Cette citation met en regard deux mondes : d'un côté, le monde du philosophe, qui manie "l'intention" et la "pensée",...
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Cette citation met en regard deux mondes : d'un côté, le monde du philosophe, qui
manie "l'intention" et la "pensée", c'est-à-dire les idées; de l'autre, le monde de l'écrivain
et du lecteur, qui repose sur la "fiction".
Ces deux mondes sont supposés se rencontrer
dans le genre de la fiction philosophique.
Les contes philosophiques de Voltaire peuvent
en fournir un parfait exemple : ils sont constitués de courtes fictions, qui reposent sur
l'art de la simplification et du grossissement, dans le but de transmettre une idée précise
du philosophe.
Ce genre répond au triple impératif qui régit une partie de la littérature au
XVIIIe : "docere, placere, movere" : instruire, plaire, émouvoir.
Or, cet impératif investit
aussi le philosophe d'un devoir d'écrivain : on peut se demander comment
s'interpénètrent fiction et réflexion dans le genre du conte philosophique, et s'il est
possible d'établir la prééminence de la réflexion sur la fiction.
I Le conte philosophique : la fiction au service de la pensée
_ Si "placere" et "movere" sont des moyens, "docere" est le but principal du conte
philosophique : il est motivé par la volonté de l'auteur de soumettre à un regard très
critique des thèmes essentiels : la philosophie, mais aussi la politique, l'économie, la
société dont il est contemporain.
Le conte philosophique, en particulier ceux de Voltaire,
fournit un très bon exemple : les enjeux de Candide dépassent la fiction, il s'agit de faire
une critique acerbe de la philosophie de Leibniz, qui selon l'auteur conduit à un
optimisme niais et à la conviction fausse que "tout est pour le mieux dans le meilleur des
mondes"; dans le récit, Pangloss est le principal dispensateur de la doctrine leibnizienne,
or c'est en réalité un ignorant, ce qui est une manière détournée de dire que la doctrine
leibnizienne ne trouve de succès qu'auprès des ignorants et des idiots...
Les désillusions
successives de Candide servent à démontrer qu'un esprit animé par cette doctrine n'est
pas préparé aux réalités de ce monde (exemple : la rencontre de l'esclave amputé, qui
indigne Candide).A un autre endroit de la narration, l'auteur met en scène des jésuites
qui exploitent les indigènes au Brésil; ce qui lui permet de faire une critique, sociale, de
l'iniquité des jésuites; de manière détournée, il critique l'influence trop forte des jésuites
auprès du roi de France.
_ L'auteur est dans une position délicate : il doit inventer une fiction séduisante, pour
gagner l'adhésion du lecteur; mais en même temps montrer qu'elle n'est qu'un prétexte
pour un sujet plus sérieux.
Dans les contes de Voltaire, cela se traduit par une
simplification, un grossissement volontaire des caractères et des situations : Candide est
un personnage psychologiquement pauvre, qui au début est totalement passif, puis se
contente de s'étonner et de s'attrister; et qui à la fin fait preuve de sagesse.
Mais on
n'est pas ému par sa passion pour Cunégonde : le lecteur sent qu'elle n'est qu'un
ornement pour mieux faire passer une idée, et que ce conte n'est pas du tout une
histoire d'amour.
Dans Candide, l'intrigue est quasiment absente : les personnages
surgissent et disparaissent de manière aléatoire, les scènes sont très courtes.
La seule
véritable intrigue est philosophique : c'est celle de l'initiation intérieure de Candide.
II Importance de la fiction tout de même
Néanmoins l'auteur, qu'il soit Diderot, Voltaire ou Montesquieu, choisit pour s'exprimer la
forme du roman ou du conte : c'est donc que la fiction présente un intérêt, et ajoute à la
pensée : elle remplit le devoir de "movere" et "placere" : si le lecteur est ému par les
mésaventures des personnages, ou s'il rit, il a plus de chances d'adhérer à la doctrine de
l'auteur.
Voltaire semble se faire un devoir de faire toujours rire ses lecteurs, grâce....
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