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ÉPREUVE19 Besançon, Dijon, Grenoble, Lyon, Nancy-Metz, Reims, Strasbourg Juin 1991 Si, comme le dit le peintre Fernand Léger, «chaque époque...

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« ÉPREUVE19 Besançon, Dijon, Grenoble, Lyon, Nancy-Metz, Reims, Strasbourg Juin 1991 Si, comme le dit le peintre Fernand Léger, «chaque époque in­ vente sa beauté», nous devrions être davantage touchés par les œuvres qui nous sont contemporaines que par celles du passé. Vous direz si vous partagez ce sentiment en appuyant votre argumentation sur des exemples précis que vous pourrez emprunter à toutes les formes de l'art (littérature, peinture, musique, cinéma, etc.). COMPRÉHENSION DU SUJET Comme le sujet suivant (n° 20), celui-ci appartient au domaine bien connu de ce que l'on appelle techniquement la «transhistoricité» des œuvres d'art.

On ne finit pas, en effet, de s'interroger...

et de vous interroger sur les raisons qui font qu'une œuvre d'art peut avoir de l'intérêt, de l'influence indépendamment de l'époque de son créateur (de sa création) ou des lecteurs, du public appelé à l'apprécier.

Ce sont des sujets de culture qui réclament la mobilisation de connaissances dans différents domaines de l'art. DÉVELOPPEMENT RÉDIGÉ Il est une idée répandue qui semble pouvoir difficilement être remise en cause : chacun d'entre nous ne pourrait que nourrir une prédilection parti­ culière envers les œuvres d'art de son époque.

Formulée de façon plus ou moins péremptoire, ce principe alimente le débat permanent sur la portée limitée ou éternelle des œuvres d'art. On peut s'appuyer, par exemple, sur la formule du peintre Fernand Léger : «chaque époque invente sa beauté», pour justifier cet accord particulier entre nous et les œuvres de notre temps Mais le débat est sans doute moins simple qu'il n'y paraît, si l'on en juge d'un côté par le succès sans cesse renouvelé, et dans tous les domaines de l'art, des chefs-d'œuvre du passé, et de l'autre par les difficultés qu'éprouvent certaines réalisations contemporaines à obtenir l'adhésion du public.

Il convient donc de l'examiner dans toute son étendue et sans a priori. On a.dmet volontiers que toutes les œuvres artistiques sont le produit de leur époque.

Certes, l'analyse des relations entre le moment, le milieu, le créateur, d'une part, et l'œuvre, d'autre part, est chose délicate à mener, et, pour avoir voulu trop systématiser, plus d'une théorie explicative, y compris la critique marxiste, a montré ses limites.

L'alchimie est subtile qui donne naissance à un chef-d'oeuvre, mais même réfractés par la cons­ cience de l'artiste, filtrés par sa sensibilité propre, éclairés par un génie singulier, les apports extérieurs sont bien déterminants pour donner son style à l'œuvre et la marque de l'époque s'y imprime de mille manières. Comment s'étonner alors que les lecteurs, le public se sentent plus pro­ ches de ces œuvres récentes que des chefs d'oeuvre du passé? Les auteurs en effet respirent comme nous l'air du temps, ils sont sensi­ bles aux inflexions de la mode, aux évolutions des goûts et des mœurs.

Ils piègent dans leurs œuvres le spectacle du monde moderne, ils réagissent aux mêmes sollicitations que nous : ils rencontrent donc plus immédiate­ ment notre intérêt, notre compréhension. On peut donc parler d'une sorte de lien privilégié, de complicité qui s'éta­ blit à une époque donnée entre le public et les artistes.

D'ailleurs, on pourrait repérer dans l'histoire tous les succès obtenus par des auteurs, précisément parce qu'ils avaient su exprimer ce que leurs contemporains ressentaient ou attendaient confusément. C'est que, d'abord, la langue utilisée par les écrivains contemporains nous est plus proche, et par là plus parlante.

Un roman comme celui de Boris Vian L'Écume des jours fait appel à une syntaxe, à un vocabulaire qui sont ceux de notre époque, et les pointes d'humour, les jeux de mots en ont d'autant plus d'efficacité : par exemple, «exécuter une ordonnance avec une guillotine».

