Le style de Germinal L'expression, dans Germinal, reflète l'esthétique natu raliste de Zola ; mais elle traduit aussi une dimension...
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«
Le style
de Germinal
L'expression, dans Germinal, reflète l'esthétique natu
raliste de Zola ; mais elle traduit aussi une dimension
inconsciente de sa personnalité : la puissance de l'ima
gination.
Ainsi se combinent, dans la forme, une écriture
naturaliste et un style visionnaire à caractère épique.
UNE ÉCRITURE
NATURALISTE
Faire œuvre de science, montrer des plaies sociales,
donner au lecteur « un frisson d'horreur» : ces trois des
seins expliquent l'écriture naturaliste.
Si le sujet est
nouveau, la peinture se veut rigoureuse et c'est pour
cette raison que coexistent un certain nombre de har
diesses lexicales et des procédés rhétoriques tradi
tionnels.
Des hardiesses lexicales
Zola introduit dans la langue littéraire des mots qui en
étaient exclus, termes techniques et populaires.
Il exploite le vocabulaire technique de la mine; définit
chaque terme selon le personnage qui parle, mais tou
jours avec précision, au point que le récit devient parfois
invraisemblable: les mineurs éprouvent à l'égard de leur
métier un intérêt que l'habitude aurait dû émousser;
chacun est capable de parler du fonctionnement de la
mine tout entière.
Parallèlement, Zola exploite la langue populaire et, par
souci de couleur locale, le vocabulaire dialectal : des mots
crus et des mots du cru.
Les mineurs jurent abon
damment, chacun à sa manière : Maheu tonne des « nom
de Dieu de nom de Dieu» (p.
242, 452), tandis que Chaval
profère des ordures (p.
361 sqq., 461 sqq.); les conver
sations sont émaillées de dictons populaires : « Une bonne
chope est une bonne chope [ ...] Faut cracher sur rien ...
»,
ou d'images originales : « Souffle la chandelle, dit la
Maheude, je n'ai pas besoin de voir la couleur de mes
idées» (p.
67).
Ainsi les termes familiers ou vulgaires,
les images caractérisent les personnages et marquent les
différences de milieux et d'atmosphère.
Quand au vocabulaire dialectal, il situe géographiquement le roman, il a une valeur pittoresque.
L'évocation de la vie du coron* (Il, 2, 3, 4) et la peinture de
la ducasse* sont jalonnées de termes locaux.
Mais Zola
évite l'emploi systématique du patois.
Une syntaxe classique
Contrairement au vocabulaire, la syntaxe et la rhétorique restent traditionnelles.
Zola remet en question l'organisation sociale mais pas les structures de la pensée.
Il
respecte la grammaire: il maintient l'adverbe ne de la
négation dans le parler des ouvriers, il observe une
inversion du sujet peu naturelle dans les tours interrogatifs: «À qui est-ce donc, tout ça?» dit Étienne (p.
59).
« Y sommes-nous, à la fin? » dit Maheu (p.
69).
Il utilise
des charnières logiques (mots de subordination) : « C'est
justement parce que je suis un homme tranquille, auquel
on n'a rien à reprocher, que les camarades m'ont choisi,
dit Maheu.
» (p.
268).
Mais la syntaxe n'a rien de rigide;
elle dépend des circonstances et de la situation des personnages, du mouvement et du «style» de la scène :
quand il s'emporte contre Estelle (p.
67) ou jure en face
des menaces de Négrel (p.
102), Maheu a un tout autre
ton que devant Hennebeau.
Des procédés rhétoriques
traditionnels
On trouve dans Germinal des procédés rhétoriques
hérités de la tradition romanesque; ainsi Zola joint-il
souvent un terme abstrait et une locution populaire, l'un
expliquant l'autre (« ..
.les promiscuités du coron, les
garçons et les filles pourrissant ensemble», p.
150), ou
un terme technique et une image.
