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Extrait de l'acte Ill, scène 3 LORENZO. - Suis-je un Satan ? Lumière du ciel ! je m'en souviens encore;...

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« Extrait de l'acte Ill, scène 3 LORENZO.

- Suis-je un Satan ? Lumière du ciel ! je m'en souviens encore; j'aurais pleuré avec la première fille quej'ai séduite, si elle ne s'était mise à rire.

Quand j'ai commencé à jouer mon rôle de Brutus moderne, je 5 marchais dans mes habits neufs de la grande confrérie du vice, comme un enfant de dix ans dans l'armure d'un géant de la fable.

Je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres seuls le portaient au front. J'avais commencé à dire tout haut que mes vingt années 10 de vertu étaient un masque étouffant-ô Philippe! j'en­ trai alors dans la vie, et je vis qu'à mon approche tout le monde en faisait autant que moi; tous les masques tom­ baient devant mon regard; l'Humanité souleva sa robe, et me montra, comme à un adepte digne d'elle, sa mons15 trueuse nudité.

J'ai vu les hommes tels qu'ils sont, etje me suis dit : Pour qui est-ce donc que je travaille ? Lorsque je parcourais les rues de Florence, avec mon fantôme à mes côtés,je regardais autour de moi, je cher­ chais les visages qui me donnaient du cœur, et je me 20 demandais : Quand j'aurai fait mon coup, celui-là en profitera-t-il ?-J'ai vu les républicains dans leurs cabi­ nets, je suis entré dans les boutiques, j'ai écouté et j'ai guetté.

J'ai recueilli les discours des gens du peuple, j'ai vu l'effet que produisait sur eux la tyrannie; j'ai bu, 25 dans les banquets patriotiques, le vin qui engendre la métaphore et la prosopopée, j'ai avalé entre deux baisers les larmes les plus vertueuses ; j'attendais toujours que l'humanité me laissât voir sur sa face quelque chose d'honnête.

J'observais ...

comme un amant observe sa 30 fiancée, en attendant le jour des noces ! ... L E C T .U R E ,M E f H O D 1 0 U E INTRODUCTION Cet extrait prend place au cœur de la scène 3 de l'acte Ill, scène qui revêt en elle-même une importance capitale dans la pièce.

On y voit, en effet, Lorenzo se confier plei­ nement à Philippe Strozzi, vieil homme généreux, de convictions républicaines, et donc opposé à toute tyrannie : Lorenzo retrace au cours de cette scène l'histoire de sa jeu­ nesse pure, puis son enfoncement dans l'infâmie, à seule fin de devenir l'intime du tyran de Florence et de le suppri­ mer.

Dans cet extrait, Lorenzo exprime ce qu'a été le choc moral de sa rencontre avec la société et l'humanité telles qu'elles sont, au sortir de sa jeunesse livresque. Nous proposons trois éclairages sur le texte : à partir de d'observation des temps grammaticaux, on dégagera la :structure du passage; puis, on analysera les images qui occupent le premier plan stylistique; enfin, on pourra inter­ i rager la signification politique et morale du passage. 1.

TEMPS GRAMMATICAUX ET STRUCTURE DU TEXTE ; Les trois temps grammaticaux On repère dans l'extrait trois temps grammaticaux pré­ dominants : l'imparfait, employé avec ses valeurs habi­ tuelles de durée et de répétition dans le passé; le passé simple, qui isole un fait; le passé composé, qui a ici sa valeur d' « accompli », l'action étant envisagée comme : achevée par le locuteur. - Le passé simple apparaît au centre de la tirade, isolant de manière frappante une étape-clé de l'expérience de Lorenzo : « j'entrai alors dans la vie, et je vis » (1.

10-11).

Le moment crucial a donc été le passage dans la « vie » concrète, qui s'oppose ici implicitement à l'âge idéaliste où Lorenzo ne connaissait que les livres.

Ajoutons que le passé simple, qui est le temps du récit historique, dote cette révélation t« et je vis») d'une coloration dramatique, solennelle.

Lorenzo raconte son histoire personnelle comme celle des grands hommes de !'Histoire, aux vies marquées par les tournants du destin. - L'imparfait s'applique à deux périodes : avant et après cette entrée dans la « vie »c Avant (« je marchais », « Je croyais »), c'est l'âge de l'illusion idéaliste, comme le marque l'emploi du verbe « croire ».

Après (« je regar­ dais», « je cherchais », « j'attendais », « j'observais »), c'est l'âge où ces illusions sont mortes, mais où, comme l'indique le sens des verbes, il y a attente de quelque chose, ultime espoir de voir quelque trace de vertu dans l'humanité.

