La ruse de l'homme I. La route en lacets qui monte. Belle image du progrès; qui est de Renan, et...
Extrait du document
«
La ruse de l'homme
I.
La route en lacets qui monte.
Belle image du progrès; qui est de Renan,
et que Romain Rolland a recueillie.
Mais pourtant elle ne me semble pas
bonne; elle date d'un temps où l'intelligence, en beaucoup, avait pris le
parti d'attendre, par trop contempler.
Ce que je vois de faux, en cette
image, c'est cette route tracée d'avance et qui monte toujours; cela veut
dire que l'empire des sots et des violents nous pousse encore vers une plus
grande perfection, quelles que soient les apparences; et qu'en bref l'huma
nité marche à son destin par tous moyens, et souvent fouettée et humiliée,
mais avançant toujours.
Le bon et le méchant, le sage et le fou poussent
dans le même sens, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils le sachent ou non.
Je
reconnais ici le grand jeu des dieux supérieurs, qui font que tout serve leurs
desseins.
Mais grand merci.
Je n'aimerais point cette mécanique, si j'y
croyais.
Tolstoï aime aussi à se connaître lui-même comme un faible atome
en de grands tourbillons.
Et Pangloss, avant ceux-là, louait la Providence,
de ce qu'elle fait sortir un petit bien de tant de maux.
Pour moi, je ne
puis croire à un progrès fatal; je ne m'y fierais point.
Je vois l'homme nu
et seul sur sa planète voyageuse, et faisant son destin à chaque moment;
mauvais destin s'il s'abandonne; bon destin aussitôt, dès que l'homme se
reprend.
II.
Suivant Comte en cela, je chercherais une meilleure image de nos luttes,
de nos fautes et de nos victoires.
Si vous avez quelquefois observé une
barque de pêche, quand elle navigue contre le vent, ses détours, ses ruses,
son chemin brisé, vous savez assez bien ce que c'est que vouloir.
Car
cet océan ne nous veut rien, ni mal ni bien; il n'est ni ennemi, ni
secourable.
Tous les hommes morts, et toute vie éteinte, il s'agiterait
encore; et ce vent, de même, souffierait selon le soleil; forces impitoyables
et irréprochables; la vague suit le vent et la lune, selon le poids et la mobilité
de l'eau; ce vent mesure le froid et le chaud.
Danse et course selon des
lois invariables.
Et pareillement la planche s'élève et s'abaisse selon la
densité, d'après cette invariable loi que chaque goutte d'eau est portée
par les autres.
Et si je tends une voile au vent, le vent la repousse selon
l'angle; et si je tiens une planche en travers du flot, le flot la pousse aussi,
comme le flot s'ouvre au tranchant de la quille et résiste sur son travers.·
D'après quoi, tout cela observé, l'homme se risque, oriente sa voile par
le mât, les vergues et les cordages, appuie son gouvernail au flot courant,
gagne un peu de chemin par sa marche oblique, vire et recommence.
Avançant contre le vent par la force même du vent.
Quand j'étais petit, et avant que j'eusse vu la mer, je croyais que
les barques allaient toujours où le vent les poussait.
Aussi, lorsque....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