La conclusion de Terre des hommes I. Il y a quelques années, au cours d'un voyage en chemin de fer,...
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La conclusion de Terre des hommes
I.
Il y a quelques années, au cours d'un voyage en chemin de fer, j'ai voulu
visiter la patrie en marche où je m'enfermais pour trois jours, prisonnier
pour trois jours de ce bruit de galets roulés par la mer, et je me suis levé.
J'ai traversé vers une heure du matin le train dans toute sa longueur.
Les
sleepings étaient vides.
Les voitures de première étaient vides.
Mais les voitures de troisième abritaient des centaines d'ouvriers
polonais congédiés de France et qui regagnaient leur Pologne.
Et je remon
tais les couloirs en enjambant des corps.Je m'arrêtai pour regarder.
Debout
sous les veilleuses, j'apercevais dans ce wagon sans divisions, et qui ressem
bl,:1-it à une chambrée, qui sentait la caserne ou le commissariat, toute une
population confuse et barattée par les mouvements du rapide.
Tout un
peuple enfoncé dans les mauvais songes et qui regagnait sa misère.
De grosses
têtes rasées roulaient sur le bois des banquettes.
[...]
Un enfant tétait une mère si lasse qu'elle paraissait endormie.
La vie
se transmettait dans l'absurde et le désordre de ce voyage.
Je regardai le père.
Un crâne pesant et nu comme une pierre.
Un corps
plié dans l'inconfortable sommeil, emprisonné dans les vêtements de
travail, fait de bosses et de creux.
L'homme était pareil à un tas de glaise.
Ainsi, la nuit, des épaves qui n'ont plus de forme, pèsent sur les bancs des
halles.
Et je pensai : le problème ne réside point dans cette misère, dans
cette saleté, ni cette laideur.
Mais ce même homme et cette même femme
se sont connus un jour et l'homme a souri sans doute à la femme : il lui a,
sans doute, après le travail, apporté des fleurs.
Timide et gauche, il tremblait
peut-être de se voir dédaigné.
Mais la femme, par coquetterie naturelle,
la femme sûre de sa grâce, se plaisait peut-être à l'inquiéter.
Et l'autre,
qui n'est plus aujourd'hui qu'une machine à piocher ou à cogner, éprou
vait ainsi dans son cœur l'angoisse délicieuse.
Le mystère, c'est qu'ils
soient devenus ces paquets de glaise.
Dans quel moule terrible ont-ils passé,
marqués par lui comme par une machine à emboutir? Un animal vieilli
conserve sa grâce.
Pourquoi cette belle argile humaine est-elle abîmée? [...]
II.
Je m'assis en face d'un couple.
Entre l'homme et la femme, l'enfant, tant
bien que mal, avait fait son creux, et il dormait.
Mais il se retourna dans
le sommeil, et son visage m'apparut sous la veilleuse.
Ah! quel adorable
visage! Il était né de ce couple-là une sorte de fruit doré.
Il était né de ces
lourdes hardes cette réussite de charme et de grâce.
Je me penchai sur ce
front lisse, sur cette douce moue des lèvres, et je me dis : voici un visage de
musicien, voici Mozart enfant, voici une belle promesse de la vie.
Les
petits princes des légendes n'étaient point différents de lui : protégé, en
touré, cultivé, que ne saurait-il devenir! Quand il naît par mutation dans
les jardins une rose nouvelle, voilà tous les jardiniers qui s'émeuvent.
On isole la....
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