Devoir de Philosophie

EPICURE ou La Physique du Sage par Philippe Casadebaig Epicure peut être appelé le plus célèbre philosophe de la sensibilité....

Extrait du document

« EPICURE ou La Physique du Sage par Philippe Casadebaig Epicure peut être appelé le plus célèbre philosophe de la sensibilité. Kant. Les textes Nous n'avons gardé que des fragments de l'œuvre d'Epicure : Diogène Laërce, au livre X de ses Vies des philosophes, cite trois lettres, A Hérodote, sur l'étude de la nature, A Pythoclès, sur la cosmologie, et A Ménécée, sur le bonheur du sage ; il cite encore des Maximes capitales du philosophe.

Des Sentences ont été retrouvées, à la bibliothèque du Vatican, et en Lycie, gravées sur un mur de la ville d'Oenanda, où un autre Diogène, disciple d'Epicure, les avait léguées à la méditation de ses concitoyens.

Divers témoignages, de Cicéron, Plutarque, Sextus Empiricus, pré'" cisent un peu plus la mémoire de la tradition épicurienne, magnifiquement exaltée enfin par le poème de Lucrèce. Malgré cette distance éloignant de nous l'œuvre d'Epicure ainsi abîmée et dispersée dans la profondeur vide du temps, l'« épicurisme» est resté l'un des noms les plus populaires de la philosophie.

La culture commune sait qu'Epicure. héritier en cela de Démocrite, ramène toute l'explication du réel à l'affirmation des atomes et du vide, et qu'il fait du plaisir le souverain bien de l'homme.

Encore faut.,.il comprendre ce qui réunit ces deux thèses. 90 Epicure Le bonheur incertain Il serait insensé que le bien évoque quoi que ce soit pour un être insensible.

Dans le temps même où nous les vivons, nos affections sont normes de ce qui nous réjouit ou nous afflige.

Puisque le sentiment distinctif du plaisir et de la peine donne ainsi le critère de tous les choix, nul ne peut vouloir dans ce qu'il veut le mal qui s'ensuivra pourtant, et qui avait donc dû être caché sous les espèces d'un bien attirant.

Le mauvais choix est un faux calcul des conséquences.

Il paraît d'abord facile de déterminer quels choix nous rendront heureux, en suivant simplement la voix de la chair qui nous appelle aux plaisirs et nous détourne des douleurs, cette voix, entendue de toute l'humanité; qui réclame que l'on n'ait plus faim, plus soif, plus froid.

Mais des liens cachés attachent naturellement les uns à la suite des· autres certains plaisirs et certaines peines, de sorte que l'on ne peut éprouver les uns sans les autres.

La connaissance des lois naturelles d'une satisfaction durable, et qui ne soit pas rendue décevante par une affliction subséquente, est donc indispensable pour réaliser notre bonheur.

Or pareil calcul des plaisirs, puisque nous voyons si souvent combien les hommes s'y trompent, impliquant au surplus que.

l'on sache tenir compte, selon des circonstances indéfiniment variables, de ce qui est caché et à venir, et non pas ressenti dans le présent, paraît poser et reposer à chaque jour de notre vie un problème insoluble.

FaùHl dire que l'accès au bonheur est trop difficile, et qu'il n'est qu'un idéal de l'imagination? Supposons même que le problème soit résolu, que nous sachions.

infailliblement déterminer l'accès au bonheur, et qu'il y ait donc des lois naturelles connaissables de la vie heùreuse, ce savoir ne nous mettra pas à l'abri des tortures de la maladie ou dutyran.Contre l'affirmation illusoire que la douleur n'est qu'un vain mot, affirmation qui n'est elle-même_ qu'une phrase, proteste l'évidence de la douleur vraiment ressentie.

Non seulement la connaissance théorique de ce qu'est le bonheur, si elle est possible, ne rendra pas toute douleur évitable, ni sùpportable, maiselle ajoutera l\ notre peine la nostalgie désespérante de t()Ut ce qui nous manque .. Epicure 91 Supposons encore que nous ayons la bonne fortune de jouir d'une vie heureuse, sans erreur dans nos choix, et exempte de toute souffrance; il reste qu'à la mort, le plus grand des maux, nous n'échapperons pas.

