Le problème du Bien et du Mal La signification des contes de Voltaire est plurielle, ce qui en fait ,a...
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«
Le problème
du Bien et du Mal
La signification des contes de Voltaire est plurielle, ce qui en fait
,a richesse.
Nous n'aborderons ici que la question philosophique
de la Providence et du hasard, du Bien et du Mal.
Politique et reli
gion ont été traitées dans les objectifs de la satire (➔ PROBLÉMA
TIQUE 2, p.
28) et le débat entre nature et culture au chapitre
consacré au mythe du bon sauvage (➔ PROBLÉMATIQUE 3, p.
42).
VOLTAIRE ET LA PROVIDENCE
1 Un débat toujours présent
La Providence se définit comme le sage gouvernement de Dieu
sur la création et notamment la juste répartition du Bien et du Mal.
En effet, force est de constater l'existence du Mal dans les cala
mités naturelles, les injustices, les horreurs de la guerre ...
Le débat
est le suivant : comment concilier l'existence du Mal avec la bonté
du Créateur?
Les réponses proposées par les penseurs face à ce-dilemme
sont diverses.
Les optimistes ou providentialistes soutiennent que Dieu n'a
pas eu le pouvoir de créer un monde parfait, puisque le monde
dans lequel nous vivons n'est visiblement pas parfait.
II a donc
fait en sorte que le mal commis sur terre soit compensé par un
bien plus grand.
C'est la philosophie du grand penseur allemand
Leibniz (1646-1716) condensée dans la célèbre formule « le
meilleur des mondes possible ».
Voltaire connaît surtout la pen
sée leibnizienne par un de ses vulgarisateurs, Wolf.
La thèse
providentialiste est également soutenue par Bossuet dans son
ouvrage pédagogique, le Discours sur /'Histoire universelle (1681 ).
Bossuet y affirme l'action toute-puissante et omnisciente de Dieu
sur le gouvernement du monde et l'ensemble des événements
s'y déroulant.
En effet, tout concourt à établir le règne de Dieu sur
terre, même si la signification n'apparaît pas immédiatement.
t:ensemble importe plus que le détail.
Le siècle des Lumières partage cet optimisme, même s'il ne le replace pas toujours dans une
perspective strictement religieuse.
Les progrès de la civilisation et
des sciences y contribuent.
Certains pessimistes très religieux justifient la présence du Mal
par le dogme du péché originel, dont chaque homme est coupable dès sa naissance depuis la faute d'Adam et Ève.
Selon
Voltaire, ce sont des « fanatiques ,, dont le pessimisme interdit
toute action positive et constructive à l'homme sur terre.
Son
opposition à Pascal vient en grande partie de là.
Enfin, certains
pessimistes privilégient le rôle du hasard qui revient à mettre en
cause l'existence même d'un Dieu.
1L'évolution de Voltaire
Un optimisme relatif (1730-1747)
Voltaire n'est jamais résolument optimiste car il ne peut s'empêcher de constater et de déplorer l'existence du Mal.
Ainsi les
Lettres anglaises contiennent déjà une partie dénonciatrice.
Mais
il s'oppose toujours au pessimisme d'un Pascal qui, selon lui,
s'égare dans la métaphysique et dégoûte l'homme de la vie terrestre.
Voltaire est un homme pratique, qui pense que le bonheur
humain réside dans l'action (que Pascal taxe au contraire de
«
divertissement ») et non dans la réflexion abstraite.
C'est pour-
quoi il chante même le bonheur futile, le luxe et le bien-être dans
le poème Le Mondain, en 1736.
Cet optimisme relatif trouve son exacte traduction littéraire dans
le conte philosophique Le Monde comme il va.
Vision de Babouc
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PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES
écrite par lui-même, qui date de 1747, avec cette devise finale:
«
Si tout n'est pas bien, tout est passable.
»
Vers le pessimisme (1747-1757)
Diverses raisons expliquent cette évolution.
Voltaire connaît plusieurs mésaventures personnelles dans sa carrière de courtisan à
Versailles et surtout à Berlin auprès du roi de Prusse.
Ses travaux
historiques accentuent son pessimisme : les différents événements relatés dans I'Essai sur /es Mœurs (1756) soulignent la férocité et la barbarie des hommes.
Enfin, les événements contemporains ébranlent son optimisme, notamment le tremblement de
terre de Lisbonne en 1755.
Le pessimisme de Voltaire devient alors militant, d'autant plus
qu'il déplace le débat du terrain métaphysique au plan moral.
Aux
philosophes qui prétendent que « Tout est bien
»,
Voltaire oppose
le Mal toujours présent, frappant innocents et coupables avec la
même absurdité.
Les textes les plus éclairants de cette période sont Zadig, le
Poème sur le désastre de Usbonne et Candide.
Zadig réfléchit au
problème de la destinée et au rôle du hasard dans nos vies.
Le
Poème sur le désastre de Usbonne et Candide réfutent les thèses
optimistes et providentialistes de Leibniz.
