ARISTOTE ou Le langage de l'être par Philippe Casadebaig la vie humaine consiste principalement dans l'acte de sentir ou de...
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ARISTOTE
ou
Le langage de l'être
par Philippe Casadebaig
la vie humaine consiste principalement
dans l'acte de sentir ou de penser.
Ethique à Nicomaque, 1770a 18-19.
L'œuvre
La très grande variété des sujets traités semble inviter à
lire Aristote comme une belle encyclopédie.
Mais il est
besoin d'un ordre d'étude pour s'instruire du sens de termes
comme « matière », « forme », « sujet », « puissance »,
«acte», «substance», qui commandent partout l'exposé,
parce que le philosophe les emploie partout pour exprimer
ce qui constitue la réalité du réel.
Or cette difficulté, inévitable pour qui aborde Aristote, ne tient nullement aux accidents de la transmission de l'œuvre, mais exprime l'énigme
d'une présupposition capitale du langage: en tant qu'il vise
à dire le réel, ou ce qui est, s'il se propose d'être véridique,
tout langage présuppose la signification de ce qui « est » ;
tout langage de vérité est langage de l'être, destiné à signifier notre reconnaissance de ce qui est.
L'originalité
extrême de la philosophie d; Aristote tient justement à la
manière dont il a fait un problème de la présupposition de
l'être parle langage, et dont il nous a donné à comprendre
cette présupposition.
On peut classer les œuvres d'Aristote en les rapportant
aux divers intérêts de l'homme, et en les ordonnant selon
la dépendance des connaissances l'une à l'égard de l'autre.
Relèvent de la production (poiêsis) les activités consistant
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Aristotè
dàns la production par l'agent d'un effet distinct de luimême, et propre à servir une fin donlla production ri' est
-que le moyen, par exemple tous les arts et métiers utilitaires
dont·1a découverte -a dû précéder les commencements de
la philosophie; en ménageant _dans la vie la part de loisir
· indispensable pour la spéculation (Métaphysique, 981 b 1625).
La Poétique, consacrée à énoncer les règles de la corn~
position littéraire, et la Rhétorique, occupée des conditions
de l'efficacité de 1' éloquence, répondent ainsi à des intérêts
techniques, de même que les Topiques, pour autant que ce
dèrnier ouvrage enseigne un art de la discussion argumentée selon des règles.
L'influence de ces œuvres sur la conception de la culture scolaire et universitaire, comprise
comme la maîtrise dès arts du langage, a été immense au
moins jusqu'à l'époque de la Renaissance; etles règles de
la Poétique ont servi de référence normale pour le théâtre
classique de notre xv11• sièclè.
Sont pràtiques (relevant de là praxis) les activités dont
là fin pour l'agent se confond avéc leur exercice même, qui
lui sont donë)ibrèmenî firis pour elles-mêmes, et rie servent
à" rieri d' àutrê.
Outre que; par l'expérience -du plaisir, nous•
recoririaissons ·• tous l 'existèrice de fins libres de notre acti~
vité, elles sont présupposées par l'ensemble des autres acti~
vités laborieuses et serviles, qui n'aùraient aucun sens si
ellés n'étaient pas, en ciéfinitivè, bonnes à quelque fin qui
soit-bonne par èllè-même, et soit au principe dé rios choix:
(Ethique à Nicomàque l094 a 1-26).
Mais
Soi.Ivèrait_î
niën est ce que'tous s'accordent àdésignerdu nômde bonheur, qùoique la discussion soit inévitable sût èe qui le réa~_
lise vraiment {1095 a 18-22).
Le propos des Ethiques (à
Nicomaque ét à Eùdème) est donc de mener à son terme Iâ'
recherche ration·nelle du boriheur, dont là vertu· est• èondF
tiôn nécessaire, sinon suffisante.
La Politique, érifih, côntribùe à 'son ,rang à ensèigner le vrai sens dès 'intérêts
politiques, en conduisant- à considérer quelles constitutions'
sont raisonnables; et quelle éducation peut former le vrai
citoyen, qui est aussi"le citoyen verfueux.
·
-·- L'homme, aux moments_ où l;affaitérrient de sa vie lui
laisse uri répit, éprouve ûn -plaisir simple et riaturêt à seufè::
ment côritempler, grâiliitement, lè spectaèle ·dû môndê'.
ce·
Aristote
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donné à sa perception (Métaphysique, 980 a 21-27).
De
même encore, le plaisir qu'il trouve à toutes les imitations
offertes par l'art du peintre ou du poète est avant tout un
plaisir de la reconnaissance, plaisir de ressaisir eri sa pensée·
ce dont il contemple en vérité 1'image présente ; car sans
cette satisfaction de la pensée exerçant son pouvoir on ne
s'expliquerait pas que même l'image artistique d'une chose
laide puisse plaire comme une belle image (Poétique,
1448 b 4-17).
