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LA VALEUR DE LA SCIENCE L'ESPRIT SCIENTIFIQUE

Publié le 29/08/2014

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esprit

 

1° Au terme de notre étude des méthodes utilisées dans les diverses sciences, il nous est possible de dégager les caract�res principaux de l'esprit scientifique. Comme on l'a souvent souli¬gné, l'esprit scientifique exige avant tout l'esprit critique. La critique, c'est le choix, le tri (luisis), le discernement, c'est en un mot l'analyse, dont nous avons indiqué l'importance au précé¬dent chapitre. Les illusions préscientifiques reposent presque toujours sur des « faits � qui n'ont pas été suffisamment analysés.

Par exemple les alchimistes prétendaient avoir trouvé des procé¬dés pour fabriquer de l'or. Homberg en 1709, le pharmacien danois Cappel en 1783, croyaient encore transformer l'argent en or en le traitant par l'arsenic. Par la suite, on s'aperçut qu'on obtenait de l'or avec l'arsenic de Salzbourg, pas avec celui de Bohême. C'est qu'en réalité l'arsenic de Salzbourg contenait déjà des traces d'or. Les alchimistes ignoraient en effet que bien des minerais sont auri¬f�res et que beaucoup de métaux extraits de ces minerais contien¬nent une petite quantité d'or. L'erreur des alchimistes venait donc d'une analyse insuffisante. Elle fut dénoncée lorsqu'on entreprit d'examiner leurs résultats avec un esprit vraiment scientifique, c'est-à-dire en s'imposant des analyses rigoureuses.

 

L'esprit critique se manifeste encore dans l'activité scientifique par la volonté de rompre avec les perspectives purement subjectives de la connaissance vulgaire. La connaissance scientifique implique une véritable asc�se. Pour conquérir l'objectivité scientifique, il faut se délivrer de la vision subjec¬tive spontanément imposée par notre organisation biologique, par notre corps (passage de la connaissance sensible qualitative à la connaissance rationnelle quantitative : substitution du Soleil conçu par l'astronome au soleil vu par les yeux du corps, par exemple), et aussi de la subjectivité liée aux tendances psychologiques, aux passions (nous avons évoqué la néces¬saire « psychanalyse � de l'anthropomorphisme spontané) et encore de la subjectivité d'origine sociale (le poids de la tra¬dition, du conformisme : nous avons dit la longue résistance des « phlogisticiens � à la chimie de Lavoisier et la nécessité de vaincre la puissance psychologique et sociologique de l'habi¬tude par la force rationnelle des preuves).

L'esprit scientifique est un esprit rationaliste. Il exige, dit tr�s bien Goblot, un effort pour «soustraire la pensée à l'influence du sentiment et à l'arbitraire de la volonté� '. Cela ne veut pas dire — bien au contraire — que la science minimise l'impor¬tance des facteurs irrationnels dans la conduite humaine. Lorsqu'un historien, un sociologue, un écondmiste, un psycho¬logue se disent rationalistes, ils ne signifient pas par là que la conduite des humains est toujours, ni même souvent, raison¬nable. Ils ne sont pas dupes des «rationalisations �, des justifi¬cations que les hommes donnent volontiers de leurs croyances et de leurs actes, «comme s'il était entendu qu'ils doivent être tout pénétrés de logique� 2. Dans les sciences humaines, le rationalisme consiste à dire non pas que la conduite humaine est raisonnable, mais qu'elle est susceptible d'être rationnellement expliquée, qu'il est possible de déterminer ses causes (même si la causalité psychologique ou sociologique échappe à l'agent lui-même qui la subit).

L'historien et le sociologue savent qu'ils peuvent être eux-mêmes victimes d'illusions et d'influences irrationnelles dans leurs travaux — comme les premiers physiciens ou chimistes

1. GOBLOT, Traité de Logique, p. 392.

2. Ibidem, p. 382.

 

en furent victimes. Mais le rationalisme consiste à souligner tout à la fois l'importance et le danger de ces influences irra¬tionnelles. Il ne reconnaît leur présence — et leur puissance —que pour s'employer de son mieux à leur échapper.

Ne reprochons pas d'autre part à l'esprit critique son caract�re négateur, dissolvant. Car l'esprit critique n'est pas l'esprit de critique. L'esprit critique n'est que l'envers d'une exigence tr�s constructive, l'exigence de vérité, d'objectivité. L'esprit critique bien compris c'est, comme beaucoup l'ont répété à juste titre, «le sens de la preuve�. C'est dans cette volonté de ne rien affirmer qui ne puisse être prouvé que réside la vocation essentielle de l'esprit scientifique. Le mathématicien n'avance rien qui ne soit rigoureusement déduit du syst�me d'axiomes préalablement posé (et réduit à sa hase « minimale � selon l'incomparable rigueur de la méthode axiomatique). Le physi¬cien, le chimiste, le biologiste soumettent d'autre part leurs hypoth�ses à la vérification expérimentale, multipliant les expériences afin de construire un faisceau de preuves et rejetant les hypoth�ses démenties par l'expérience.