La sagesse
Candide, que l'on présente comme le manifeste pessimiste de
Voltaire, s'achève néanmoins sur une conclusion positive : « Il faut
cultiver notre jardin
»,
c'est-à-dire travailler à améliorer les condi-
tions de vie sur terre, cultiver son intelligence, lutter contre les
injustices...
Après le bonheur illusoire de l'enfance, le bonheur
utopique de l'Eldorado, il existe un bonheur sur terre qu'il faut
conquérir par le travail et la sagesse.
L'homme ne doit pas chercher à élucider les grandes questions métaphysiques (D'où vient
l'homme? L'âme est-elle immortelle? Y a-t-il une autre vie après
la mort? ...) qui, pour Voltaire, sont définitivement insolubles et
échappent à l'intelligence humaine.
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 91
L'homme n'est ni foncièrement bon, ni foncièrement mauvais,
mais « passable ».
Le bonheur consiste donc à s'accommoder
de son temps et à agir pour soi et pour les autres.
La leçon de
I.:lngénu illustre ces principes auxquels Voltaire parvient à la fin
de sa vie.
LA QUESTION DE LA PROVIDENCE
DANS L�INGÉNU
Hasard
ou Providence?
Pour les « providentialistes ", les événements s'ordonnent
selon un but préétabli par Dieu, par la Providence divine.
Au
début du conte, tous les personnages, sauf le héros porte
parole de Voltaire, professent des thèses providentialistes.
La
providence est invoquée à plusieurs reprises par l'abbé de Ker
kabon, au moment de la scène de reconnaissance : « Monsieur
le prieur, voyant [...
] que Dieu lui envoyait un neveu pour sa
consolation••• » (chap.
Ill); cette interprétation providentialiste
explique la cérémonie d'action de grâces du Te Deum 1 (chap.
II).
Ces convictions sont partagées par la petite société bretonne :
« Ils admiraient tous la Providence et l'enchaînement des évé
nements de ce monde » (chap.
Il).
Gordon apparaîtra plus tard également comme un partisan de la
thèse providentialiste : « Adorons la Providence qui nous [•..] a
conduits [à la Bastille], souffrons en paix, et espérons » (chap.
X).
Dans ses conversations suivantes avec l'ingénu, Gordon réaffirme
ses convictions.
Tout est voulu par Dieu selon un ordre préétabli.
Ainsi s'explique la destinée du Huron : « Il faut[...] que Dieu ait de
grands desseins sur vous, puisqu'il vous a conduit du lac Ontario
en Angleterre et en France, qu'il vous a fait baptiser en Basse-
Bretagne, et qu'il vous a mis ici pour votre salut » (chap.
X).
Dieu
règle tout, selon Gordon : « Nous sommes les machines de la Providence » (chap.
X).
Voltaire ne partage évidemment pas ces idées qu'il attribue
soit à des médiocres (les personnages bas-bretons), soit à un
i)ersonnage (Gordon) qui va rapidement évoluer.
L'lngém.., son
porte-parole,_professe au contraire la toute-puissance du hasard.
Bien qu'il soit heureux d'avoir retrouvé une famille en Bretagne,
il ne s'associe pas à la cérémonie religieuse du Te Deum : « PO
s'amusait à boire dans la maison » (chap.
Il).
Il souligne au
contraire le rôle du hasard dans ces événements :
«
Il aimait
autant avoir [M.
le prieur] pour oncle qu'un autre » (chap.
IQ.
L'arrestation arbitraire et la captivité le fortifient dans ces idées : « Je
ne vois pas les gracieux desseins de Dieu sur tous ces gens-là »,
dit-il au chapitre X, faisant allusion à tous les malheureux qui
meurent assassinés ou naufragés.
Contrairement à ce que pense
Gordon, sa destinée lui paraît étrangement absurde, dénuée de
sens.
1Le monde a-t-il un sens?
Voltaire, en effet, ne récuse pas totalement l'existence de la Providence, mais il n'admet pas qu'elle intervienne au niveau indMduel,
à notre profit.
C'est le sens de la réponse donnée par le sage dans
Candide : « Quand Sa Hautesse 1 envoie un vaisseau en Égypte,
s'embarrasse-t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont à
leur aise ou non? » On en trouve un écho comique, mais néanmoins
révélateur, dans la réaction des Anglais qui « mirent à la voile, en se
souciant fort peu que l'ingénu eût des parents ou non en BasseBretagne » (chap.
IQ.
Voltaire revient sur cette idée fondamentale à
la fin du conte pour réfuter un argument habituellement utilisé
1.
C'est-à-dire le sultan d'Égypte.
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 93
contre le suicide : « Comme s'il importait à l'Être des êtres que
l'assemblage de quelques parties de matière fût dans un lieu ou
dans un autre » (chap.
XX).
En effet, la Providence ne règle pas le destin de l'ingénu.
Comme Zadig....
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