La structure du roman Dans le prologue de son premier roman; Érec et Énide, Chrétien de Troyes définit la structure...
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«
La structure
du roman
Dans le prologue de son premier roman; Érec et Énide,
Chrétien de Troyes définit la structure du récit par le terme
« conjointure »
et tret (il tire) d'un conte d'avanture
une malt bele {une très belle) conjointure
(v.
13-14).
La « conjointure », qui implique l'idée de lien, de liaison,
désigne une histoire bien ordonnée.
C'est le plan de l'œuvre,
bâti à partir des matériaux que fournit la matière et à partir du
sens, c'est-à-dire de la signification donnée au récit.
li est
possible de retenir l'équation suivante: conjointure = matière
+ sens; elle est la clé pour comprendre les romans de
Chrétien, qui s'attache à construire sa narration de manière
rigoureuse et cohérente.
La structure est donc toujours signi
fiante, toujours porteuse d'un message qu'il convient de
déchiffrer.
Or, dans Le Chevalier de la charrette, le message est loin
d'être clair et le lecteur a l'impression d'aborder une œuvre
décousue.
S'il s'interroge toutefois avec du recul sur la pro
blématique unité du roman, il finit par en percevoir la savante
« conjointure ».
UN ROMAN DÉCOUSU?
Ni début, ni fin
L'histoire de Lancelot et de Guenièvre débute de façon
abrupte.
Quand le héros paraît, on ignore qui il est, d'où il
vient.
L'auteur ne dévoile pas le nom du personnage, qui fait
une première entrée anonyme dans le récit : Gauvain voit
« venir un chevalier» (v.
271 }.
Pas de portrait, pas d'indications
biographiques ! La seule chose qui caractérise le héros est
son amour pour la reine Guenièvre.
Cet amour est posé
comme une donnée narrative évidente.
Avant même de
connaître l'identité du chevalier - qui ne sera révélée qu'au
vers 3660 -, le lecteur comprend que le personnage aime la
reine Guenièvre et qu'il veut la délivrer.
L'origine et les circonstances dè cette liaison sont passées sous silence.
Le
récit s'ouvre ainsi in medias res1, de façon trés étrange et
mystérieuse.
De la même manière, la fin est énigmatique.
D'abord parce
qu'elle est double: Chrétien de Troyes clôt son récit au
moment où Lancelot est emmuré tandis que le continuateur, Godefroi de Leigni, relate la libération du héros et la
décapitation de Méléagant.
D'autre part, dans les deux cas,
on ignore tout du destin héroïque et sentimental de Lancelot.
Lancelot va-t-il s'installer à la cour du roi Arthur pour y vivre
son amour avec Guenièvre? Va-t-il se mettre au service de
la sœur de Méléagant comme il le lui a promis? Ne faut-il
pas imaginer un nouveau départ pour l'aventure? La fin reste
en suspens ...
Au xme siècle, des continuateurs tenteront
d'ailleurs de combler les «blancs» du récit initial de Chrétien
de Troyes.
Effets de surprise
Si le début et la fin du roman peuvent surprendre, l'enchaînement des épisodes déroute lui aussi le lecteur.
Le romancier n'éclaire pas la structure du récit par des annonces
explicites; bien plus, il brouille les fils narratifs en jouant sur
des effets d'attente et de surprise:
__
La demoiselle qui indique à Lancelot et Gauvain les deux
voies d'accès au pays de Gorre mentionne deux passages
terrifiants : le Pont sous l'Eau et le Pont de !'Épée (v.
600 et
suivants}.
Le lecteur attend alors ces deux aventures qui
seront différées : Lancelot ne parvient au Pont de l'Épée
qu'au vers 2983; quant à Gauvain, on le retrouve au Pont
sous l'Eau à l'extrême fin du texte (v.
5095 et suivants).
Le
même procédé est utilisé dans la scène du chevalier
1.
Expression latine signifiant «au milieu de l'action».
orgueilleux.
Lancelot décapite son adversaire à la demande
d'une demoiselle qui lui crie:
Et tu as une bonne raison de le faire,
car le jour viendra, je crois,
où je saurai bien t'en récompenser.
(V.
2897-2899).
Le lecteur apprendra seulement à partir du vers 6568 qu'il
s'agit de la sœur de Méléagant, grâce à qui Lancelot s'évade
de sa prison.
Chrétien de Troyes use de l'art du suspense.
À la première lecture, le roman peut donc apparaître comme
un texte chaotique dont l'unité pose problème.
UNE UNITÉ
QUI FAIT PROBLÈME
Une unité narrative ?
Le découpage du roman n'est pas évident.
On peut hésiter entre une structure binaire ou ternaire.
L'épilogue suggère un découpage en deux parties : la délivrance des
prisonniers de Gorre et de Guenièvre puis celle de Lancelot
(v.
5359 et suivants).
Dans ce cas, il y a déséquilibre entre
les deux sections, la première occupant presque tout le récit
-Peut-être faut-il plutôt distinguer trois moments : la quête
de Lancelot, Lancelot à la cour de Bademagu, puis l'emprisonnement de Lancelot et la défaite de Méléagant.
Cette tripartition se retrouve dans les épisodes, par exemple dans
la quête de Gauvain au début du roman : Gauvain part à la
suite de Keu et rattrape son cheval ; il rencontre Lancelot à
qui il donne un cheval ; il retrouve le cheval mort et Lancelot
sur la charrette.
En fait, la difficulté à dégager la structure du texte témoigne
de l'entrelacement des intrigues.
Il existe une intrigue
majeure, l'amour de Lancelot pour Guenièvre, qui se confond
avec deux intrigues mineures : la libération des prisonniers de
Gorre et le conflit avec Méléagant.
Les intrigues sont étroitement mêlées car Guenièvre fait partie des prisonniers de
Gorre et Méléagant est un obstacle à l'amour de Lancelot.
L'unité ne repose donc pas sur l'enchaînement des épisodes.
Une unité psychologiqué?
La structure interne correspond peut-être à l'évolution psychologique des protagonistes.
Lancelot et Guenièvre sont
mus par l'amour qui guide leurs actions et oriente le récit.
En ce sens, l'épisode initial de la charrette imprime au
roman ses principaux schémas.
Par amour, Lancelot va
s'humilier en montant sur la charrette d'infamie, mais avant
d'accomplir ce geste décisif et déshonorant, il marque un
instant d'hésitation que la reine lui reprochera sévèrement.
Quelques ressorts narratifs importants sont posés ici : la
confrontation du héros amoureux à des choix difficiles, l'humiliation, les exigences de la reine-amante.
La plupart des épisodes reprennent ces motifs, qui assurent au roman une
certaine cohérence.
D'une part, le motif du choix est un moteur narratif important.
Le récit progresse en fonction des choix de Lancelot
(choix entre deux voies, par exemple), qui ne répétera pas
sa faute première face à la charrette.
Poussé par un amour
invincible, il n'hésite plus à se lancer....
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