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Introduction Depuis qu'en 1895, les frères Lumière ont présenté leur appareil de projection, le « cinématographe » est devenu le...

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« Introduction Depuis qu'en 1895, les frères Lumière ont présenté leur appareil de projection, le « cinématographe » est devenu le « cinéma » et même le « ciné » ; à mesure que le terme se rétrécit, semblable à une peau de chagrin, le talisman, lui, s'étend, s'amplifie, devient un phénomène social ; il est donc l'objet de violentes critiques et sujet d'enthousiastes discussions et d'ardents panégyriques : « Passe-temps d'illettrés », disent les uns.

« Aucun autre art ne peut sauver l'expression d'un visage », affirme un autre.

D'où la question : l'image remplacera-t-elle un jour l'écrit comme moyen de culture ? Développement Oui, affirment ceux qui prétendent que « le cinéma donne l'éternité à l'éphémère ».

En fixant sur la pellicule une interprétation choisie d'une scène tournée des dizaines de fois, dans un éclairage, des circonstances attendues aussi longtemps qu'il le faut, le cinéma sauve, par la fixation, l'instant idéal de ce qui est, dans la nature, passager comme le chant d'un oiseau, éphémère comme le souvenir d'un artiste. Indiscutablement, nous regrettons de ne pas savoir comment la Champmeslé jouait la mort de Phèdre, et de ne pas posséder l'interprétation d'Alceste par Molière lui-même. Mais, en exprimant ce regret, c'est à l'enregistrement que l'on songe, beaucoup plus qu'au film ; il ne convient pas d'attribuer au cinéma, art visuel par excellence, un mérite qui ne lui est nullement propre et pour lequel il ne peut prétendre « remplacer le livre »! D'autre part, même un fervent de l'écran comme Henri Agel reconnaît le côté éphémère de l'image, tout comme il est impossible de nier le manque de communion des salles obscures : l'image ne peut tout de même remplacer la présence physique et certains iront même jusqu'à préférer la simple audition, sans image, ou même la lecture, à cette semi présence qui, en fin de compte, n'en est pas une. La pellicule s'use, les modes d'expression et l'interprétation évoluent, et plus encore les progrès techniques.

Vouloir donner au cinéma l'avantage de fixer à tout jamais le « miracle d'un jour », c'est-à-dire l'impression momentanée et renouvelée que nous éprouvons grâce à la lecture, c'est rendre un bien mauvais service au cinéma qui peut présenter bien d'autres intérêts pour nous et nous proposer d'autres attraits. Pour remplacer le livre dans notre culture, il faudrait d'abord que le cinéma ne soit pas cet « opium pour refoulés et insatisfaits » que font trop souvent de lui le public, les conditions du spectacle et les impératifs commerciaux. Le public est ainsi défini par les statistiques : 10 à 20 % vont au cinéma par besoin ou routine ; 60 à 70 % par désir d'oubli, d'évasion, de détente, de distraction ou d'euphorie ; 10 à 15 % seulement par plaisir artistique et 5 % par plaisir cinématographique.

Ainsi, le rêve, ventilation de l'inconscient et ferment de toute imagination créatrice, a été révélé à la foule, mais au lieu d'être pour elle une méditation et un stimulant, il en est devenu rapidement une véritable drogue.

Cette fin va de la curiosité intense et parfois malsaine à l'exaltation de la conscience mythique.

L'individu, par le cinéma, se libère de ses éléments préhistoriques ; à cela, s'ajoute la recherche de la « suffocation collective » et le besoin d'ébranlements nerveux.

A ce degré, le cinéma n'est rien de plus qu'un opium permettant aux refoulés, aux insatisfaits de toute espèce, de s'abandonner à une seconde vie, à une existence d'emprunt, en marge de la vie quotidienne. Les conditions du spectacle sont particulièrement propices à cette opiomanie : l'obscurité, le confort des fauteuils favorisent l'abandon de l'être à cette espèce de vertige ; l'obscurité permet d'être seul au milieu d'un public, et le spectateur s'identifie sans scrupule et impunément aux vedettes qu'il chérit.

L'écoulement ininterrompu des images ajoute à cette tendance à la passivité ; le film court et vole vers sa fin, sans nous permettre la pause, la réflexion, le retour en arrière à quoi dispose la lecture.

Et ce voyage immobile dans le noir comble le spectateur moyen, d'un plaisir facile que dénoncent ceux qui, après Georges Duhamel, voient dans le cinéma un « passe-temps d'ilotes ». Enfin, les conditions industrielles et commerciales de la production sont encore plus favorables à cet avilissement.

Sous le patronage d'un certain nombre de compagnies ou de l'État, selon les régimes politiques, le film est produit par un homme pour qui le problème essentiel est de déterminer avec une rigueur mathématique les goûts et les besoins du public : ainsi, naissent les deux tiers des films.

Pour satisfaire ces goûts et ces besoins, le producteur dispose de trois garanties : le système des vedettes, la limitation des sujets à certaines catégories déterminées, enfin la propagande et la critique. Ces réserves — qui éloignent définitivement le film du livre — bien établies, demandonsnous cependant si le cinéma, sans rien remplacer et surtout pas le livre, ne pourrait pas être un bon moyen de culture. La presse et la censure s'étant révélées, et s'affirmant de plus en plus, comme de faux remèdes, l'éducation du public, en particulier par les ciné-clubs, pourrait permettre d'accroître ce tiers du public qui voit dans le cinéma un art digne de soutenir la comparaison avec le livre.

Alors, le cinéma prendrait une valeur documentaire et serait déjà un instrument de culture.

Certes, actualités et documentaires jouent leur rôle en ce domaine.

Mais le film peut avoir sa valeur d'information intrinsèque : historique (Pour qui sonne le glas), géographique (Riz amer), social (Le Voleur de bicyclettes). La valeur purement culturelle ne serait pas moindre.

Il suffît en effet que la projection d'un film tiré d'un roman soit annoncée pour que la vente du livre augmente dans des proportions qu'aucune propagande ne pourrait provoquer.

Certes, il ne suffît pas d'avoir vu Le Rouge.... »

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