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[Introduction]
Une foule de personnages de tous âges et de toutes
conditions se pressent dans les quatre premiers
livres des Confessions, de gracieuses figures
féminines et des aventuriers, des hommes d'église
et de robe, des paysans et des nobles.
Mais tous
gravitent autour de Jean-Jacques Rousseau,
personnage central, narrateur et auteur de
l'autobiographie.
Parmi les multiples raisons que le
lecteur a de s'intéresser à Rousseau, les plus fortes
sont peut-être son caractère attachant, sa
personnalité hors du commun et son ambiguïté.
[I.
Un personnage attachant]
Rousseau tente d'attirer la sympathie du lecteur et il
y parvient, parce qu'il est un personnage attachant.
Au siècle du rationalisme, il incarne une sensibilité
frémissante, mais aussi l'amour de la nature et la
passion de la justice et de la vérité.
[1.
Par sa sensibilité]
C'est de ses parents, dont il raconte, au début des Confessions, les amours
romanesques, que Rousseau affirme avoir hérité cette sensibilité à laquelle il impute tous
les malheurs de sa vie Elle se manifeste surtout par un besoin illimité d'amour.
« Être
aimé de tout ce qui m'approchait était le plus vif de mes désirs » : bien qu'elle concerne
le séjour à Bossey, cette phrase pourrait s'appliquer à toute la période racontée dans les
quatre premiers livres des Confessions.
Rousseau a certes besoin d'aimer : l'on sait
combien il regrette de ne pouvoir aimer son maître Ducommun et de n'avoir aucune
affinité avec les autres apprentis, comme il s'engoue facilement d'un Bâcle ou d'un
Venture et surtout comme son « tempérament combustible » le porte à rechercher la
compagnie des femmes.
Mais le besoin d'être aimé est encore plus puissant : « Rien
n'adoucit plus mes afflictions dans mes disgrâces que de sentir qu'une personne aimable
y prend intérêt », écrit-il (L.
IV).
Rousseau nous touche parce qu'il croit à l'amour pur et
désintéressé, à l'amitié amoureuse et à cette mystérieuse « sympathie des âmes » qu'il
tente de définir dans son récit de la première rencontre avec Mme de Warens.
[2.
Par son sentiment de la nature]
Rousseau est aussi celui qui, le premier, a sû exprimer un amour authentique et sincère
de la nature, car quand il voyage, seul et à pied, il dispose en maître de la nature
entière.
Comme il a beaucoup voyagé dans sa jeunesse, les paysages qu'il aime se sont
fixés à jamais dans sa mémoire affective.
Or il sait nous faire partager l'émotion qu'ils lui
inspirent, en particulier les bords du lac de Genève : « Dans ce voyage à Vevey, je me
livrais, en suivant ce beau rivage, à la plus douce mélancolie.
Mon cœur s'élançait avec
ardeur à mille félicités innocentes : je m'attendrissais, je soupirais, et pleurais comme un
enfant» (L.
IV).
Cette exaltation se transforme parfois en une véritable extase comme
par exemple un soir à Lyon, sur les bords du Rhône.
La nature, enfin, est associée à
toutes les images du bonheur, réel ou imaginaire : le paradis de l'enfance à Bossey, le
séjour à Chambéry auprès de « Maman », la journée des cerises à Toune.
[3.
Par sa passion de la justice et de la vérité]
Enfin Rousseau nous communique son amour passionné de la justice et de la vérité.
Le
sentiment de l'injustice fut imprimé dans son cœur de façon indélébile à l'âge de huit ans
par l'accusation d'avoir cassé un peigne de Mlle Lambercier et la fessée imméritée qui
s'ensuivit.
Dans son commentaire de cet épisode capital, il affirme que son cœur «
s'enflamme au spectacle ou au récit de toute action injuste, quel qu'en soit l'objet et en
quelque lieu qu'elle se commette, comme si l'effet en retombait sur (lui) » (L.
I).
Une
preuve en est l'indignation provoquée par la rencontre d'un paysan français de la région
lyonnaise qui n'ose pas manger les fruits de son labeur, de crainte qu'ils ne passent pour
des signes de prospérité et ne soient soumis à l'impôt : « Ce fut là le germe de cette
haine inextinguible qui se développa depuis dans mon cœur contre les vexations
qu'éprouve le malheureux peuple contre ses oppresseurs » (L.
IV).
Si la vue de l'injustice
provoque de tels bouleversements chez Rousseau, il n'est pas étonnant que le souvenir
des injustices qu'il a commises le poursuive sans relâche.
Le projet de rédiger ses
Confessions ne lui a-t-il pas été inspiré, en partie, par le remords d'avoir accusé une
servante du vol d'un petit ruban dont il était coupable lui-même ?
Dire toute la vérité lui permettra de se laver de la faute.
Comment expliquer, en effet
qu'un homme dont la bonté naturelle a été renforcée par l'éducation ait péché contre la
justice en accusant une innocente, en abandonnant un vieillard victime d'une crise
d'épilepsie et en mettant ses propres enfants à l'hospice ? Rousseau a le courage
d'avouer ses fautes et même d'exhumer de sa mémoire des faits que personne n'aurait
connus s'il n'en avait pas parlé.
En les avouant, il remplit le pacte de vérité conclu avec le
lecteur dans le Préambule.
[II.
Une personnalité exceptionnelle]
[1.
Par sa complexité]
D'un point de vue psychologique, Rousseau nous intéresse par l'originalité de son
caractère : son humeur insociable, son air « bizarre » et « fou », une timidité excessive
quand il doit prendre la parole, son goût des plaisirs simples.
Sur tous ces points, il
s'oppose à ses contemporains : à la vie mondaine et à l'art de la conversation, portés à
leur apogée par son époque, il préfère la solitude et aux soupers fins, de modestes repas
champêtres.
Enfin, rien ne lui est plus étranger que le libertinage, si prisé au XVIIIe
siècle.
Chez ce singulier personnage même l'inspiration prend des détours singuliers : «
Si je veux peindre le printemps, il faut que je sois en hiver ; si je veux décrire un beau
paysage, il faut que je sois dans les murs, et j'ai déjà dit cent fois que, si jamais j'étais
mis à la Bastille, j'y ferais le tableau de la liberté ».
Cette complexité tient à la dualité de son tempérament.
« Deux choses presque
inalliables s'unissent en moi sans que j'en puisse concevoir la manière : un tempérament
très ardent, des passions vives, impétueuses, et des idées lentes....
»
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