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LE LANGAGE
Le langage est-il spéafiquement humain? Il est en tout cas la princ�ale et incontournable
médiation entre l'homme et le monde, ainsi qu'entre l'homme et l'homme.
Quel est alors son rôle
dans la connaissance? Mais n'est-il pas plus qu'une médiation? N'est-il pas ce qui permet à la
pensée même de se constituer? Et n'est-il pas aussi un moyen d action, de maÎtrise et
de domination?
Au sens large, le langage désigne tout code, c'est-à-dire tout
système de signes ayant pour fonction d'établir une communi
cation (on parle ainsi de langage animal, artificiel, gestuel, etc.).
Au sens restreint, li désigne l'ensemble de la langue (= le code
linguistique en tant que système abstrait) et de la parole ( = l'uti
lisation, la réalisation de la langue par des sujets parlants).
■ Toute langue humaine possède une double articulation.
1) Elle se compose d'unités, douées d'un contenu sémantique
(signifié) et d'une expression phonique (signifiant), appelées mor
phèmes.
Les morphèmes ne correspondent pas exactement aux
mots; par exemple dans l'énoncé : «chantons» nous avons un
mot, mais deux morphèmes [chant] [ons], [ons] constituant une
unité significative dénotant la personne.
C'est la première articu
lation.
2) L'expression phonique du morphème se compose elle-même
d'unités distinctives et successives appelées phonèmes.
Ainsi le
morphème [il] se compose de deux phonèmes [i] et [I].
C'est la
deuxième articulation.
Attention : il ne faut pas confondre le signifié et le référent, ce
dernier étant l'objet réel ou imaginaire que désigne le signe lin
guistique : c'est le référent de chlen
_ qui aboie, pas le signifié.
■
LA LANGUE : UNE SPÉCIFICITÉ HUMAINE?
Les langages des animaux, selon E.
Benveniste, présentent toutefois des différences fondamentales avec le langage humain.
Prenant l'exemple du langage des abeilles, Benveniste observe en
effet (Problèmes de linguistique générale, 1, pp.
56-62) que leur
message «n'appelle aucune réponse de l'entourage» et qu'elles
ne connaissent pas le dialogue.
La communication animale ne
peut porter que sur des données objectives, non sur des données
linguistiques.
De plus, les contenus des messages dans le langage
animal sont limités et stéréotypés, tandis qu'ils sont infinis dans
le langage humain.
Enfin, le langage animal ne possède pas la
double articulation caractéristique du langage humain : on ne
peut le décomposer en morphèmes, «il ne se laisse pas analy
ser».
Ainsi le langage animal se distingue du langage humain par
«la fixité du contenu, l'invariabilité du message, le rapport à une
seule situation, la nature indécomposable de l'énoncé, sa trans
mission unilatérale».
«Le langage représente la forme la plus haute d'une
faculté qui est inhérente à la condition humaine, la
faculté de symboliser.
Entendons par là, très large
ment, la faculté de représenter le réel par un «signe»
et de comprendre le «signe» comme représentant le
réel, donc d'établir un rapport de «signification»
entre quelque chose et quelque chose d'autre.»
(E.
BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale,
1966, Gallimard, p.
2.)
,
Se demander si le langage est apte à exprimer la pensée, c'est
d'abord se demander si la pensée peut exister sans langage.
On
répondra oui si, avec Bergson, on admet une pensée intuitive,
qui constituerait la pensée pure et vraie, distincte de la pensée
conceptuelle : tandis que celle-ci serait liée et soumise au lan
gage, celle-là lui serait étrangère et transcendante.
«Nous échouons à traduire entièrement ce que notre
âme ressent i la pensée demeure incommensurable
avec le langage.» (BERGSON, Essais sur les données
immédiates de la conscience, p.
126.)
LANGAGE ET PtNSÉE CONCEPTUELLE
► le langage condition de la pensée
■ Il paraît légitime d'identifier le concept, ou l'idée, et le signi
fié, la différence entre l'un et l'autre résidant dans la manière
d'envisager les contenus des unités lexicales : le signifié est ce
contenu considéré en opposition avec les contenus des autres
items lexicaux, donc envisagés intra-linguistiquement, tandis que
le concept est ce contenu considéré dans sa relation au référent,
comme une entité existant hors du langage, donc envisagé extra
linguistiquement.
■ Par ailleurs, comme l'a souligné E.
Benveniste, «entre le signi
fiant et le signifié, le lien n'est pas arbitraire; au contraire il est
nécessaire.
Le concept («signifié») «bœuf» est forcément iden
tique dans ma conscience à l'ensemble phonique («signifiant»)
bof.
[...] Le signifiant et le signifié, la représentation mentale
et l'image acoustique sont donc en réalité les deux faces d'une
même notion et se composent ensemble comme l'incorporant et
!'incorporé».
(Problèmes de linguistique générale, 1, pp.
51-Sl)
La langue et la pensée sont donc étroitement liées, comme le
recto et le verso d'une feuille de papier, pour reprendre le
célèbre exemple de Saussure.
Dès lors, il apparaît que «la
forme linguistique est non seulement la condition de transmissi
bilité, mais d'abord la condition de la réalisation de la pensée».
(id., p.
64.)
■ Si donc nous pensons grâce au langage, dans et par lui, il est
évident que la langue que nous parlons va d'une certaine manière
structurer et modeler notre pensée.
De fait, on a fait remarquer
que les catégories de pensée sont des catégories de langue.
Par
exemple, E.
Benveniste, id.
pp.
63-75, a montré que les catégo
ries aristotéliciennes sont celles de la langue grecque; Whorf
que les indiens Hopi substituent....
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