L'argent L'argent est constamment présent dans les Nouvelles de Pétersbourg. Il y accompagne les changements de for tune des protagonistes,...
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«
L'argent
L'argent est constamment présent dans les Nouvelles
de Pétersbourg.
Il y accompagne les changements de for
tune des protagonistes, les élévations sociales et les
chutes.
Lié au processus d'industrialisation et d'urbanisa
tion, l'argent devient le fondement de toute la société.
Il
détermine la différenciation sociale entre les individus,
décide des destins.
Il engendre également un certain
nombre de pratiques caractéristiques : l'usure et la
concussion fleurissent.
Le manque d'argent, le désir de
s'en procurer facilement pour s'arracher à une condition
dure et subalterne donnent également naissance à la pros
titution, plaie des grandes villes.
Enfin, c'est l'argent qui
décide de l'intégration des individus dans les couches
favorisées de la société ou de leur rejet définitif.
L'argent a
donc d'abord et avant tout un rôle social.
Il a également un rôle symbolique.
De ce point de vue,
sa signification va bien au-delà d'une quelconque valeur
marchande d'acquisition ou d'échange.
L'argent est en
effet le médiateur du désir, le révélateur des pulsions
enfouies, l'intermédiaire magique qui permet de les réali
ser..
Le rapport de l'homme à l'argent a valeur d'ordalie, de
mise à l'épreuve.
Il révèle l'être à lui-même.
À ce titre, il
peut jouer un rôle éminemment destructeur et c'est géné
ralement le cas dans les Nouvelles de Pétersbourg.
En
effet, l'argent a souvent partie liée avec le démon.
N'est-il
pas une de ses armes de prédilection ?
L'ARGENT, FONDEMENT
D'UNE SOCIÉTÉ
L'argent
et la grande ville moderne
L'argent est l'une des principales forces à l'œuvre dans
la grande ville moderne engendrée par le commerce et le
capitalisme naissant.
Le monde de l'idylle paysanne évoqué
par Gogol dans les Soirées au bord de la Dikanka ignorait
l'échange monétaire.
Les relations y étaient fondées sur le
troc et les liens d'entraide entre les hommes.
Il en va tout
autrement dans la grande ville anonyme où tout se vend et
tout s'achète, les manteaux comme les femmes.
Cette ville
est peuplée de petits salariés humiliés qui rêvent au monde
enchanté où évoluent les favorisés de la fortune.
On sent
dans les rues la présence de l'argent de façon quasi maté
rielle.
L'argent flotte dans l'atmosphère de la ville.
Il en fait
partie intégrante.
La différenciation sociale
Toujours dans « La Perspective Nevski », le timide
Piskariov hésite à aborder une dame vêtue d'un manteau
qui lui semble coûter quelque quatre-vingts roubles.
Sans
qu'il soit directement question d'argent, tout le début du
texte est consacré à l'évocation des diverses couches de
la société qui apparaissent et disparaissent en groupes
homogènes et à heures fixes.
Les différences de revenus
sont bien évidemment à la base de tous ces regroupe
ments qui supposent à leur tour des exclusions.
Dans « Le Journal d'un fou», Poprichtchine enrage à
l'idée que sa pauvreté l'empêche de donner toute sa
mesure, l'oblige à subir les remontrances des médiocres qui
sont ses chefs.
Une cravate, un costume de chez Routch et
il serait un autre homme, mais il n'a pas d'argent et « c'est
là le malheur» (p.
175).
Le manque d'argent engendre un
sentiment d'injustice, d'infériorité sociale.
Il y a là une sorte
de prédestination mauvaise à laquelle Poprichtchine ne sau
rait échapper qu'en se fabriquant une identité fantasma
tique.
Dans une Espagne imaginaire, !'humilié sera roi.
Le
récit se construit sur la tension entre la nécessité définie par
les règles de l'argent et la liberté temporaire qu'offre la folie.
À l'époque où il n'est qu'un pauvre rapin, Tchartkov est
la cible de toutes les humiliations.
Lieux de plaisir, voyages
d'études en Italie, achat d'objets nécessaires à son art,
tout cela lui est interdit.
Son propriétaire est prêt à le jeter
à la rue avec des paroles cinglantes.
Ses recherches artis
tiques ne suscitent que le mépris.
li faut noter que, même
avant l'épisode du surgissement fantastique des mille
-
ducats, Tchartkov était assailli par le doute, par la tentation
d'une certaine facilité susceptible de lui apporter la notoriété
et l'aisance d'autres peintres moins bien doués que lui.
Le misérable héros du «Manteau», Akaki Akakiévitch
est pauvre entre les pauvres.
Le narrateur nous relate
dans tous les détails le prix de son nouveau manteau, les
expédients auxquels notre héros et son tailleur ont recours
pour en faire baisser le prix, le montant des gratifications
que reçoit Akaki Akakiévitch, sa façon d'ééonomiser systé
matiquement un liard sur chaque rouble, les privations sup
plémentaires qu'il s'impose pour réunir la somme néces
saire.
Pour Akaki Akakiévitch l'achat d'un manteau neuf
est véritablement un exploit.
Il n'en va bien sûr pas de
même des hauts personnages à qui son fantôme révolté
arrachera leurs manteaux.
Dans tous les cas la possession ou l'absence d'argent
entraînent de fortes différences sociales.
Usure, vénalité, prostitution
Le désir de se procurer de l'argent à tout prix est à l'ori
gine de ces trois fléaux sociaux.
Dans la seconde partie du «Portrait», nous apprenons
que l'inquiétant vieillard au teint basané et aux yeux brû
lants dont l'effigie sort de son cadre pour venir tenter le
peintre Tchartkov est un usurier.
Ceux qui ont touché à son
argent ont connu une fin terrible.
Au-delà de la donnée fan
tastique, nous touchons ici à un fait social.
Les usuriers
pullulaient à l'époque et tiraient avantage de la détresse
des petites gens.
Il n'est que de se rappeler le célèbre
sujet de Crime et Châtiment de Dostoïevski1.
Le thème de
l'usure, très présent également chez Balzac, semble résu
mer la violence que l'argent inflige à l'homme dans la
grande ville moderne.
La concussion est l'un des maux traditionnels de la
Russie.
Dans « Le Journal d'un fou», Poprichtchine la
considère comme allant de soi et compare les avantages
1.
Raskolnikov, un jeune homme «en colère» décide d'assassiner
une vieille usurière, être à son sens nuisible et inutile: L'argent
ainsi obtenu lui permettra de mener à bien ses études et d'assu
rer le bonheur de ses proches.
en nature que peuvent escompter les fonctionnaires des
diverses administrations (p.
168).
La pratique de la concus
sion est suggérée dans «Le Nez».
La censure avait en
effet interdit que la chose soit directement évoquée.
À
l'évidence, les offres de rasages gratuits ne satisfont pas
le fonctionnaire de police qui s'en prend au barbier, invo
lontaire détenteur du nez du major Kovaliov.
On peut sup
poser que ce dernier a été libéré après versement de
quelque somme.
Par ailleurs, les allusions que le fonction
naire qui rapporte le nez fait à son besoin d'argent, à la
gêne dans laquelle il se trouve, suggèrent que Kovaliov va
le récompenser en espèces sonnantes et trébuchantes
(p.
223).
La première rédaction, biffée par la censure, étalt
parfaitement explicite à cet égard1.
La concussion généra
lisée, «normalisée>;, pourrait-on dire, ·témoigne de la....
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