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Extrait de l'acte IV, scène 11 LE DUC, seul. -Faire la cour à une femme qui vous répond« oui» lorsqu'on...

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« Extrait de l'acte IV, scène 11 LE DUC, seul.

-Faire la cour à une femme qui vous répond« oui» lorsqu'on lui demande« oui ou non», cela m'a toujours paru très sot, et tout à fait digne d'un Français.

Aujourd'hui surtout que j'ai soupé comme 5 trois moines, je serais incapable de dire seulement : , « Mon cœur, ou mes chères entrailles», à l'infante d'Es­ pagne.

Je veux faire semblant de dormir; ce sera peut­ être cavalier, mais ce sera commode. Il se couche.

-Lorenza rentre l'épée à la main. 110 LORENZO.

- Dormez-vous, Seigneur? Il le frappe. LE DUC.

- C'est toi, Renzo? LORENZO.

- Seigneur, n'en doutez pas. Il le frappe de nouveau.

-Entre Scoronconcolo. :15 SCORONCONCOLO.

- Est-ce fait? LORENZO.

- Regarde, il m'a mordu au doigt.

Je garde­ rai jusqu'à la mort cette bague sanglante, inestimable diamant. SCORONCONCOLO.

-Ah! mon Dieu! c'est le duc de 20 Florence. LORENZO, s'asseyant sur le bord de la fenêtre.

-Que la nuit est belle! Que l'air du ciel est pur! Respire, res­ pire, cœur navré de joie! SCORONCONCOLO.

- Viens, maître, nous en avons trop 25 fait; sauvons-nous. LORENZO.

- Que le vent du soir est doux et embaumé! Comme les fleurs des prairies s'entrouvent ! Ô nature magnifique, ô éternel repos! ~ J 30 SCORONCONCOLO.

- Le vent va glacer sur votre visage la sueur qui en découle.

Venez, Seigneur. LORENZO.

- Ah ! Dieu de bonté ! quel moment ! à part.

- Son âme se dilate singulièrement.

Quant à moi, je prendrai les devants. SCORONCONCOLO, \ 1 ,.,1 îi { ~ ~ Il veut sortir. J 2 COMMENTAIRE COMPOSÉ l J ! INTRODUCTION Voici une scène capitale pour l'action, puisque Lorenzaccio y accomplit le meurtre du duc, projet qui, nous le savons, constituait son idée fixe (cf.

Explication, p.

45). Outre Lorenzo, deux personnages figurent ici, et peuvent offrir deux axes successifs d'étude : Scoronconcolo d'abord, auxiliaire de Lorenzo sur le plan de l'action, mais simple faire-valoir de celui-ci sur le plan psychologique ; Alexandre ensuite, le duc de Florence, qui n'a qu'un rôle passif de victime, à la fois tragique et sans grandeur. Il convient ensuite d'étudier le meurtre lui-même et la stylisation que Musset lui a fait subir en l'épurant de tout réalisme mélodramatique; la dimension symbolique en est au contraire accusée. Reste à s'interroger sur le personnage de Lorenzo, et notamment sur l'étrange joie, l'extase même, qui s'empare de lui, le meurtre une fois accompli, et le fait s'exprimer comme un poète lyrique. 1 lj l 1 1.

SCORONCONCOLO, FAIRE-VALOIR DE LORENZO Qui est Scoronconcolo ? L'homme de main avec qui Lorenzo s'est exercé à l'épée (Ill, 1) dans la chambre même du futur meurtre.

Il sait que Lorenzo doit tuer un ennemi 66 \ personnel, mais il ignore qu'il s'agit du duc de Florence; d'où sa stupeur quand il s'en aperçoit (1.

19-20). , Sa présence dans la scène a surtout pour fonction de mettre en relief, par contraste, la joie surnaturelle qui s'empare de Lorenzo après le meurtre.

Car sa réaction à lui est platement réaliste : effrayé, il songe à fuir (1.

25) ; quand Lorenzo en sueur s'attarde, extasié, devant la fenêtre ouverte, Scoronconcolo, involontairement comique, le met en garde contre le risque d'un chaud-et-froid (1.

30).

