ANALYSE DES PERSONNAGES Le talent de Molière se manifeste en particulier à travers les personnages qu'il met en scène. Même...
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ANALYSE DES PERSONNAGES
Le talent de Molière se manifeste en particulier à
travers les personnages qu'il met en scène.
Même
quand il s'inspire de traditions farcesques, italiennes ou
françaises, il donne à ses personnages une épaisseur
réelle : ce ne sont plus des types figés, ils sont indivi
dualisés, et comme doués d'une psychologie qui leur
soit propre.
Ainsi apparaissent Don Louis, Done
Elvire, et Sganarelle.
Quant à Don Juan, personnage
central de la pièce, il sera analysé tout au long de la par
tie suivante.
■ Don Louis, ou la figure du père
Dans la tradition comique, le père est généralement
un stéréotype grossier et ridicule, qui s'oppose en vain
aux desseins amoureux des jeunes héros.
Or, Molière
modifie radicalement le stéréotype comique pour en
faire un personnage grave.
Annoncé pat La Violette, Don Louis apparaît à la
scène 4 de l'acte IV, dans la série des fàcheux (juste
après M.
Dimanche, mais avant Elvire et la statue du
Commandeur) qui se présentent à Don Juan en son
appartement pour le rappeler à la loi ( économique,
sociale, conjugale ou religieuse), et retardent, importuns, son souper sans cesse différé.
Certes, Don Juan
n'a aucun mal à se débarrasser d'un marchand tel que
M.
Dimanche, dont il se moque en effet, mais la visite
de Don Louis le fait, comme il le dit, « enrager ».
C'est que Don Louis est un homme qui en impose,
c'est la figure du père.
Et en tant que tel, il incarne à la
fois, face à Don Juan, les valeurs familiales et les valeurs
féodales, que celui-ci ne cesse de bafouer.
Or, il n'est
pas difficile d'imaginer quelle importance peuvent
avoir en Sicile, surtout à cette époque, les affaires
d'honneur et de famille.
C'est d'abord le père de famille qui apparaît ; il
explique comment, pour son malheur, le Ciel l'a
exaucé en lui accordant finalement le fils qu'il demandait.
Le substantif« fils » revient assez souvent dans sa
bouche pour que l'on sente, malgré ses durs reproches,
tout l'amour qu'il éprouve pour son enfant.
Car Don
Louis est au fond un homme débonnaire.
Il a beau
dire, en cette scène, « que la tendresse paternelle est
poussée à bout » par de telles actions, le voici, avouant
peu après à la scène V, 1, « que la tendresse d'un père
est aisément rappelée, et que les offenses d'un fils s'évanouissent vite au moindre mot de repentir».
Il est en
somme lent à la colère et prompt à pardonner; aux
éclats courroucés suivent « des larmes de joie », et le
bonhomme, trompé en son affection, s'en va partager
son bonheur illusoire avec son épouse.
Mais il est clair
que Don Louis n'a rien à voir avec le père de la commedia deWarte, car dans la tradition italienne, le père
est un fâcheux grossier, qui s'oppose au mariage du
héros, alors qu'ici, au contraire, c'est un homme digne
qui rappelle son fils aux lois du mariage.
Et pourtant, même dans son erreur, à la scène V, 1,
Don Louis n'est pas ridicule, car c'est Don Juan qui se
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montre ignoble.
Le père, au contraire, est un homme
d'honneur, qui rappelle le fils aux valeurs féodales, à
travers le réseau sémantique de la noblesse, « nom »,
« sang », « gloire », « ancêtres », « honneur », etc.,
qu'il développe dans sa tirade.
Son discours a pour
objet, précisément, cette notion de noblesse, que Don
Louis fonde moins sur la naissance que sur la vertu,
d'où cette admirable formule :
«
la naissance n'est rien où la vertu n'est pas.
»
Voilà un véritable alexandrin dont l'importance doit
être mentionnée.
Don Louis fait manifestement partie
de cette vieille noblesse féodale pour qui la vertu est un
idéal auquel il faut constamment se hausser.
En
revanche, pour Don Juan et tous ces nobles oisifs de la
nouvelle génération, comme il s'en trouvait beaucoup à
la cour de Louis XIV, la noblesse est un acquis de naissance, et bien souvent un moyen pour réussir, et non
pas une fin.
Pour Don Juan, la noblesse est un avoir
dont on se sert, pour Don Louis, elle est un devoir être.
Plus qu'un conflit de générations, c'est ici un conflit
de valeurs.
La représentation de ce conflit sert d'une
part à poser la dignité du père comme personnage
d'honneur ( et pour cela, Molière s'est sans doute
moins inspiré de la commedia italienne que de la tragicomédie à la française) et d'autre part à montrer, en
contrepoint et par contraste, l'infamie du fils indigne,
noble dénaturé.
■
Done Elvire, ou l'amour sublliné
Comparable en cela à Don Louis, Done Elvire est
l'une des figures de la pièce incarnant une valeur, en
l'occurrence l'amour sublimé.
Comme Don Louis, elle n'est présente que dans
deux scènes - I, 3, et IV, 6 - où elle suit de peu le père
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l
de Don Juan.
Mais son importance est capitale.
Elle est
la femme du héros, celle qu'il a enlevée du couvent
pour l'épouser, et qu'aussitôt il a abandonnée.
La voici
donc deux fois déshonorée.
