Les reproches de Don Louis Acte IV, scène 4 CONTEXTE L'acte IV de Dom Juan pourrait être appelé l'acte des...
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Les reproches de Don Louis
Acte IV, scène 4
CONTEXTE
L'acte IV de Dom Juan pourrait être appelé l'acte des visites
puisque Dom Juan, qui souhaite souper et a demandé aux do
mestiques de condamner sa porte, va être dérangé à quatre re
prises.
Un créancier est venu lui réclamer son dfi et Don Juan,
avec beaucoup de faconde, l'a éconduit sans rien lui donner.
Mais à peine Monsieur Dimanche, le créancier malheureux, a
t-il quitté les lieux, que l'on annonce l'arrivée de Don Louis,
père de Don Juan.
Cet épisode, nous le verrons, n'est pas gratuit
puisqu'il concerne à la fois l'action et le contenu idéologique de
la pièce
TEXTE
SCÈNE4
DoN Lorns, DoN JUAN, LA VIOLETIE, SGANAREIJ.E
LA VIOLETIE:
Monsieur, voilà Monsieur votre père.
DON JUAN: Ah! me voici bien: il me fallait cette visi
te pour me faire enrager.
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DON LOUIS: Je vois bien que je vous embarrasse et que
vous vous passeriez fort aisément de ma venue.
A dire
vrai, nous nous incommodons étrangement l'un et
l'autre; et si vous êtes las de me voir, je suis bien las
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aussi de vos déportements.
Hélas! que nous savons peu
ce que nous faisons quand nous ne laissons pas au Ciel le
soin des choses qu'il nous faut, quand nous voulons être
plus avisés que lui, et que nous venons à l'importuner
par nos souhaits aveugles et nos demandes inconsidé
rées! J'ai souhaité un fils avec des arcleurs non pareilles;
je l'ai demandé sans relâche avec des transports incroyables; et ce fils, que j'obtiens en fatiguant le Ciel de
vœux, est le chagrin et le supplice de cette vie même
dont je croyais qu'il devait être la joie et la consolation.
De quel œil, à votre avis, pensez-vous que je puisse voir
cet amas d'actions indignes, dont on a peine, aux yeux
du monde, d'adoucir le mauvais visage, cette suite
continuelle de méchantes affaires, qui nous réduisent, à
toutes heures, à lasser les bontés du Souverain, et qui ont
épuisé auprès de lui le mérite de mes services et le cré
dit de mes amis? Ah! quelle bassesse est la vôtre! Ne
rougissez-vous point de mériter si peu votre naissance?
Etes-vous en droit, dites-moi, d'en tirer quelque vanité?
Et qu'avez-vous fait dans le monde pour être gentil
homme? Croyez-vous qu'il suffise d'en porter le nom et
les armes, et que ce nous soit une gloire d'être sorti
d'un sang noble lorsque nous vivons en in&.mes? Non,
non, la naissance n'est rien où la vertu n'est pas.
Aussi
nous n'avons part à la gloire de nos ancêtres qu'autant
que nous nous efforçons de leur ressembler; et cet éclat
de leurs actions qu'ils répandent sur nous nous impose
un engagement de leur faire le même honneur, de suivre
les pas qu'ils nous tracent, et de ne point dégénérer de
leurs vertus, si nous voulons être estimés leurs véritables
descendants.
Ainsi vous descendez en vain des aïeux
dont vous êtes né: ils vous désavouent pour leur sang, et
tout ce qu'ils ont fait d'illustre ne vous donne aucun
avantage; au contraire, l'éclat n'en rejaillit sur vous qu'à
votre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui
éclaire aux yeux d'un chacun la honte de vos actions.
Apprenez enfin qu'un gentilhomme qui vit mal est un
45 monstre dans la nature, que la vertu est le premier titre
de noblesse, que je regarde bien moins au nom qu'on
signe qu'aux actions·qu'on fait, et que jé ferais plus
d'état du fils d'un crocheteur qui serait honnête homme
que du fils d'un monarque qui vivrait comme vous.