Le lecteur contemporain sera peut-être plus touché par l'émotion de Colin quand il éprouve des «gratouillis de beignets brûlés» à la vue de Chloé que par celle du Duc de Nemours devant Madame de Clèves «qui ne put s'empêcher de donner des marques de son admira­ tion».

Il est certain que l'évolution de la langue permet aux œuvres con­ temporaines d'être plus directement accessibles au lecteur moderne. D'autre part, les sujets abordés sont également plus proches de notre expérience vécue : ils correspondent davantage à notre conception du réel. Ainsi, il est intéressant de confronter deux ouvrages relevant du même thème : Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel Tournier reprend Robinson Crusoé de Daniel Defoe, paru en 17·1 g_ Dans ces deux ouvra­ ges, Vendredi le «sauvage» met fin à la solitude radicale du héros.

Or, pour D.

Defoe, ce «sauvage» est domestiqué par Robinson et devient son serviteur.

Comme le dit M.

Tournier dans Le Vent Paraclet, «qu'était Ven­ dredi pour D.

Defoe ? Rien, une bête, un être en tout cas qui attend de recevoir son humanité de Robinson, l'homme occidental, seul détenteur de tout savoir, de toute sagesse».

En revanche, pour Michel Tournier, il est le représentant d'une autre culture, et lui aussi, dans sa différence, est source d'enrichissement, de remise en question.

«L'idée que Robinson eût de son côté quelque chose à apprendre de Vendredi ne pouvait effleurer personne avant l'ère de l'ethnographie».

Nous sommes beaucoup plus touchés par les relations complexes qu'entretiennent Robinson et Ven- dredi dans le roman de Tournier que par les relations simplistes et dépas­ sées qui prévalent dans celui de D.

Defoe.

Aussi l'identification avec le héros est-elle de beaucoup facilitée. Ainsi se justifie l'adaptation par des écrivains modernes d'oeuvres ancien­ nes.

L'Antigone de Sophocle s'inscrit dans un contexte où la loi morale est fortement insérée dans une perspective religieuse.

En revanche, celle d'Anouilh reprend le même mythe dans une perspective moderne où les dieux sont morts.

Aussi «la petite Antigone» puise-t-elle la force de sa révolte contre Créon dans sa morale personnelle d'adolescente : elle re­ fuse de quitter le monde de l'enfance et de participer à la «cuisine» des adultes.

Nous nous identifions à la jeune fille avec d'autant plus de ferveur que notre modernité valorise le royaume de l'enfance et reste sceptique face aux valeurs religieuses. Pour renforcer les atouts des œuvres contemporaines, on peut a contrario énumérer des œuvres du passé qui ont perdu tout charme à nos yeux, précisément parce que leur forme et leur fond sont «datés» et que nous manquons définitivement de ce qui nous permettrait de les apprécier. Sans parler des «clés» de certains livres qui pouvaient seulement faire les déli�es des lecteurs de l'époque, celles des Caractères de La Bruyère, ou de A la recherche du temps perdu de Proust, bien des comportements, bien des traits de mœurs ne nous «parlent» plus.

Les bourgeois qui veu­ lent des titres de noblesse à tout prix et sont fascinés par «les gens de qualité» comme dans Le Bourgeois Gentilhomme et Georges Dandin, les provinciales qui singent les Précieuses (Les Précieuses ridicules), le débat sur la soumission des filles ou le mariage avec un vieux «barbon» chez Molière et Beaumarchais, le statut des prêtres ou des vieilles filles (Balzac, Le Curé de Tours), voilà bien des traits de mœurs qui nous sont étrangers.

Il y a aussi des faits, des situations qui n'ont qu'un intérêt documentaire et appartiennent à un passé révolu : c'est le cas des courti­ sans de Louis XIV peints dans Les Obsèques de la Lionne (La Fontaine), ou de certains portraits de la Bruyère, de la conception de l'honnête homme ou du «raisonneur» de service dans les pièces de Molière, ou bien.... »

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