INTRODUCTION Parmi les « caractères » que notre XXe siècle pourrait offrir à l'observation d'un moderne La Bruyère, le type...
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INTRODUCTION
Parmi les « caractères » que notre XXe siècle pourrait offrir à l'observation d'un moderne
La Bruyère, le type de l'intellectuel est sans doute l'un des plus représentatifs de la
civilisation contemporaine.
Il est tentant de chercher à préciser la valeur de ce terme
fréquemment employé, avec déférence par certains, avec une nuance d'ironie, voire de
mépris par d'autres.
Dans Les Noyers de l'Altenburg, publié en 1943, Malraux avançait la définition suivante :
« Un intellectuel n'est pas seulement celui à qui les livres sont nécessaires, mais tout
homme dont une idée, si élémentaire soit-elle, engage et ordonne la vie.
» Au coeur
même de l'expérience de la seconde guerre mondiale, l'auteur de La Condition humaine
éprouvait ainsi la nécessité d'élargir une certaine conception traditionnelle de la catégorie
d'hommes à laquelle il avait conscience d'appartenir.
Nous chercherons à préciser la
signification de cet élargissement afin d'en apprécier la valeur.
I.
LA CONCEPTION TRADITIONNELLE DE L'INTELLECTUEL
D'une manière générale, on s'accorde à qualifier d'intellectuel tout individu qui se
consacre ordinairement à des activités faisant appel aux facultés de l'esprit plus qu'à
celles du corps.
C'est donc tout d'abord dans le domaine de la vie professionnelle
qu'apparaîtra une opposition entre le « manuel » et l'« intellectuel ».
Tel employé de
bureau dont la tâche consiste à aligner des chiffres ou à recopier des lettres se classera
volontiers parmi les intellectuels parce que ce travail ne met pas en jeu sa force
musculaire, mais lui impose une « fatigue cérébrale ».
On saisit vite le caractère artificiel
d'une telle définition : la plupart des professions n'exigent-elles pas à la fois une
participation du corps et de l'esprit? L'artisan ébéniste réalisant un meuble doit faire
preuve aussi d'intelligence.
Un médecin est à la fois un homme de science et un
«praticien ».
Aussi estimons-nous mieux fondée une autre conception de l'intellectuel qui s'appuie sur
des critères plus intérieurs.
Nous pouvons constater que nos contemporains portent en
eux, à des degrés divers, un certain nombre d'exigences intellectuelles.
L'un des
principaux résultats de ce qu'on nomme « la culture » est sans doute d'accroître en
l'homme les besoins de cette nature, que Malraux représente plus particulièrement par le
désir de lire.
La lecture en effet suppose chez celui qui s'y adonne une aptitude à
l'abstraction et un goût de l'effort psychologique désintéressé dont seront seuls capables
les « intellectuels ».
De ce point de vue l'ouvrier charpentier qui, rentré chez lui, serait
apte à se plonger dans la lecture d'un livre sérieux mériterait plus le titre d'intellectuel
que son voisin comptable consacrant tous ses loisirs à la pêche à la ligne ou au bricolage.
Plus ce goût des livres apparaîtra comme une nécessité, plus on sera digne d'être
considéré comme un intellectuel.
Montaigne heureux et épanoui dans sa « librairie » ou
Montesquieu confessant qu'il n'a jamais connu de chagrin qu'une heure de lecture ne lui
ait ôté, demeureront dans ce sens des figures exemplaires.
Mais le besoin des livres suffirait-il vraiment à conférer à l'intellectuel le prestige dont il
jouit dans le monde actuel ? Aux yeux de certains, ce type d'homme se caractérisera
principalement par des travers ridicules.
La passion de la lecture peut parfois détourner
ses adeptes de l'existence réelle, les rendre incapables de diriger leur propre vie.
Madame Bovary qui aimait tant les beaux romans était-elle une intellectuelle ? Il aurait
mieux valu alors pour la marche de son destin qu'elle le fût un peu moins.
C'est
pourquoi, si l'on tient à conserver au mot intellectuel tout son éclat, on ne saurait en
limiter ainsi la portée.
Le goût des livres ne suffit pas, encore faut-il savoir donner à son
existence un ordre et une signification pour être digne d'une telle distinction.
II.
LA CONCEPTION D'ANDRÉ MALRAUX
L'intelligence en l'homme s'oppose essentiellement à l'instinct et à la passion.
L'intellectuel sera donc d'abord celui qui refuse d'être soumis en lui-même à ces deux
forces brutes qui échappent au contrôle de la pensée.
Une telle attitude suppose
nécessairement l'adhésion à....
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