[Introduction] Qu'il soit romancier, dramaturge ou poète, quel écrivain n'a jamais eu recours au mythe antique ? Réfléchissant dans Le...
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«
[Introduction]
Qu'il soit romancier, dramaturge ou poète, quel écrivain n'a jamais eu recours au mythe
antique ? Réfléchissant dans Le Vent Paraclet, son autobiographie intellectuelle, à
l'intégration du mythe dans son œuvre romanesque, Michel Tournier affirme que « les
mythes comme tout ce qui vit - ont besoin d'être irrigués et renouvelés sous peine de
mort ».
Par l'image de l'irrigation, l'apport de l'eau nécessaire à la croissance de la
végétation, il signifie que pour empêcher les mythes de dépérir, il est nécessaire que,
siècle après siècle, des écrivains y puisent leur inspiration.
Tel est le cas de Giraudoux
qui, après Plaute et Molière, après le Portugais Camoëns et le romantique allemand
Heinrich von Kleist, a donné avec Amphitryon 38 la trente-huitième version dramatique
du mythe fondateur de la légende d'Hercule.
Or comment Giraudoux a-t-il renouvelé le
mythe ? Trois éléments de réponse peuvent être donnés : en modifiant les données du
mythe ; en y introduisant de la fantaisie ; en le chargeant d'ambiguïté.
[I.
Il modifie les données du mythe]
[a.
L'histoire]
Le mythe d'Amphitryon raconte l'infortune conjugale du général thébain Amphitryon,
dont la femme, Alcmène, a attiré, sans le vouloir, l'attention de Jupiter.
Or pour le roi des
dieux, Alcmène n'est pas une simple passade ; il nourrit pour elle de grands desseins :
de leur union doit naître un fils, Hercule, qui serait assez puissant pour protéger à la fois
les hommes et les dieux de la mort.
Connaissant la fidélité d'Alcmène, il emprunte pour
la séduire les traits d'Amphitryon lui-même.
Si Giraudoux garde Amphitryon comme héros éponyme, il fait d'Alcmène la véritable
protagoniste de cette comédie de la séduction.
D'objet de désir de la part de Jupiter, elle
devient une femme libre qui ose tenir tête au roi des dieux, repousse fermement ses
offres les plus alléchantes, préfère la modeste condition d'épouse et de mortelle à celle,
beaucoup plus flatteuse, de maîtresse ou infiniment plus prestigieuse de déesse.
Il
déplace ainsi le centre de gravité de la pièce : la triste ou ridicule mésaventure du
cocuage est remplacée par l'apologie de l'amour conjugal et de la fidélité, ce qui lui
permet de poser un problème moderne, l'avenir du couple.
Au lieu d'écrire le drame de la
conscience d'Amphitryon, il scrute la conscience d'Alcmène.
Il introduit, en outre, deux nouvelles scènes, l'échange des serments entre époux et une
substitution.
L'échange des serments, dû à une ini-tiative d'Alcmène (acte II, scène 6), a
pour effet de créer un suspens tragique, puisqu'Alcmène dit : « Je jure d'être fidèle à
Amphitryon, mon mari, ou de mourir ! ».
Le spectateur peut alors se demander si
Giraudoux va donner au mythe une coloration tragique.
Au contraire, la scène de
substitution tire le mythe du côté du vaudeville.
Profitant de l'arrivée impromptue de
Léda, l'une des anciennes conquêtes de Jupiter, Alcmène lui demande de la remplacer
auprès de Jupiter.
Cette fine mouche d'Alcmène saura-t-elle abuser le roi des dieux par
ce subterfuge et infléchir le cours d'un destin fixé de toute éternité ?
[b.
Les personnages]
Giraudoux modifie aussi la distribution.
S'il grossit le rôle d'Alcmène, il diminue en
revanche celui de Mercure.
Dans le mythe, les deux dieux, Jupiter et Mercure, prennent
les traits de deux mortels, Amphitryon et son valet Sosie.
Or, contrairement à Plaute et à
Molière qui tiraient les effets les plus plaisants, notamment sous la forme de quiproquos
en cascade, de ce double déguisement, Giraudoux ne donne qu'un rôle épisodique à
Mercure-Sosie, car il préfère représenter Mercure sous sa véritable identité de dieu et de
messager des dieux.