50 DON JUAN: Monsieur, si vous étiez assis, vous en seriez
mieux pour parler.
DON LOUIS: Non, insolent, je ne veux point m'asseoir,
ni parler davantage, et je vois bien que toutes mes pa
roles ne font rien sur ton âme.
Mais sache, fils indigne,
55 que la tendresse paternelle est poussée à bout par tes ac
tions, que je saurai, plus tôt que tu ne penses, mettre
une borne à tes dérèglements, prévenir sur toi le cour
roux du Ciel, et laver par ta punition la honte de t'avoir
fait naître.
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Il sort.
MATÉRIAUX
Civilisation
►Les nobles se disaient « de sang bleu».
Chamfort raconte fhistoire d'une jeu
ne princesse de la Cour tout étonnée de voir que sa servante avait comme elle
cinq doigts à chaque main.
Des faits de ce genre montrent combien la nobles
se se percevait comme une catégorie à part.
On distinguait la noblesse de robe (acquise grâce à l'exercice de hautes
fonctions au service du roi} et la noblesse de sang (qui se référait à de lointains
ancêtres).
La manière qu'a Don Louis d'évoquer ses ancêtres montre qu'il
appartient à cette seconde catégorie (qui se considérait comme la seule no
blesse digne de ce nom).
La noblesse jouissait d'un certain nombre de privilèges, dont celui de ne
pas payer d'impôts (du moins pour le Nord de la France).
Le noble percevait
de nombreuses redevances sur ses terres.
En cas de condamnation à mort,
on épargnait au noble l'ignominie d'une pendaison en se contentant de lui cou-
per la tête.
Il avait aussi le droit de porter des armes.
Nous constatons que
conformément à cet usage, Don Juan ne se déplace jamais sans son épée.
Pierrot, même s'il est plus robuste que Don Juan, aurait donc de la peine à se
rebeller quand il reçoit des coups du grand seigneur qu'il vient de sauver.
Ces privilèges, à l'origine, avaient, en principe, récompensé de grandes
actions d'ordre militaire.
Ils restaient justifiés par cette fonction militaire attri
buée à la noblesse.
Mais, au fur et à mesure que ce rôle s'estompait, les privi
lèges étaient perçus comme non justifiés et donc contestés.
Le déclin de cette classe avait des causes économiques que nous évo
quons page 84.
Mais il faut prendre aussi en compte la volonté du pouvoir cen
tral (Richelieu d'abord, sous Louis XIII, puis Louis XIV) de lui rogner les ailes.
Louis XN ne confia les grandes affaires qu'à des bourgeois.
Il n'accepta
donc jamais la présence d'un «grand» au Conseil d'en haut.
Il domestiqua
aussi cette noblesse en la rendant tributaire des pensions royales et en lui
imposant souvent une présence à Versailles.
Sa motivation était double.
D'une part, il voulait éviter, comme cela avait
été le èas avec Richelieu et Mazarin, que le roi en soit réduit à un simple rôle
de figuration.
Par ailleurs, il avait gardé un très mauvais souvenir de la Fronde
(1648-1652).
Encore enfant, il avait connu des moments difficiles au cours de
cette guerre civile fomentée par les «grands» du royaume.
►Le père, au XVII" siècle, a une dignité et un pouvoir beaucoup plus importants
qu'aujourd'hui.
Comme c'est encore le cas dans les sociétés traditionnelles, la
malédiction d'un père était une chose très grave.
En conséquence, la trans
gression des codes qu'effectue Don Juan frappait beaucoup plus les esprits au
temps de Molière qu'elle ne le ferait aujourd'hui.
Langue
►Je suis bien las aussi de vos déportements (1.
7): vers blanc.
Le mot «dé
portement» ne signifiait à l'origine que «conduite», «comportement», «mode
de vie», mais' il avait déjà à l'époque un sens péjoratif (sans doute sous l'in
fluence du préfixe dé).