Ainsi, parlant de la
machine: « l'énorme bielle, repliée en l'air, ressemblait
au puissant genou d'un géant» (p.
534).
Ces assocrations
rendent le récit pittoresque tout en restant intelligible.
D'autre part, Zola utilise systématiquement le discours
indirect libre dont Balzac et Flaubert ont usé largement
avant lui; le style indirect libre est une forme intermé
diaire entre le discours direct et le discours indirect.
Le
narrateur supprime les verbes introducteurs (dire,
demander) et intègre au récit les paroles des person
nages, par exemple, page 107, à propos de la descente
du cheval Trompette: «Aussi, en bas, l'émotion gran
dissait-elle.
Quoi donc? Est-ce qu'on allait le laisser en
route, pendu dans le noir? Enfin, il parut [...
] »
Parfois encore (on retrouve cette technique chez
Flaubert), une image vient clore une description ou ter
miner un chapitre: « Vêtus de toile mince, ils grelottaient
de froid, sans se hâter davantage, débandés le long de
la route, avec un piétinement de troupeau» (p.
70).
Les modalités du récit
Le même conformisme se retrouve dans les modalités
du récit.
Zola sépare nettement la narration, datée selon
le déroulement chronologique des faits, et les explica
tions qui forment les parenthèses.
Les retours en arrière
se bornent à ménager les coups de théâtre et les effets
de surprise, permettant d'embrasser successivement plu
sieurs champs de vision, sans jamais remettre en question
la temporalité.
Le cadre de l'intrigue et le physique des
individus sont systématiquement décrits et toujours à
travers le regard d'un personnage.
Les pensées secrètes
et les propos exprimés alternent en paragraphes distincts
sans se fondre.
UN STYLE VISIONNAIRE
Zola, bien qu'il se dise animé d'un esprit scientifique
et naturaliste, laisse libre cours à son imaginaire.
Sa per
ception du réel s'épanche en une vision grandiose et
traduit une approche profondément poétique du monde.
Le traitement des images, l'évocation des foules en furie,
le rythme emporté de la phrase confèrent au style de
Germinal un caractère épique.
Le choix des images
La démesure visionnaire de Zola apparaît d'abord dans
le choix des images et dans leur utilisation romanesque.
Le registre de l'imaginaire, dans Germinal, contient peu
de motifs sonores.
Seul s'impose, obsessionnel, le halètement de la pompe d'épuisement qui devient la respiration de la machine (p.
52); on entend également des
bruits de foule : claquements de sabots sur la route, acclamations, clameurs comparées au roulement du tonnerre
ou au froissement de feuilles sèches.
• les images visuelles
Les images visuelles, au contraire, sont nombreuses
et la technique picturale de Zola est incontestable.
Dans
certaines descriptions, on est frappé par le miroitement
des couleurs; la peinture du coron, de la ducasse est
faite de la juxtaposition de touches contrastées : chatoiement impressionniste qui n'est nullement fortuit: Zola
était ami intime de Cézanne, admirateur de Manet, de
Monet, de Pissarro, et il a voulu transposer, dans l'écriture,
l'impressionnisme pictural.
En revanche, certains tableaux
sont brossés à larges traits : « Dix kilomètres de pavé,
coupant tout droit à travers les champs de betteraves
[.
..
] l'immense horizon plat [...
] des rafales larges comme
sur une mer.
[...
] Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel,
le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au
milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres» (p.
50).
On
songe au réalisme, voire à l'expressionnisme 1 ; les personnages rappellent ceux de Courbet 2 ; certaines scènes
annoncent Vlaminck 3 : les motifs sont nettement cernés,
les couleurs ternes et dures s'harmonisent par leurs
contrastes; tel le dégel (p.
139) : la boue est « noire et
collante», les mottes «brunes», l'horizon «violâtre», le
ciel « sali de suie»; Léonore et Henri suivent leur mère
« en louchant pour voir les patards qu'ils....
»
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