La mort terrifiante, dont on a fait la peine capitale, nous enlève tout ce qui a été notre bien et notre être, et, si l'on en croit l'imagination des peuples, nous jette au-delà de la vie, dans un temps étrange, indéfinissable, dans la désolation interminable du regret de notre vie, et peut-être dans quelque puni~ tfon infernale, comme si la vie méritait finalement un châtiment.

Les vaillants héros d'Homère ne sont plus dans )'Hadès que l'ombre d'eux-mêmes; ils subsistent indéfiniment après leur mort avec la nostalgie impuissante de tout ce qu'ils aimèrent. L'évidence de nos affections présentes fait contraste avec une réalité non évidente dont elles sont pourtant solidaires. Le lien caché des plaisirs et des peines, le passage accompli ou à venir du temps de notre vie, l'invisible interruption de la mort, nous rendent le monde où nous sommes étranger et incertain.

Les événements de la vie, et la vie elle-même, semblent dépendre d'un ordre de puissances qui ,nous dépasse et que ne mesure aucune évidence.

La pensée de tout ce que nous ne ressentons pas nous inquiète, sans nous donner de prise où nous assurer ; le monde nous fait peur comme à un enfant dans la nuit.

Une forme de la religion natî de cette peur, comme si nous étions le jouet de dieux cruels ou d'un inexorable destin.

Apollon n'est pas seulement honoré comme le dieu de la lumière et de la beauté ; Homère l'appelle aussi l'archer de la mort, et il.

est le dieu de la peste.

Tout ce qui rend incertain le bonheur de cette existence est projeté dans l'image ambiguë de puissances divines tellement supérieures aux hommes que c'est d'elles seules qu'à la fois ils espèrent tout et craignent tout.

Le bonheur enfin ne serait qu'une chance sur laquelle on ne peut pas compter, s'il faut redouter les dieux. Les critères du jugement Le plaisir et la douleur sont critères de nos jugements du bien et du mal, c'est~à-dire que bien et mal sont nos propres 92 Epicure affections agréables ou douloureuses, sans qu'il y ait un sens à contester la réalité de ce que nous éprouvons.

Je ne puis pas prétendre que mon sentiment soit illusoire, en tant qu'il est ma propre manière d'être.

Un critère ainsi entendu n'est pas ce à quoi l'objet d'un jugement devrait être comparé dans un second jugement pour décider de la validité du premier, auquel cas d'ailleurs la validité du critère pourrait à son tour être mise en question ; un critère est plutôt ce par quoi le jugement peut se référer à son propre objet. La sensation est donc le critère de la connaissance, et il n'y a pas à déclamer contre elle sous prétexte que nous en usons mal.

On objecte l'illusion des sens, en disant par exemple que la même tour nous paraît ronde quand elle est vue de loin, mais carrée quand elle est vue de près.

Mais une sensation échoit au corps comme un événement distinct, comme sa manière d'être à un moment donné, irréductible à une autre.

Elle est l'événement de se représenter ceci ou cela, et cet événement est réel.

On· doit donc dire de la sensation ce qu'on disait déjà des affections, en respectant l'unité de la sensibilité : la sensation est l'acte de ce qu'elle présente, tout comme l'affection est l'acte du plaisir ou de la peine qu'elle fait éprnuver.

Si l'on prétendait nier l'évidence actuelle de la sensation, on se priverait du droit de faire référence à quoi que ce soit qui puisse correspondre, ou non, aux sensations ; on ne pourrait même plus dénoncer sensément l'illusion des sens.

De ce qu'on dit que la tour paraît ronde, puis carrée, on ne doit pas conclure que les sens sont trompeurs, puisqu'alors on ne pourrait plus se référer à aucun corps extérieur sensible, et donc même pas à cette tour dont on voulait distinguer la réalité et les apparences. L'erreur n'est pas dans la diversité successive des sensations mais dans l'interprétation partiale de leur succession qui permet de la décrire comme si elle opposait une sensation «vraie» et une sensation « illusoire».

« La tour est ronde », « la tour est carrée », sont des énonciations du langage qui présupposent la notion antérieure, la prolepse, de ce qui est rond, ou carré, ou construction en forme de tour. Pour autant qu'elle permet la référence du langage à ce qu'il dit, la prolepse est donc encore un critère, acquis dans Epicure 93 l'expérience.

Il n'arrive pas, quand on a actuellement, c'està-dire présentement, la sensation d'une tour ronde qu'on puisse l'énoncer en s'y référant comme à une tour carrée; ni qu'on puisse se référer à la sensation d'une tour carrée comme si elle pouvait en même temps être dite ronde selon le critère du langage.