Elle incarne les valeurs légitimes et nobles de la fidélité conjugale, et en ce sens, elle
s'oppose donc à la fois à Don Juan, mais aussi à
Charlotte, qui est une paysanne assez coquette et infidèle.
Done Elvire est ainsi la seule figure féminine digne
(au sens de l'époque) dans cette pièce, et son éclat n'en
brille que davantage.
Entre les deux scènes où elle apparaît, une transformation remarquable s'est opérée : l'amour profane en
elle est devenu amour chrétien, par une remarquable
conversion de son cœur.
L'amour blessé
Quand paraît Done Elvire, au début de la p1ece,
c'est une épouse délaissée, qui vient trouver auprès de
son conjoint la triste confirmation de ses craintes.
Elle
est une figure de l'amour blessé.
Done Elvire, séduite par Don Juan qui maintenant
la fuit, est toujours amoureuse, et elle poursuit en vain
un homme qui ne l'aime plus.
Lucide en sa passion, elle
cherche cependant à se tromper sur les raisons d'un tel
départ:
« Mes justes soupçons chaque jour avaient beau me
parler : j'en rejetais la voix qui vous rendait criminel à
mes yeux».
L'opposition des deux propositions de part et
d'autre des deux points marque la déchirure d'une
femme éplorée : Done Elvire qui ne veut pas croire au
malheur qui de toute évidence s'est abattu sur elle.
Dans sa douleur, elle aimerait encore mieux que Don
Juan lui mente, pourvu qu'il lui épargne la douleur de
voir la vérité en face :
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« Que ne vous armez-vous le front d'une noble effronterie? Que ne me jurez-vous que vous êtes toujours
dans les mêmes sentiments pour moi »
C'est qu'elle veut croire encore qu'elle ait pu se
tromper.
Mais quand la perfidie du séducteur se
montre dans tout son éclat, désespérée, et blessée dans
son amour propre, elle menace son époux de se venger
de lui et sa colère éclate :
« et si le Ciel n'a rien que tu puisses appréhender,
appréhende du moins la colère d'une femme oftènsée »
Somme toute, Done Elvire est un personnage
émouvant.
En quittant son couvent, elle a laissé
l'amour divin pour embrasser l'amour profane d'un
libertin promis aux flammes de l'enfer.
La voici désormais seule, abandonnée du Ciel, peut-être, abandonnée surtout par l'homme qu'elle aimait.
Entre ce Dieu
qu'elle a trahi et ce diable d'homme qui l'a trahie,
Done Elvire se trouve désormais tout à fait égarée.
L'amour sublimé
Or, quand elle réapparaît à la scène IV, 6, elle semble
entièrement métamorphosée :
« vous me voyez bien changée de ce que j'étais ce
matin.
Ce n'est plus cette Done Elvire qui faisait des
vœux contre vous, et dont l'âme irritée ne jetait que
menaces et ne respirait que vengeances.
Le Ciel a banni
de mon âme toutes ces insignes ardeurs que je sentais
pour vous, tous ces transports tumultueux d'un attachement criminel, tous ces honteux emportements
d'un amour terrestre et grossier; et il n'a laissé dans
mon cœur pour vous qu'une flamme épurée de tout le
commerce des sens, une tendresse toute sainte, un
amour détaché de tout, qui n'agit point pour soi, et ne
se met en peine que de votre intérêt »
C'est qu'une transfiguration s'est opérée en elle.
La
passion tumultueuse est devenue tendre charité; non
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pas que Done Elvire ne soit plus amoureuse de Don
Juan, seulement cet amour, désormais, est inspiré par le
Ciel qui l'a chargée de sauver s'il se peut l'âme du
pécheur impénitent.
Ce sentiment est donc dégagé des
affections terrestres coutumières, il est au contraire
« une flamme épurée de tout le commerce des sens».
La beauté des mots qu'utilise Done Elvire donne à son
discours une aura toute particulière, qui la nimbe et
l'honore.
C'est que Done Elvire a décidé de s'isoler en
quelque solitude expiatoire : « ma retraite, dit-elle, est
résolue».
Ce trajet est donc tout à fait édifiant : c'est un itinéraire de la chute jusqu'à la grâce.
En effet, confiée à
Dieu dans ce couvent, Done Elvire a cédé aux prestiges
et tentations du séducteur maléfique; Eve nouvelle,
elle est passé de l'innocence à l'âge du péché.
Elle a
vécu les tumultes de la passion amoureuse.
Mais, déçue
en son amour dont la fausseté s'est révélée, elle a connu
finalement la grâce après la chute, qui lui permettra
sans doute de retrouver, en une assomption nouvelle,
la paix de Dieu à l'intérieur de ce couvent où elle
revient définitivement.
Pour autant, Done Elvire n'a
pas troqué l'amour profane contre l'amour divin ; simplement, elle a su trouver dans la grâce de Dieu la charité qui lui permet de sublimer l'amour blessé.
■
Sganarelle, le comparse ambigu
Présent dans vingt-six des vingt-sept scènes que
compte la pièce, Sganarelle est nécessairement un personnage de premier plan.
Il n'est pas seulement le
compagnon obligé de son seigneur et maître; bien
qu'il garde encore nombre des traits de la commedia
dell'arte par où il a passé, c'est un personnage riche et
complexe.
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Le type du valet
Au début de la pièce, Sganarelle apparaît seulement
comme le miroir de Don Juan, dont il ébauche le portrait face à Gusman, abasourdi.
Ce faisant, il se....
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