Tels sont les signes d'une aspiration à connaître et à comprendre non par souci de l'utilité, mais pour le
contentement que réalise l'acte même de connaître ou de
comprendre.
La théorie, ou contemplation, d'autant plus
admirable qu'elle n'a d'intérêt que pour elle-même, est
donc en l'homme l'espèce la plus haute de son activité,
puisqu''il se distingue des autres vivants, grâce au langage,
par son aptitude au savoir rationnel.
·
A l'intérêt pour la théorie correspondent alors tous ces
traités d'Aristote dont l'immense ambition semble être la
connaissance de toutes les choses naturelles.
Le Moyen
Âge, chrétien et musulman, pensa y trouver son encyclopédie.
Le traité Du Ciel offre une cosmologie ; De la génération et de la corruption élabore la doctrine des changements
élémentaires à la base des transformations des corps ; les
traités de biologie, enfin, depuis l'anatomie (Des parties
des animaux) jusqu'à la spéculation sur l'unité essentielle
de l'individu vivant (De l'âme), ne se lassent pas de recueillir les observations sur les animaux et d'en rechercher
l'explication à partir des concepts fondamentaux de I'organisation vivante, méthodiquement définis pour la première
fois.
On objecte à ces études minutieuses qu'elles ne sauraient satisfaire un homme de goût, parce qu'elles considèrent des choses trop peu relevées, voire répugnantes : ainsi,
l'anatomiste ne doit-il pas ouvrir des cadavres pour en scrµter les viscères, ou encore observer la décomposition des
· tissus ? Mais le prétendu homme de goût, en l'occurrence, .
n'est pas.
vraiment philosophe, incapable.
qu'il est de
s'émerveiller du vrai compris par ses causes.
On se plaît
aux œuvres des artistes, qui imitent les êtres naturels ; il
serait donc « contraire à la raison, et absurde, que nous
prenions plaisir à contempler les images de ces êtres pour
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Aristote.
ce que nous admirons aussi en elles le savoir-faire manuel
de leur producteur, par exemple d'.un peintre ou d'un sculpteur, et que nous ne nous plaisions pas davantage à contempler ces êtres mêmes dans leur propre constitution de
nature, quand du moins nous sommes cap~bles d'en discerner les causes» (Parties des animaux, 645 a 10-15).
La compréhension du vrai par les causes distingue la
connaissance scientifique; la vérité de l'opinion n'est que
probable, parce qu'il n'est pas contradictoire de penser que
l'objet sur lequel elle porte puisse être autrement qu'on ne
se l'est représenté dans une circonstance donnée ; l'opinion
(doxa) ne touche que l'apparence des choses, tandis que la
science proprement dite (épistèmè) conçoit une vérité dont
on puisse répondre, une vérité définitivement fixée, parce
qu'elle saisit 1'objet comme ne pouvant pas être autrement
qu'il n'est connu : il n'y a science que du nécessaire; Mais
il n'y a de cause assignable à un fait qu'à la condition qu'il
puisse être pensé, c'est-à-dire reconnu, dans sa relation
aveç un autre; toute assignation d'une cause renvoie donc
à la pensée de l'universel, de ce qui est le même dans une
multitude définissable de cas, alors que de ce qui est unique
et incomparable pour nous,: comme de telle sensation qui
nous échoit pour la première fois, il n'y a pas d'explication
possible pour en rendre raison.
Les différentes puissances
de la pensée peuvent donc être ordonnées selon les différents rapports qu'elles supposent de l'objet à sa èonnaissance : dans la sensation, la pensée s'aperçoit du fait qu'elle
distingue et détaille.
comme isolément; par.
exemple ·de la ·
fièvre d'un certain individu; par l'expérience la pensée
relie le fait à d'autres par une relation qui a elle-même
seulement valeur de fait, que l'on ne comprend pas : ainsi
procède le médecin empirique appliquant le remèdè qu'on
a déjà trouvé le plus souvent efficace.
La science enfin est
connaissance des causes, connaissance du· fait par sa nécessité propre : par exemple, si l'on sait conclure de la nature
de la maladie à la nécessité du remède.
Quoique la produc, tion de tel effet précis soit souvent plus efficace à ne suivre
que le savoir-faire inspiré par l'expérience, puisqu'au
médecin nous demandons avant tout de guérir tel malade
individuel, qu'il sache ou non expliquer sa maladie, l'art
Aristote
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proprement dit agit selon des règles universelles, choisissant le remède d'après la science des causes de la guérison,
selon l'espèce de la maladie (Métaphysique, 980....
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