Introduction Question courante, mais encouragée par la lecture scolaire, alors qu'elle est ignorée de la lecture passive ou de simple...
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Introduction
Question courante, mais encouragée par la lecture scolaire, alors qu'elle est ignorée de la
lecture passive ou de simple consommation : « Qu'est-ce que ça veut dire? » Cette
attente d'une réponse ne vise pas seulement les obscurités superficielles d'un texte, mais
quelque chose de plus complexe : en apparence, le texte raconte une histoire ou décrit
quelque chose, mais en fait il dit un rapport, un problème non directement ou
explicitement évoqué (Après trois ans décrit un jardin; J'ai cueilli cette fleur , «raconte»
une rêverie au bord de la mer, mais ces deux poèmes posent en fait la question du
souvenir, celle de la place de l'homme dans l'univers et dans le temps).
Quel problème
donc, quel rapport? La réponse de l'œuvre, c'est le lecteur qui la cherche à partir des
données de l'œuvre.
Mais en même temps le lecteur se pose des questions et pose des
questions à l'œuvre, à partir de sa propre expérience, de ses propres difficultés :
questions, par exemple, sur l'amour, la mort, le sens de l'histoire...
L'œuvre est-elle
capable de lui apporter des réponses, c'est-à-dire de l'amener à ne plus poser de
questions, à ne plus s'en poser? Est-ce sa fonction et son intérêt? Et si l'œuvre a
répondu, est-elle encore utile, intéressante en tant qu'oeuvre? Est-ce que désormais tout
l'intérêt n'est pas dans la réponse obtenue? Ionesco met en garde ici contre la disparition
de l'œuvre au profit des réponses, derrière les réponses; contre la transformation des
œuvres en manuels de réponses, en modes d'emploi, contre l'absence de tout reste, de
tout après.
Dès lors se profile une autre question : une œuvre qui se laisse réduire en
réponses est-elle une œuvre? Pour tenter de comprendre, il faut voir ce qui se passe
dans le jeu des questions et des réponses, dans le jeu écriture/lecture.
Il faut aussi
tenter de situer historiquement la question.
1) Le jeu des questions et des réponses : description, fonctionnement
a) L'œuvre pose des questions; l'œuvre répond
C'est la thèse de la clarté, de la transparence de l'œuvre, qui veut faire quelque chose et
qui y réussit, sans échec ni trop-plein.
Le lecteur n'a plus qu'à se soumettre, consommer,
faire son profit.
b) L'œuvre pose des questions et le lecteur répond
Chaque lecteur, fait, à la limite, l'usage qui lui convient de l'œuvre; l'œuvre peut
disparaître ou n'être que prétexte : par exemple, le lecteur choisit parmi les questions
que pose l'œuvre ce qui l'intéresse et néglige le reste.
Il n'y a plus d'objectivité de
l'œuvre (exemple : ne retenir de la Comédie humaine que ce qu'elle dit sur l'alcoolisme
populaire).
c) Le lecteur pose les questions et l'œuvre répond
On insiste alors, de manière positive, sur la lecture qui fait exister l'œuvre, qui en fait
une potentialité, un réservoir de sens, une pratique en devenir, etc.
Cette thèse ne va
cependant pas sans difficulté : le lecteur ne peut se poser des questions que si l'œuvre
l'y invite, les rend possibles, nécessaires.
Il est des œuvres qui ne poussent jamais
d'elles-mêmes à le faire.
Tout ne dépend donc pas du lecteur et on retrouve le problème
de l'objectivité de l'œuvre.
Mais il faut aller plus loin : une œuvre qui n'invite pas à se
poser et à lui poser des questions peut aussi être questionnée sur...
cette absence de
questions! On retrouve ici le pouvoir et le droit des lecteurs.
d) En fait, l'œuvre, née d'une conscience individuelle, elle-même immergée
dans un bain de questions collectives, est d'abord expression et interrogation : qui ne
s'interroge pas (et bien entendu on peut ne pas savoir qu'on s'interroge, la question peut
être obscure, enfouie, etc.) n'écrit pas ou n'écrit pas au sens réel de ce terme.
Mais cette
expression-interrogation n'existe que si elle est reprise par d'autres expressionsinterrogations : par exemple, un roman sur l'adolescence lu par des adolescents.
Ces
questions peuvent du reste être perçues ou ne pas l'être : et une question qui n'est pas
perçue est une question qui n'existe pas.
Beaucoup dépend donc de la lecture, mais ce
phénomène de la lecture résulte d'un accord historique lecteur/ auteur.
Des lecteurs qui
ne se posent pas certaines questions ne comprendront pas ou ne liront pas une œuvre
qui interroge.
2) Le problème ouverture/fermeture du texte
Un danger considérable : appliquer à l'art le principe selon lequel il ne s'agit plus de
comprendre le monde mais de le transformer.
On aboutirait ainsi à l'idée d'une œuvre
dans laquelle les problèmes sont résolus ou qui contribue à les résoudre.
Or « toute
œuvre péremptoire est une œuvre mensongère » (Aragon, la Semaine Sainte).
Qu'est-ce
à dire?
a) Les questions posées par l'œuvre sont toujours en partie sans réponse pour le lecteur
:
— parce qu'elles portent non sur de l'éternel, mais sur du non résolu (la mort, la fuite du
temps, le progrès, aimer et être aimé, savoir et être...), actuellement et pour longtemps;
— parce qu'elles portent sur la manière individuelle dont est vécu l'universel.
Il y a une
réponse (en tout cas des éléments de réponse) à la question : « Qu'est-ce que la
révolution de 48? » Il y en a moins à : « Comment Frédéric Moreau (personnage réel?
imaginaire?) a-t-il vécu la révolution de 48? » et encore moins à : « Comment un
individu vit-il une révolution?....
»
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