On observera avec quelle habileté Musset a opposé au temps de la révélation (le passé simple) ces imparfaits à valeur répétitive et durative qui suggèrent l'at­ tente et l'effort de l'esprit. - Le passé composé comporte dix occurrences aux lignes 15 à 26, c'est donc le temps dominant de l'extrait; il renvoie à la période de l'expérience concrète de la vie sociale (Lorenzo a connu· tous les milieux florentins, de la cour d'Alexandre au plus vulgaire cabaret).

Son emploi si répété permet d'unifier, dans une période vague, des actions assez disparates et de donner une idée de monotonie c'est toujours le même temps grammatical, et, implicite­ ment, c'est toujours la même déception de Lorenzo.

D'au­ tre part, le passé· composé contient ici sa valeur d' « ac­ compli»: la société a été vue et jugée par Lorenzo, l'expérience est faite.

C'est encore une habile utilisation par Musset de l'idée de bilan qui s'attache à ce temps verbal. Les oppositions qui structurent le texte La tirade est donc structurée par l'opposition entre un avant et un après, la ligne de partage étant signalée par le choc d'une révélation « monstrueuse» (1.

14-15).

Ce sys­ tème, simple en lui-même, se double d'une opposition plus complexe à l'intérieur de la deuxième période (= après). Observons les imparfaits: «je regardais», «je cher­ chais», «je me demandais» (1.

18 à 20), «j'attendais» ( t ,r (1.

27), «j'observais» (1.

29).

Ces verbes appartiennent au champ lexical de l'attente et de l'attention.

L'imparfait a été utilisé comme le temps de l'expérience intérieure et de l'espérance secrète. Les passés composés:« j'ai vu» (1.

21), « je suis entré» (L 22), « J'ai recueilli » (les discours) (1.

23), « j'ai bu » (1.

24), « d'ai avalé » (1.

26), expriment au contraire l'expérience concrète du monde, les actions de celui qui a joué le jeu social. 1 Ainsi, l'opposition des temps révèle l'opposition entre les deux visages de lui-même que Lorenzo montre à Philippe : l'homme qui s'est engagé dans la vie sociale et l'a explorée (les passés composés), l'homme qui a espéré malgré tout en l'humanité, étant demeuré une conscience idéaliste (les imparfaits).

Allant plus loin, on pourrait reconnaître là les deux Lorenzo familiers pour le spectateur : celui de la compromission avec le mal, et celui qui abrite une nostalgie de la pureté. 2.

LES IMAGES Leur abondance et leur variété ' L'abondance des images, leur caractère parfois hardi (l'Humanité impudique, 1.

13) frappent tout lecteur.

Cette fréquence des images s'explique par le fait que le fond du propos est abstrait (il s'agit de vice, de vertu, d'idéalisme déçu).

alors que le langage théâtral doit fuir l'abstraction pour ne pas ennuyer. Aussi Musset a-t-il recours à l'image pour concrétiser l'expression.

Pour faire sentir combien Lorenzo est mal.à l'aise lorsqu'il s'oblige à paraître vicieux, Musset utilise la métaphore des habits neufs (1.

5), parce qu'on y est gauche, et l'image de l'armure géante (1.

6), plus évocatrice encore.

La corruption morale est traitée en termes de «stigmate» (1.

8), c'est-à-dire de cicatrice indélébile. À quelques lignes d'intervalle, une même image est reprise et enrichie : ainsi celle du masque.

Quand Lorenzo a feint de renier sa jeunesse vertueuse, il a proclamé que cette vertu n'était qu'un « masque » (1.

10).

L'emploi de 35 l'image est ici assez banal.

Puis Lorenzo s'aperçoit que dans la société entière les vertus ne sont que masques : « tous les masques tombaient devant mon regard » (1.

1213).

L'image prend de l'ampleur et de la vie, elle évoque le moment où, à la fin de la comédie italienne masquée, les acteurs montrent au public leur vrai visage.

Ainsi cette image rejoint le thème, important dans Lorenzaccio, de la mascarade (le duc et ses amis se déguisent et le bon peuple s'ébaudit, acte 1, scène 2). Autre exemple : une même réalité, l'Humanité, peut être imagée de façon suivie et contrastée à la fois.

Elle est assimilée au début à une femme impudique (« souleva sa robe », 1.

13), prostituée qui dévoile l'horreur au lieu de la beauté(« et me montra sa monstrueuse nudité »).

À la fin de la tirade, le procédé de personnification est repris : il se prépare avec le mot « face » O.

28) et se poursuit avec la comparaison de l'Humanité et de la « fiancée » pure (1.

28). Il est facile de voir là l'image antithétique de la prostituée. Nous avons l'illustration imagée des deux aspects de.... »

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