Le thème du double Pierre et Jean n'est pas seulement le roman d'un homme qui se trou ve soudain en...
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Le thème du double
Pierre et Jean n'est pas seulement le roman d'un homme qui se trou
ve soudain en lutte contre son milieu familial.
Il y a plus.
Pierre voit
ses repères se brouiller.
Il sent intuitivement qu'une présence hostile
menace son identité.
Il fait ainsi l'expérience du dédoublement1.
LE SENTIMENT DE L'ÉTRANGE
1 Seul parmi les siens
L'expérience vécue par Pierre est troublante.
Le soupçon qu'il
éprouve à l'égard de la naissance de Jean modifie en profondeur sa
vision des autres.
Ceux qu'il connaît le mieux lui semblent soudain
étranges.
auand
il décrit le regard de Pierre sur Mme Roland, le nar
,
rateur insiste sur ce changement de perception :
C'était sa mère, cette femme ! Toute cette figure, vue dès l'enfance,
dès que son œil avait pu distinguer, ce sourire, cette voix si connue,
si familière, lui paraissaient brusquement nouveaux (p.
138).
Ce qui était familier devient insolite.
Pierre voit sa mère avec les
yeux d'un autre.
Il réagit de la même manière à l'égard de son père.
Il éprouve envers celui-ci un sentiment de stupeur : « Son père, sur
tout, étonnait son œil et sa pensée.
Ce gros homme flasque, content
et niais, c'était son père, à lui! » (p.
143-144).
Parce qu'il pose sur
eux un regard froid et extérieur, Pierre voit ses parents lui échapper.
Il éprouve ainsi le sentiment de perdre l'un après l'autre tous les
membres de sa famille.
A ses yeux: il n'a « plus de mère, car il ne
[peut] plus la chérir [...] ; plus de frère, puisque ce frère [est] l'enfant
d'un étranger » (p.
144).
Pierre met progressivement à distance le
monde qui l'entoure.
Il se sent seul à la brasserie, où l'on ne ren1.
Voir p.
46, note 1.
contre qu'une
«
banale camaraderie » (p.
85) sans lendemain.
Il se
sent seul sur la plage de Trouville, face à l'éternel ballet des promeneurs et des promeneuses.
II se sent seul sur la Lorraine, face aux
émigrants qui lui font horreur.
Tout se passe comme si Pierre, parce
qu'il a compris l'ancienne infidélité de sa mère, se mettait à l'écart de
toute l'humanité.
1Comment on devient étranger
Un mot résume la délicate situation du héros : celui-ci est devenu
étranger aux autres.
Le narrateur utilise le terme pour montrer la
manière dont Pierre contemple les siens :
«
il les regardait en étran-
ger qui observe, et il se croyait en effet entré tout à coup dans une
famille inconnue» (p.
143).
Le mot revient au dernier chapitre.
II ne
qualifie plus le regard que Pierre porte sur les siens, mais l'existence
qu'il mène à leurs côtés.
Le narrateur note :
«
Il vivait maintenant
dans la maison paternelle en étranger muet et réservé
»
(p.
202).
Chassé de la maison de son père, prêt à mener la vie « des gens qui
vont s'expatrier» (p.
205), Pierre est devenu non seulement étranger
aux siens, mais étranger à lui-même.
Il est devenu un autre, ou, pour
reprendre un terme clé du roman, il est devenu l'« autre».
L'« AUT.RE »
1L'homme et son double
Le roman est en effet ponctué de notations qui renvoient à l'existence de l'« autre ».
II s'agit d'abàrd de l'autre qui est en nous.
Pierre observe ses propres réactions quand il vient d'apprendre la richesse soudaine de son frère.
II analyse la jalousie qui l'envahit et sa
lucidité le soulage un peu.
« II se sentait mieux, indique le narrateur,
content d'avoir compris, de s'être surpris lui-même, d'avoir dévoilé
l'autre qui est en nous » (p.
87).
Pierre découvre un aspect de luimême qu'il ne connaissait pas.
Ce dédoublement annonce le face-à-face qui s'installe désormais
entre les deux frères.
Quand Pierre imagine les rumeurs qui suivront
l'annonce de l'héritage, il pose le problème de la bâtardise en ces
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 67
termes :
«
Quand on parlerait d'un fils Roland, on dirait: "Lequel, le
vrai ou le faux ?" » (p.
105).
Il n'y a plus d'aîné ni de cadet, mais un
vrai fils et un faux fils, un homme et son double.
Et le fils réel ne se
distingue bientôt plus de l'imposteur.
Sans doute, Pierre se voit
d'abord comme le« vrai fils» (p.
134), par opposition à Jean.
Pourtant, il perd bientôt cette impression de supériorité pour n'être plus,
à ses propres yeux, que « l'autre fils, le fils aîné » (p.
97).
1Qui est P« autre» ?
Jean ou Pierre ?
L'évolution du terme l'« autre » dans le roman est éloquente.
Dans
la première partie, quand le narrateur épouse le point de vue de Pierre, c'est Jean qui est I'« autre
».
Pierre se souvient qu'il a été choyé
par Léon Maréchal« jusqu'à la naissance de l'autre» (p.
127), c'està-dire la naissance de Jean.
Mais à partir du éhapitre v1, lorsque le
narrateur adopte le point de vue de Jean, c'est Pierre qui est
!'«autre».
Mme Roland, consolée par Jean, aperçoit soudain une silhouette : «c'était l'autre, Pierre» (p.
166), dit le narrateur.
Quand
Jean chasse de ses idées les accusations portées contre sa mère, le
terme I'« autre» désigne à nouveau Pierre 2.
Et pour Mm• Roland qui
se confie à Jean, c'est encore Pierre qui est l'«autre3».
Ainsi, au
cours du roman, l'« autre » est d'abord Jean et ensuite Pierre.
Cette évolution n'est pas seulement significative du changement
de point de vue qui s'opère à partir du chapitre VI.
Elle donne également la mesure de la crise psychologique qui ébranle Pierre.
Celui-ci
prend d'abord conscience que son frère lui échappe.
Il....
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