On pourrait dire aujourd'hui «de vos désordres», ce qui
sonnerait peut-être un peu ancien, ou «de votre inconduite».
►Avec des transports incroyables (1.
14): «transport» a le sens d'émotion, de
mouvement de l'âme.
Dans l'acception du texte, ce mot est surtout employé
aujourd'hui par plaisanterie.
►Dont on a peine, aux yeux du monde, d'adoucir le mauvais visage
(1.
19): le monde, c'est la société.
Celui qui entre dans un couvent «quitte le
monde» (la société), met fin aux relations «mondaines» (sociales).
Aujourd'hui, «mondain» est connoté négativement, l'idée de quelques chose
de superficiel et futile s'y ajoutant automatiquement.
«Visage» est pris dans un sens général d'aspect.
On note, au travers de
ces deux termes «monde» et «visage» un souci des apparences plus que du
mal ensoi.
► Méchantes affaires (1.
21) : on dirait plutôt «mauvaises affaires» aujourd'hui.
De ce fait, on peut se demander si on ne fait pas une erreur dans la manière
dont on interprète l'expression «grand seigneur méchant homme».
On y per-
çoit aujourd'hui l'idée de cruauté, alors que c'était sans doute l'idée de mau
vaise vie qui dominait.
► Lasser les bontés du Souverain (1.
22): référence au roi; sur ce point, voir
l'axe d'explication sur la fonction politique de la pièce, p.
144.
Ce passage nous apprend tout d'abord que Don Louis est de haute
noblesse puisqu'il a un contact direct avec le Souverain.
Ensuite, il apparai'l,
qu'à plusieurs reprises, au point de fatiguer la patience du roi pour ce qu'on ap
pelle des «interventions» (actions arbitraires du pouvoir pour empêcher l'ap
plication de la loi), Don Louis est intervenu auprès du monarque.
Or, si un père pouvait ainsi jouer de ses relations pour protéger son fils, il
pouvait agir tout à l'opposé et la chose s'est vue plus d'une fois.
A la demande
du père, et sur simple lettre de cachet (donc sans aucune justification d'ordre
judiciaire), le fils pouvait être mis en prison.
Ce fait de civilisation permet de
comprendre que les menaces de Don Louis à la fin du passage ne sont pas un
vain mot.
►De suivre les pas qu'ils nous tracent (1.
35): de suivre les traces de pas.
►De ne pas dégénérer de leur vertu (1.
36): le mot «noble» correspond en
même temps à une notion morale (de nobles sentiments) et sociale (des offi
ciers nobles).
Don Louis souhaite que ce double sens, justifié à l'origine, se
maintienne.
Le mot «vertu" conserve sans doute encore, dans la bouche de Don
Louis, l'idée de qualités viriles qu'il a dans le mot latin ( «virtus» formé à partir
de «vir» = homme) et qui se retrouva chez Stendhal.
► Gentilhomme (1.
44) veut dire «noble" au sens social du terme.
L'expression
«bourgeois gentilhomme" est donc un oxymore, puisqu'un bourgeois est un
roturier, c'est-à-dire quelqu'un qui n'est pas noble.
► Crocheteur(!.
48): un crocheteur est un homme du peuple et même, selon les
catégories du temps, un homme du bas peuple.
Il s'agissait des portefaix, qui
portaient des fardeaux en s'aidant d'un crochet.
Pour dire «parler comme le
peuple», on disait parfois «parler comme un crocheteur de la halle au foin».
Don Louis oppose donc les deux extrêmes de l'ordre social: le portefaix et
le roi.
► Honnête homme(!.
48): voir page 39.
Ici, le sens se limite à la rigueur morale.
► Prévenir sur toi le courroux du Ciel (1.
58): un beau contresens à éviter ici.