2° La précision des observations, la rigueur des raisonnements et des analyses, la volonté d'exclure de la connaissance tout ce qui est subjectif et passionnel — tout cela qui définit l'esprit scientifique implique des qualités morales autant que des qua¬lités intellectuelles. Goblot dit même que l'esprit scientifique est «un ensemble de vertus �. La probité incomparable du mathématicien qui n'affirme rien qu'il ne démontre est liée à un acte de foi dans la puissance et la valeur de l'esprit. Mais la morale scientifique n'est pas faite seulement de cette noble « assurance � (comme dirait Descartes). Elle implique aussi l'humilité expérimentale, la soumission au verdict des expé¬riences de vérification et de contrôle. Et pour exclure de la connaissance les influences irrationnelles et subjectives, il faut au savant le courage de s'opposer bien souvent aux traditions établies, aux habitudes enracinées, donc de renoncer s'il le faut — par amour de la vérité — aux récompenses et aux hon¬neurs'.

1. « Le savant aime trop son rêve pour appartenir à d'autres tyrans que ce rêve � (Nicolle).

 

On peut donc parler avec Albert Bayet d'une morale de la science. La science est un haut témoignage de la «dignité de l'esprit�, un «principe d'union� (le souci de précision et de preuve marque à la fois «la r�gle d'or de l'intelligence et la forme la plus haute de l'altruisme �, implique «le désir de s'accorder avec autrui sur les choses essentielles et le désir que cet accord ne soit pas un accord de surprise... mais bien l'expression solide d'une communion réelle �). Par là la science est un «principe de liberté� car le savant n'impose pas ses conclusions par la force ; «elles s'imposent d'elles-mêmes et il n'y a rien de plus spontané, de plus libre que l'adhésion qu'y donne l'esprit�'.

Cela ne veut pas dire, bien entendu, que la science soit le fon¬dement de la morale. La science, dit expressément Bayet, ne «fabrique pas une morale, elle est elle-même fabriquée par une morale�. La science est l'incarnation de certaines exigences morales qui, sans doute, lui préexistent mais auxquelles elle ouvre une carri�re brillante, auxquelles elle donne la plus vivante illustration. Il arrive d'ailleurs que cet idéal demeure informulé chez les savants eux-mêmes. Beaucoup, écrit Bayet, «le suivent sans le voir et vont chercher ailleurs le principe de leur vie personnelle �. De toute façon il est d'autres valeurs que l'amour de la vérité scientifique et les savants ne sont pas nécessairement meilleurs époux, meilleurs p�res ou meilleurs citoyens que les autres hommes. Stendhal, tout en affirmant dans la Vie d'Henri Brulard la valeur morale de la science (« mon enthousiasme pour les mathématiques avait peut-être eu pour base principale mon horreur de l'hypocrisie �) 2, dit sa déception devant la lâcheté ou les petitesses de certains savants qui «en affaires d'argent comme en faveurs, courent à l'utile �3. 

esprit

« L'esprit critique se manifeste encore dans l'activité scientifique par la volonté de rompre avec les perspectives purement subjectives de la connaissance vulgaire.

La connaissance scientifique implique une véritable ascèse.

Pour conquérir 1 'objectivité scientifique, il faut se délivrer de la vision subjec­ tive spontanément imposée par notre organisation biologique, par notre corps (passage de la connaissance sensible qualitative à la connaissance rationnelle quantitative : substitution du Soleil conçu par l'astronome au soleil vu par les yeux du corps, par exemple), et aussi de la subjectivité liée aux tendances psychologiques, aux passions (nous avons évoqué la néces­ saire «psychanalyse» de l'anthropomorphisme spontané) et encore de la subjectivité d'origine sociale (le poids de la tra­ dition, du conformisme : nous avons dit la longue résistance des « phlogisticiens » à la chimie de Lavoisier et la nécessité de vaincre la puissance psychologique et sociologique de l'habi­ tude par la force rationnelle des preuves).

L'esprit scientifique est un esprit rationaliste.

Il exige, dit très bien Go blot, un effort pour «soustraire la pensée à 1 'influence du sentiment et à 1 'arbitraire de la volonté» 1 • Cela ne veut pas dire- bien au contraire- que la science minimise l'impor­ tance des facteurs irrationnels dans la conduite humaine.

Lorsqu'un historien, un sociologue, un économiste, un psycho­ logue se disent rationalistes, ils ne signifient pas par là que la conduite des humains est toujours, ni même souvent, raison­ nable.

Ils ne sont pas dupes des «rationalisations», des justifi­ cations que les hommes donnent volontiers de leurs croyances et de leurs actes, «comme s'il était entendu qu'ils doivent être tout pénétrés de logique» 2 • Dans les sciences humaines, le rationalisme consiste à dire non pas que la conduite humaine est raisonnable, mais qu'elle est susceptible d'être rationnellement expliquée, qu'il est possible de déterminer ses causes (même si la causalité psychologique ou sociologique échappe à l'agent lui-même qui la subit).

L'historien et le sociologue savent qu'ils peuvent être eux­ mêmes victimes d'illusions et d'influences irrationnelles dans leurs travaux -comme les premiers physiciens ou chimistes 1.

ÜOBLOT, Traité de Logique, p.

392.

2.

Ibidem, p.

382.. »

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