La ligne de bataille 5 10 15 ' 20 25 Une certaine quantité de tempête se mêle toujours à une...
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La ligne de bataille
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20
25
Une certaine quantité de tempête se mêle toujours à une
bataille.
Quid obscurum, quid divinum.
Chaque historien trace
un peu le linéament qui lui plaît dans ces pêle-mêle.
Quelle que
soit la combinaison des généraux, le choc des masses armées a
d'incalculables reflux: dans l'action, les deux plans des deux
chefs entrent l'un dans l'autre et se déforment l'un par l'autre.
Tel point du champ de bataille dévore plus de combattants que
tel autre, comme ces sols plus ou moins spongieux qui boivent
plus ou moins vite l'eau qu'on y jette.
On est obligé de reverser
là plus de soldats qu'on ne voudrait.
Dépenses qui sont l'imprévu.
La ligne de bataille flotte et serpente comme un fil, les traînées de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armées
ondoient, les régiments entrant ou sortant font des caps ou des
golfes, tous ces écueils remuent continuellement les uns devant
les autres ; où était l'infanterie, l'artillerie arrive ; où était
l'artillerie, accourt la cavalerie; les bataillons sont des fumées.
Il y avait là quelqüe chose, cherchez, c'est disparu; Les éclaircies
se déplacent; les plis sombres avancent et reculent; une sorte de
vent du sépulcre pousse, refoule, enfle et disperse ces multitudes
tragiques.
Qu'est-ce qu'une mêlée? une oscillation.
L'immobilité
d'un plan mathématique exprime une minute et non une journée.
Pour peindre une bataille, il faut de ces puissants peintres
qui aient du chaos dans le pinceau ; Rembrandt vaut mieux que
Van Der Meulen.
Van Der Meulen exact à midi, ment à trois
heures.
La géométrie trompe : l'ouragan seul est vrai.
In Les Misérables II.
1.
------QUESTIONS-----1 - Observez le lexique et relevez tout ce qui y est emprunté au vocabulaire des sciences, en particulier la mathématique et la physique.
Commentez brièvement le champ lexical ainsi constitué.
La masse, la quantité, les forces et le calcul sont assez abondamment représentés dans le texte.
On trouve ainsi et successivement:
"quantité de tempête ...
combinaison, choc, masses, incalculables,
reflux, les plans...
se déforment, reverser, illogiquement, oscillation,
immobilité d'un plan mathématique, géométrie".
L'abondance d'un tel lexique peut surprendre par sa froide
objectivité quand il s'agit d'évoquer la mort de milliers d'hommes.
2 - Relevez deux images qui pourraient être choquantes pour la
sensibilité du lecteur.
Expliquez votre choix.
On pourrait être choqué par la comparaison de la ligne 8 où les
combattants sur le champ de bataille sont assimilés à de l'eau plus ou
moins absorbée par un sol spongieux.
Où est en effet passée l'âme ?.De
la même façon une expression comme "dépenses qui sont l'imprévu"
présente implicitement le supplément de soldats engagés dans la
bataille comme des "faux frais" évoqués sans une trace d'émotion.
- - - - COMMENTAIRE COMPOSÉ - - - Introduction
- Présentation
du texte
-Annonce du
plan
Se livrant, dans le livre II des Misérables, roman
publié en 1864, à des considérations préliminaires à la
description de la bataille de Waterloo, Victor Hugo
adopte un point de vue dominant et général.
C'est un
technicien de l'écriture qui s'adresse à nous pour
démontrer l'impossibilité où il se trouve de restituer de
façon cohérente et organisée la figure d'une bataille.
C'est donc de manière apparemment froide et distanciée qûe l'auteur aborde ce drame humain.
Un autre
sentiment cependant nous conduit, tandis que nous
découvrons le texte, à corriger cette appréciation, car
cette page de V.
Hugo est incontestablement parcourue par un souffle épique.
Examinons le texte à la
lumière de ces deux impressions.
On est frappé, dans un premier temps, par l'originalité de ce texte par rapport aux morceaux les plus connus
de la littérature guerrière : nulle pitié, nul pathos, nulle
indignation, ne semblent exprimés, directement ou indirectement, dans ce discours apparemment désincarné
tenu par une sorte d'habitant de Sirius ou, pour le
moins, par un théoricien peu soucieux de descendre
aux détails.
Nous sommes invités en effet à ne nous
intéresser qu'à des ensembles : "ces pêle-mêle", les
1-Vue
"masses armées", "la ligne de bataille flotte", "les fronts
d'ensemble des armées ondoient", "les régiments entrant ou sortant" "les bataillons", "les multitudes" sont autant d'expressions qui invitent à un regard global et dépassionné.
Cette impression se trouve renforcée par l'usage de
termes qu'on attendrait plutôt sous la plume d'un
mathématicien ou d'un physicien ; ainsi, dans les
2 - Vocabulaire batailles, nous est-il dit, "se mêle une certaine quantité
scientifique de tempête", les généraux opèrent leurs "combinaisons", "les plans des chefs entrent l'un dans l'autre", une
mêlée est une "oscillation" ; pour finir, le "plan mathématique" comme la "géométrie", pour être déclarés
inopérants, n'en sont pas moins évoqués par l'auteur.
Cette impression de froideur et de détachement,
due au fait que le désastre guerrier est considéré au
niveau de l'épure, culmine avec l'association que V.
Hugo établit froidement, à la ligne 12, entre "les
traînées de sang" et l'adverbe "illogiquement".
Les métaphores et comparaisons concourent aux
mêmes effets: l'image dominante qui est celle de l'élé3 - Le rôle des
ment liquide, essentiellement maritime, ("flotte et serimages
pente", "reflux", "caps", "golfes", "écueils") confère au
conflit sanglant - générateur de charniers - le statut
d'un événement naturel relevant de la météorologie et
sur lequel le jugement moral n'a pas à s'exercer; très
I - Une vision
froide et
distanciée
frappante à cet égard est la comparaison de la ligne 7
où l'hécatombe ne semble être envisagée que sous
l'aspect d'une évaluation sereinement quantifiée.
En
mentionnant en effet que "tel point...
dévore plus de
combattants que tel autre ...
comme ces sols plus ou
moins spongieux qui boivent plus ou moins vite l'eau
qu'on y jette", Hugo ne craint pas d'assimiler, sous le
signe du "plus ou moins", du "tel" ou du "tel", deux
réalités bien étrangères.
Mieux encore, l'indifférence
qu'il affecte confine à la désinvolture avec la brutalité
du verbe "jeter" auquel correspond à la ligne suivante
4....
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