Introduction Comment l'homme de génie, c'est-à-dire celui qui a produit des œuvres exceptionnelles, est-il explicable — ou inexplicable — par...
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Introduction
Comment l'homme de génie, c'est-à-dire celui qui a produit des œuvres exceptionnelles,
est-il explicable — ou inexplicable — par son temps, dans son temps? L'homme de génie
est un scandale, que tantôt on nous invite à admirer sans aller plus loin, et que tantôt on
nous explique.
Ce dilemme cependant ne peut s'étudier dans l'abstrait; il se pose de
manière différente à différents moments de l'histoire.
La mise en perspective une fois
faite, quelle est la situation du problème aujourd'hui? Ce n'est sûrement pas l'opinion «
personnelle » qui peut permettre à elle seule de répondre : il faudra renvoyer à une
science et à un savoir en train de se constituer, ceux du littéraire, à une recherche
collective, si on ne veut pas se contenter de répercuter les lieux communs sur « les
grands hommes ».
Remarque : Cette manière d'envisager le sujet en exclut d'autres, possibles : notamment
l'aspect biographique et moral du problème de l'homme de génie (comment vit-il dans
son temps? quels sont ses rapports avec ses contemporains? comment est-il reçu? il n'y
a pas de grand homme pour son valet de chambre, etc.).
Première partie : les données vécues du problème
Deux manières de poser la question : pour le sens commun (les mass média aidant), ce
qui l'emporte c'est l'admiration pour l'homme de génie; pour l'école et la science, on peut
expliquer l'exceptionnel (mais on n'aboutit pas au même résultat).
De là découlent deux lieux communs : l'art-miracle, indépendant de ses conditions
d'existence (Mozart enfant).
L'art qui après tout n'est que...
la résultante des conditions
d'existence.
Les thèses réductrices l'emportent.
En fait il y a réduction dans les deux cas, la première étant la plus répandue pour des
raisons démagogiques : il n'y a pas besoin d'être instruit, le génie c'est comme le tiercé,
« ça » peut arriver à tout le monde...
a) Le scandale du génie : l'œuvre peut toujours apparaître comme explicable; ce qui
demeure inexplicable, c'est pourquoi elle a été faite par tel homme.
Placés dans des conditions (matérielles, culturelles...) égales, les hommes ne
parviennent pas tous aux mêmes résultats.
Le génie fait preuve non tant pour l'inégalité entre les hommes que pour la richesse et la
diversité, pour les possibilités de l'humanité.
b) L'art comme rationalité : vieux sujet, la thèse du miracle absolu et de la nondétermination du génie a très tôt été ressentie comme démissionnaire et réactionnaire
(Mme de Staël cherche à lier littérature à histoire et fait des grands hommes — Rousseau
et Voltaire — des porte-parole de réalités qui les dépassent).
Il y a, d'autre part, une homologie entre les configurations artistiques et la réalité (Taine
démontre ainsi la « liaison des choses simultanées » : une tragédie de Racine,
l'architecture de Versailles, une oraison funèbre de Bossuet sont comparables et
correspondent à la rationalisation et à la mise en ordre de la société classique).
Par là le génie est intégré à l'effort prométhéen des hommes au lieu de lui être opposé.
Mais la difficulté commence lorsqu'on veut expliquer de la même manière la personnalité
: si L.
Goldmann a pu rendre compte des tragédies de Racine comme « structures
signifiantes » , il ne s'est pas intéressé aux problèmes de la biographie et de la
personnalité de Racine.
Mais cet effort intégrateur a été vite détruit par une autre entreprise : la réduction du
génie à ses conditions d'existence et de fonctionnement.
Par exemple Taine explique les
grands écrivains par la race, le milieu, le moment, mais laisse de côté le problème de la
singularité du travail de l'écrivain, et de la production du sens par l'écriture.
Deuxième partie : mise en perspective
(Reprendre ici les définitions, données au début, de nature et d'idéologie sans lesquelles
le sujet n'est pas traité ni traitable.)
a) Diderot formule sa théorie du génie contre l'esthétique des règles, contre une sorte
d'ancien régime littéraire.
Ce qu'il appelle nature est, ailleurs, l'équivalent du mérite,
plébéien, brimé par l'ordre classique.
Il proclame les droits du génie, comme d'autres
avaient proclamé ceux de la raison.
b) Qui est visé? les « saines doctrines » qui disent que l'art est une combinaison de goût,
de raison, de morale.
Mais Diderot s'adresse aux hommes d'une nouvelle raison, d'un
nouveau goût, d'une nouvelle morale : ce n'est pas une proclamation anarchique ni
irresponsable.
c) Mao, lui, formule sa théorie contre les définitions et pratiques idéalistes qui prétendent
faire échapper la création littéraire et artistique en général aux conditions matérielles, et
rejettent en même temps toute idée de responsabilité politique des artistes.
Contre les
mandarins, Mao utilise (après d'autres, mais dans des conditions nouvelles) la théorie
marxiste :
— il faut remonter : à la base il y a l'économique (rapports de production);
— au-dessus le politique (rapports sociaux qui en découlent) ;
— et enfin l'idéologique qui émane du politico-économique; parmi cet idéologique, il y a
la création artistique.
Autrement dit : on ne peut connaître l'art sans connaître l'idéologique qui l'enveloppe, et
cet idéologique n'est pas séparable du politique et de l'économique.
Il ne faut pas perdre
de vue que Mao a été conduit là par une exigence pratique : quelle littérature pour aider
la révolution? Il y a donc glissement à la politique.
Troisième partie : de la contradiction
Il s'agit de la contradiction entre le caractère historique et social de l'art, en tant que
chose produite et consommée, et le caractère personnel tic la décision et de l'acte
d'écrire, de peindre, etc.
a) Qu'est-ce que le reflet?
Le mot est aujourd'hui damné, après l'usage abusif qui en a été fait.
Mais l'abandon
complet de cette notion risque de faire retomber dans la magie.
— Au degré le plus simple, la théorie du reflet affirme qu'il existe une relation directe
entre l'œuvre d'art et les conditions dans lesquelles elle a été produite.
Mais, très vite,
elle en vient à prétendre que....
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