De plus, il a modifié la signification du personnage d'Alcmène.
En acceptant la condition
humaine et sa limite, la mort, Alcmène montre une sagesse et un sens de la mesure
typiquement grecs.
Elle obéit en effet au grand précepte : « mêdén agan » = « rien de
trop » et rien ne lui est plus étranger que cette démesure ou « hybris », cause des
souffrances ou de la mort de tant de héros mythiques, Prométhée, Œdipe, Achille...
Par
son idéal de fidélité, son intelligence et son humour, Alcmène est le porte-parole de
Giraudoux.
Enfin, en la dotant d'une sensibilité et d'une complexité plus grandes, il ne
cherche pas pour autant à rabaisser le mari pour mieux grandir l'épouse : quoique cocu,
Amphitryon garde sa dignité ainsi que la sympathie du spectateur, il ne tombe pas dans
le ridicule.
Quel mortel pourrait, en effet, lutter victorieusement contre les dieux ?
[II.
Il introduit de la fantaisie]
Même si le dramaturge moderne peut prendre des libertés avec les caractères et les
situations, le cadre général du mythe reste contraignant : Jupiter possédera Alcmène.
En
revanche, il a toute latitude de donner libre cours à sa fantaisie dans le détail.
Giraudoux
ne s'en prive pas, usant alternativement de l'humour, de l'anachronisme et de la parodie.
[1.
L'humour]
De l'humour, façon plaisante de présenter les choses, on trouvera des échantillons dans
presque toutes les scènes.
D'abord, Giraudoux n'hésite pas à traiter les dieux avec
irrévérence.
Dès la première scène, Mercure se moque d'un Jupiter qui ne craint pas de «
perdre une nuit au milieu de cactus et de ronces pour apercevoir l'ombre d'Alcmène » et
lui donne des conseils avisés : « entrez par la porte, passez par le lit, sortez par la
fenêtre ».
Son pouvoir est ravalé à « cette espèce d'oisiveté suprême, cette fonction de
contremaître spécialiste du chantier divin » (II, 5).
Quand Jupiter prend la forme
d'Amphitryon, Mercure lui reproche de flotter dans son « sac humain », puis le compare à
« un ver luisant humain » (1,5).
Alcmène, de son côté, ne manque pas une occasion de
prendre Jupiter de haut : « Ne me parle pas de ne pas mourir tant qu'il n'y aura pas un
légume immortel » (II, 2).
L'humour enfin donne du piquant à la périphrase (la lune
devient « une boule vide ») ou à l'énumération, quand Giraudoux brise son essor par une
chute cocasse : « les diverses manières de se protéger des insectes, des orages, du
hoquet » (1,2) ; il permet d'anticiper sur l'avenir : « les poètes de la postérité se
chargeront de votre conversation de cette nuit » (II, 5) ; il aide à faire passer la satire
politique : « cette grande entreprise démocratique - la seule réussie, d'ailleurs - qui
s'appelle la nuit »
(1.1).
[2.
L'anachronisme]
Les nombreux anachronismes dont Giraudoux parsème sa pièce ont deux fonctions.
L'auteur cherche bien entendu à amuser quand il introduit chez les Grecs des objets (le
divan, la fourchette, les « tissus des meilleures marques », le fixatif pour les^cheveux),
des métaux (l'acier et le platine), des fleurs (le zinnia), des animaux (le caniche et
l'ocelot) ou des notions scientifiques (les chocs moléculaires) qui leur étaient totalement
inconnus.
Le zinnia venant du Mexique et l'ocelot vivant en Amérique, on ne les connaît
en Occident que depuis la conquête du Nouveau Monde, et c'est à Henri III que nous
devons l'usage de la fourchette.
Mais la fréquence des anachronismes suggère
habilement que l'histoire représentée sur scène pourrait fort bien se passer au XXE
siècle.
D'ailleurs Alcmène ne se présente-t-elle pas comme une « petite-bourgeoise » ?
Et quand elle déclare solennellement :....
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