Il ne s'agit pas d'empêcher ce courroux du Ciel (cette colère), mais de punir
Don Juan avaAt même que le Ciel ne se décide à intervenir: donc pré-venir
dans le sens de «venir avant"·
Technique théâtrale
►Ce monologue est lui aussi un morceau de bravoure (voir pages 60-61).
A la
différence d'autres passages de Dom Juan, nous sommes ici en plein théâtre
du discours.
Cette tirade un peu discoureuse, parce qu'elle n'est pas très scénique, a du
mal à passer la rampe, surtout aujourd'hui où nous ne sommes plus concer
nés par ce problème.
Même à l'époque, ce devait être le cas, même si le pu-
blic appréciait les beaux morceaux d'éloquence.
Homme de scène consommé,
Molière avait certainement senti le danger de ralentir l'action et de fatiguer le
spectateur.
S'il maintient ce développement, c'est qu'il y tient pour des raisons
personnelles ou politiques.
Outre le fait qu'il s'agissait d'un problème de société, les spectatëurs, tou
jours friands d'allusions à l'actualité, mettaient peut-être des noms sous la
peinture générale de ces nobles indignes de leurs ancêtres.
Compléments
►Des éléments dans « Dom Juan et le noble vieillard» d'Anne Ubersfeld in Dom
Juan, Parcours critique, sous la direction de Pierre Ronzeaud.
IDÉE �IRECTRICE ET MOUVEMENT DU TEXTE
Nous assistons à une leçon de morale d'un père à son fils que
Don Juan écoute patiemment et à laquelle il ne répond pas sinon
par une insolence.
Son père s'exprimait dans un registre
«noble», tant par l'élévation des sentiments que par le niveau de
la langue.
Au tenne de cette homélie, Don Juan se contente de
l'inviter à s'asseoir: non seulement il n'argumente pas (ce qu'il
sait très bien faire), mais, en l'invitant à s'asseoir, il l'invite à re
descendre de ses hauteurs, montrant ainsi le peu de cas qu'il fait
de ses propos.
C'est autour de cette invitation à s'asseoir que cette scène
s'articule en un avant et un après.
Dans un premier temps, Don
Louis parle, pérore, sermonne, conseille.
Dans un second temps,
ayant compris l'inutilité de ces efforts, il menace.
Ces menaces
ne sont pas des paroles en l'air.
Dans le sermon de Don Louis, il est possible de distinguer
différentes phases:
• Don Louis commence par décrire la nature de ses rapports
avec son fils.
C'est l'occasion de souligner la bizarrerie des agis
sements du Ciel.
• Il passe ensuite à l'évocation de l'inconduite de son fils
(à partir de «De quel œil, à votre avis...
»).
• A partir de «Ne rougissez-vous point de mériter si peu de
votre naissance», il élargit le débat pour poser d'une manière
très générale le problème de la noblesse.
• Maître d'une rhétorique qui équilibre les périodes et choisit
ses images, comme le serait un prédicateur, il termine par une
antithèse frappante qui sert de chute et met un terme à ce beau
morceau d'éloquence.
Don Juan, qui n'a pas interrompu son père, montre alors que
ces belles envolées l'ont laissé complètement indifférent.
Ulcéré, Don Louis passe aux menaces.
AXES D'EXPLICATION
Les ironies du Ciel
On débattait beaucoup, à l'époque, des liens entre Dieu (le
Ciel) et l'homme.
Notre destinée était-elle déjà écrite quelque
part (thèse de la prédestination) ou l'homme disposait-il du libre
arbitre (une liberté qui le distinguait du reste de la nature)? Quel
rôle jouait la «grâce» de Dieu pour aider chacun à trouver la
voie juste? Etait-elle un simple appui ou, au contraire, un élé
ment indispensable et sans lequel il n'était pas possible de faire
son salut?
Les jésuites refusaient la prédestination.
Les jansénistes, tout
en s'en défendant, semblaient l'admettre.
Les Provinciales
(1656-1657), de Pascal, parues quelques années avant la pre
mière de....
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