On voit que Musset a utilisé ce personnage sommaire et plat comme faire-valoir d'un Lorenzo lyrique. 2_ LE DUC DE FLORENCE, VICTIME TRAGIQUE MAIS SANS GRANDEUR Jusque dans cette dernière scène, Musset a maintenu le duc fidèle à son image de séducteur grossier.

Il apprécie, dans ses conquêtes, les procédés« commodes», même s'ils sont « cavaliers » (1.

8).

Ainsi, faire semblant de dormir pour ne pas perdre de temps à complimenter la belle qui va le rejoindre au lit.

Musset a peint ici le duc en caricature de lui-même.« J'ai soupé comme trois moines», s'exclame Alexandre, épais jouisseur, qui aime pimenter d'impiété, nous le savons, tous ses plaisirs. À cet égard, il est significatif que Musset ait, avec insistance, fait parler à Alexandre le langage de l'impiété tout au long de la pièce.

Dès sa première apparition (1, 1), il jure et blasphème à plaisir (cf.

ci-dessus, p.

3).

Nous avons appris (acte 1, scène 4) que lors d'un bal masqué, il s'était déguisé en religieuse.

Par tous ces traits d'impiété, alliés à sa frénésie de conquêtes féminines, le duc fait songer au don Juan de Molière. 1 Mais souvenons-nous que le don Juan de Molière, lui aussi impie, affrontait la mort les yeux ouverts; Alexandre la reçoit les yeux fermés, en faisant semblant de dormir.

La comparaison montre assez que Musset refuse à Alexandre la grandeur que Molière a accordée, finalement, à son héros. 67 D'autre part, le thème de l'aveuglement tragique, attaché dès le début au duc, est ici habilement mené à terme. En disant « Je veux faire semblant de dormir », Alexandre résume son destin: malgré les avertissements, il n'a eu de cesse de fermer les yeux sur la conduite de Lorenzo.

li va trouver la mort dans le lit qu'il croit préparé pour l'amour, méprise en elle-même tragique.

Musset a fait du duc une victime de son appétit de vie, que lui envie un Lorenzo fasciné par la mort. 3.

STYLISATION ET SYMBOLISME Le souci de stylisation Musset a représenté sur scène un assassinat.

Le drame shakespearien le permettait, mais la tradition classique française l'a interdit ensuite au nom de la bienséance (même lorsqu'il s'agit de mort naturelle, on meurt en coulisses).

Pour apprécier le traitement scénique de cet assassinat, il faut aussi se souvenir que Musset s'est inspiré des chroniqueurs florentins, et notamment de Varchi.

Celui-ci a peint la folie furieuse de Lorenzo s'acharnant sur le duc, qui en se débattant l'oblige à frapper plusieurs fois; des gardes se précipitent, de tous côtés on se bat et on vocifère.

Au contraire, Musset a voulu un meurtre épuré, stylisé, débarrassé de tout réalisme inutile à la signification : le drame romantique l'autorise à représenter un meurtre, mais il se garde de tomber dans les outrances d'un mauvais imitateur de Shakespeare.

On remarquera qu'il n'y a pas d'indications de cris ni de gestes pour l'acteur qui joue Alexandre. Cette stylisation est d'autre part en parfait accord avec l'idée de meurtre telle qu'elle a hanté Lorenzo.

Le jeune homme en effet n'est pas un violent par nature, ni un monstre assoiffé de sang.

C'est un être cérébral, qui veut regagner l'estime de lui-même en procédant à un assassinat minutieusement préparé.

li aurait été contraire à la cohérence de son destin dramatique de le faire combattre sauvagement.

Voilà pourquoi tout se passe ici avec une précision et une sorte d'abstraction quasi mathématique. 68 Traitement symbolique de la scène ' Le symbolisme apparaît très nettement dans les mots que prononce Lorenzo pour répondre au duc: « Seigneur, n'en doutez pas » (1.

13).

Cette formule est une belle trou­ vaille de Musset : prise à la lettre, elle fait penser à la for­ mule de politesse que l'on prononce lorsqu'on veut assurer quelqu'un de son dévouement, et qu'on le prie de n'en pas.... »

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