C'est pourquoi une sensation ne peut témoigner contre une autre.

L'erreur n'est jamais dans la sensation présente, comme si une certaine autre sensation privilégiée était la chose même, qui nous ferait identifier à ce que la chose est en elle-même l'état de notre corps seulement quand cette sensation se produit en lui.

L'erreur est dans notre attente que la même sensation demeure, ou que telle autre lui succède, et donc dans la fausse anticipation de la sensation suivante.

L'erreur est dans l'opinion, et non dans la diversité des sensations, dont chacune est tout ce qu'elle peut être. Si le critère, parce qu'il est la référence de la pensée à ce qui est senti, à ce qui est éprouvé, à ce qui est dit, équivaut à la conscience, le temps est la forme même de la diversité sensible dont l'homme a conscience.

Quand nous nous demandons quelle est la vérité de notre opinion, nous ne devons pas poser cette question en termes incohérents, comme si tel contenu sensible, d'une affection ou d'une sensation, devait être comparé à une réalité extérieure dont nous devrions avoir conscience sans qu'elle nous soit sensible, tandis que de son côté le contenu sensible devrait être .

son expression pour être vrai ; comme si nous avions à faire une impossible sortie hors de nos représentations pour juger de leur conformité au réel.

Nous devons plutôt penser la succession même des affections et des sensations, dont la césure est inséparablement passage et diversité du sensible. Alors nous comprendrons qu'aucune affection n'est fausse, ni aucune sensation, mais seulement l'attente que nous y ajoutons.

Le plaisir du corps n'est pas en même temps déguisement de la maladie qui suit.

La vision du bâton brisé dans l'eau n'est pas en même temps déguisement de la vision du bâton droit que l'on va ensuite tirer de l'eau.

A la recherche d'une réalité opposée aux phénomènes, il faut partout substituer celle de l'ordre de la succession des phénomènes.

Ainsi pourrons-nous régler notre jugement sur la 94 Epicure nature, en nous laissant instruire par elle selon le mouvement qui fit graduellement découvrir aux hommes les techniques et le langage; et ne plus rien attendre d'impossible. De la succession de nos visions de la tour comme ronde, puis comme carrée, nous devons apprendre la relativité du sensible aux mouvements de notre corps par rapport aux autres corps. L'atomisme L'opinion errante, par laquelle le monde nous apparaît comme décevant et inquiétant, si nous lui avons donné pour modèles nos faux espoirs et nos fausses craintes, est toujours une attente de ce qui n'est pas, ou d'autre chose que ce qui est.

N'importe quoi lui semble crédible, parce qu'elle ne mesure pas le possible.

Mais l'évidence (enargeïa) de la sensation, c'est-à-dire ensemble son événement et ce qu'elle nous rend sensible, donne la référence ultime de la vérité ..

La répétition des mêmes sensations forme en nous les types des différentes prolepses, et du langage qui les exprime, d'après lesquels notre opinion attend ceci plutôt que cela ; et l'événement de la sensation fait encore que notre attente soit confirmée ou déçue.

Cette conception de la vérité est d'accord avec le sens commun de l'expérience et du langage. Le passage incessant dans le temps d'une sensation à une autre atteste dans tous les corps dont nous.

avons connaissance, à commencer par le nôtre, la réalité universelle du mouvement; toutchange, tout s'altère, chaque état de choses commence et finit.

Se · demander alors comment le monde sensible existe sous cette condition première du mouvement, c'est-à-dire poser le problème de la Physique, est d'un intérêt capital, puisque si nous parvenons à nous expliquer à nous-mêmes la réalité du monde tel qu'il est notre seul monde, à savoir sensible, il ne recèlera plus aucun mystère susceptible de nous inquiéter.

Or la Physique ne peut pas être une théorie, si l'on entend par là une vue ou intellection d'objets spéciaux, puisqu'il n'y a rien d'autre à voir que ce que la sensation nous .montre.

Elle ne peut être Epicure 95 qu'une méthode d'explication des phénomènes, pour rendre compte de leurs changements réels en accord avec ce qu'ils nous enseignent d'eux-mêmes dans la sensation.

La Physique ne nous fera pas voir comme un autre théâtre la machinerie du théâtre des phénomènes, elle ne révélera pas un arrière-monde dont le monde sensible serait la trompeuse apparence : rêver d'une théorie de ce genre serait.... »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