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CONCLUSION
Tous nous savons que nous ne sommes pas au prin
cipe de notre existence : nous ne sommes pas nés
parce que nous l'aurons voulu, décidé, même si appa
remment, par le suicide, nous pensons pouvoir mettre
un terme à notre existence.
Or, du fait même que nous
ne sommes pas au principe de notre être, de notre exis
tence, même cet acte ne change rien à notre fonda
mentale dépendance et mortalité, que cet acte conteste
ou devance, mais qu'il ne modifie aucunement.
Quant à l'existence que nous menons de notre nais
sance à notre mort, elle est à ce point tributaire de
conditions et de changements, tant externes qu'in
ternes, qu'il nous est impossible de dire pleinement
«je» comme si nous étions au principe de notre être et
non pas conditionné de toutes parts, quand bien même
nous voudrions-nous libres.
Libres de ratifier un choix
qui n'est pas nôtre, libres de le bénir et de le fructifier.
Pour les «matérialistes» de tous bords, comme pour
les croyants monothéistes, nous n'avons à vivre qu'une
seule vie terrestre, laquelle, pour les premiers, se ter
mine à la mort, laquelle, pour les seconds «se pour
suit» éternellement, selon d'autres modalités dont le
secret est bien gardé, mais l'espérance, pour le croyant,
certaine.
· Après tout, si notre vie a un sens, notre «survie»,
fût-elle encore.plus énigmatique, n'en aurait pas moins
et même plutôt plus.
Et si elle n'en a aucun, d'où vient
que nous lui en cherchions un?
Pour la pensée brahmanique, hindouiste, qu'elle soit
monothéiste ou polythéiste (bhakti), ou qu'elle soit,
spéculativement ou plutôt mystiquement, non-dualiste
dans l'identification de l'âtman au brahman, nous avons
à vivre une infinité de vies, dans les trois mondes : ter
restre, céleste, infernal; et selon cinq états : humain,
divin, animal, démoniaque, fantomatique.
Une infinité de vies sans commencement, puisqu'il
n'y a pas eu acte de création; une infinité de vies sans
fin tant que la ronde infernale des re-naissances et des
re-morts se nourrira automatiquement des actes et voli
tions mentales ou vocales (karma) qui nous enchaînent
à vivre.
La seule issue possible, la seule libération
(moksha, mukti) du cycle samsâra-karma, est, d'une
part, d'épuiser notre capital-vie karmique, issu du
passé, et de n'en pas produire d'autre dans cette vie
présente, et, d'autre part, de réaliser mystiquement
l'identification âtman-brahman.
A ces conditions, nous
cessons de vivre dans le devenir, c'est-à-dire d'exister,
même si pour un temps encore, en tant que déjà«libé
rés vivants» (jîvanmukta) il nous faut encore épuiser le
maigre karma résiduel d'avant l'extinction totale
(parinirvâna).
Bien sûr, ce qui distingue du matérialisme· comme
du monothéisme personnel cette pensée n'est pas négli-.
geable: karma-samsâra et donc infinité de vies consé
cutives, libération d'extinction dans l'identification du
soi ( âtman) a u Soi (brahman).
Ma is aussi «félicité
dans la conscience d'être» (sat-cit-ananda) qui laisse
entrevoir que cette extinction d'existence n'est pas pur
néant.
Quoi qu'il en soit, il y a permanence d'un soi
(âtman), d'une âme dirions-nous, qui réintègre sa
nature propre au terme d'un parcours sensé.
S'il n'y a
pas un «je» au sens monothéiste d'un «je» que
Le bouddhisme I 189
garantit le Je de tous les «je» - Dieu-, il y a, par
contre, un «soi» que garantit le Soi de tous les «soi»
- !'Absolu.
Il ne semble pas faux d'estimer alors qu'entre le
monothéisme personnel (et des personnes) et le brahmanisme-hindouisme, à un certain niveau et sur certaines questions-réponses, un véritable dialogue puisse
s'engager, si c'est le terme qui convient.
Entre le monothéisme et le bouddhisme, déjà dans
son aspect exotérique, mais alors combien plus dans
ses aspects ésotériques, il semble que le dialogue sera,
lui, extrêmement difficile, sinon impossible.
Cependant, le défi que le bouddhisme propose à la
pensée est à ce point radical qu'il est bien de toutes les
solutions avancées pour guérir l'homme de la maladie
du mal-être, celle qu'il n'est plus possible, pour qui
pense, de ne pas affronter.
Bouddha, lui-même, s'était bien aperçu du caractère
inouï de son Eveil (bodhi) lui qui, dans un premier
temps, avait failli refuser de mettre en branle la Roue
de la Loi (Dharmacakra, ou en abrégé Dharma),
s'étant rendu compte combien son enseignement allait
à contre-courant de la croyance spontanée en un soi
permanent (âtman), lui qui, par la suite, avait prédit
que son message allait se dégrader, perdre de sa pureté,
de par les concessions mêmes que sa bonté compatissante avait permises.
Qu'aurait-il pensé de son échec en Inde, en Chine
ensuite?
Qu'aurait-il pensé de ceux qui avaient fait de sa «thérapeutique» une religion, une philosophie spéculative?
Son constat que tout est souffrance, mal-être
(duhkha) n'est-il pas déjà en lui-même problématique,
car tout se passe comme si la souffrance empoisonnait
de façon permanente jusqu'aux bonheurs et joies de
l'existence.
Or, en stricte rigueur, du fait même de la
rétribution karmique, joies et peines se succèdent,
alternent.
Le monde, la vie sont-ils à ce point méprisables,
alors que, selon la loi même de la rétribution kar
mique, une vie paradisiaque méritée n'a rien de mépri
sable, même si elle est nécessairement transitoire et
fondamentalement « attachante » ; et une vie infernale
ou animale, même si elle est méprisable n'a rien de
définitif car elle n'éteintjamais l'atTivée à maturation
de fructifications bénéfiques, résultant de vies anté
rieures ou de la vie présente.
A paiiir du constat que tout est souffrance, vivre se
résume, d'une part, à subir la loi du devenir karmique
que la soif de vivre approvisionne constamment et
sans fin, et, d'autre part, pour ceux qui s'en donnent la
peine, vivre de ne pas vivre, au point d'atteindre cette
certitude profondément apaisante : cette existence est
la dernière, «je» ne renaîtrai plus.
Deux questions se posent : qui dit «je» ne renaîtrai
plus, y a-t-il autre chose que la vie?
A la question y a-t-il autre chose que la vie, l'exis
tence, le devenir, Bouddha ne répond pas positi
vement, ce qui laisse la porte ouverte à toutes les
interprétations possibles, qui d'ailleurs n'ont pas man
qué.
Il semble bien pourtant que, d'une....
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