et me remua le coeur à un point qu'à
peine m'aperçus-je de ce que je devenais.
Je n'ai de ma vie été si agitée.
Je ne saurais
vous définir ce que je sentais.
C'était un mélange de trouble, de plaisir et de peur ; oui, de
peur, car une fille qui en est là-dessus à son apprentissage ne sait point où tout cela la
mène : ce sont des mouvements inconnus qui l'enveloppent, qui disposent d'elle, qu'elle
ne possède point, qui la possèdent ; et la nouveauté de cet état l'alarme.
Il est vrai qu'elle
y trouve du plaisir, mais c'est un plaisir fait comme un danger, sa pudeur même en est
effrayée ; il y a là quelque chose qui la menace, qui l'étourdit, et qui prend déjà sur elle.
On se demanderait volontiers dans ces instants-là : que vais-je devenir ? Car, en vérité,
l'amour ne nous trompe point : dès qu'il se montre, il nous dit ce qu'il est, et de quoi il
sera question ; l'âme, avec lui, sent la présence d'un maître qui la flatte, mais avec une
autorité déclarée qui ne la consulte pas, et qui lui laisse hardiment les soupçons de son
esclavage futur.
Voilà ce qui m'a semblé de l'état où j'étais, et je pense aussi que c'est
l'histoire de toutes les jeunes personnes de mon âge en pareil cas.
Marivaux, La Vie de Marianne.
On me releva pourtant, ou plutôt on m'enleva, car on vit bien qu'il m'était impossible de
me soutenir.
Mais jugez de mon étonnement, quand, parmi ceux qui s'empressaient à me
secourir, je reconnus le jeune homme que j'avais laissé à l'église.
C'était à lui
qu'appartenait le carrosse, sa maison n'était qu'à deux pas plus loin, et ce fut où il voulut
qu'on me transportât.
Je ne vous dis point avec quel air d'inquiétude il s'y prit, ni combien
il parut touché de mon accident.
À travers le chagrin qu'il en marqua, je démêlai pourtant
que le sort ne l'avait pas tant désobligé en m'arrêtant.
Prenez bien garde à mademoiselle,
disait-il à ceux qui me tenaient ; portez-la doucement, ne vous pressez point ; car dans ce
moment ce ne fut point à moi à qui il parla.
Il me semble qu'il s'en abstenait à cause de
mon état et des circonstances, et qu'il ne se permettait d'être tendre que dans ses soins.
De mon côté, je parlai aux autres, et ne lui dis rien non plus ; je n'osais même le regarder,
ce qui faisait que j'en mourais d'envie : aussi le regardais-je, toujours en n'osant, et je ne
sais ce que mes yeux lui dirent ; mais les siens me firent une réponse si tendre qu'il fallait
que les miens l'eussent méritée.
Cela me fit rougir, et me remua le coeur à un point qu'à
peine m'aperçus-je de ce que je devenais.
Je n'ai de ma vie été si agitée.
Je ne saurais
vous définir ce que je sentais.
C'était un mélange de trouble, de plaisir et de peur ; oui, de
peur, car une fille qui en est là-dessus à son apprentissage ne sait point où tout cela la
mène : ce sont des mouvements inconnus qui l'enveloppent, qui disposent d'elle, qu'elle
ne possède point, qui la possèdent ; et la nouveauté de cet état l'alarme.
Il est vrai qu'elle
y trouve du plaisir, mais c'est un plaisir fait comme un danger, sa pudeur même en est
effrayée ; il y a là quelque chose qui la menace, qui l'étourdit, et qui prend déjà sur elle.
On se demanderait volontiers dans ces instants-là : que vais-je devenir ? Car, en vérité,
l'amour ne nous trompe point : dès qu'il se montre, il nous dit ce qu'il est, et de quoi il
sera question ; l'âme, avec lui, sent la présence d'un maître qui la flatte, mais avec une
autorité déclarée qui ne la consulte pas, et qui lui laisse hardiment les soupçons de son
esclavage futur.
Voilà ce qui m'a semblé de l'état où j'étais, et je pense aussi que c'est
l'histoire de toutes les jeunes personnes de mon âge en pareil cas.
Marivaux est surtout connu pour ses pièces de théâtre.
Il a toutefois écrit deux romans :
Le Paysan parvenu et La Vie de Marianne.
La Vie de Marianne : roman écrit à la 1e personne.
Roman qui se présente comme un
manuscrit trouvé par hasard.
Le personnage principal, Marianne, raconte son histoire mouvementée en raison de son
manque de naissance…
NB : Marianne est une très jolie jeune femme, mais sans nom, sans famille, ce qui est au
cœur du roman, dans une France qui est encore une monarchie…
I- Une rencontre
A- Un roman à la première personne
• Marianne raconte son histoire.
Cf.
le nombre très important de marques de 1e personne
du....
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