Yad Vashem - où, parmi d'autres choses, j'ai bien obtenu en
Publié le 06/01/2014
Extrait du document
«
le
fait que lespointes deson coldechemise reposaient surlaveste, donnaient curieusement à
cet homme dequatre-vingt-trois ansl'air d'être àla mode.
Nous avions l'intention defaire l'interview etde dîner ensuite.
Danssagrande salledeséjour,
Alena avaitinstallé devantledivan oùjeme suis assis unepetite tablebasse enverre etacier.
Elle yavait disposé unassortiment deboissons :Evian, eaugazeuse, petitesbouteilles dejus de
fruit.
Lemur entier surma gauche étaitcouvert delivres soigneusement rangés,legenre de
livre qu'on trouve chezlesuniversitaires :épais volumes d'ouvrages deréférence.
Àla
diagonale decemur, unesérie degrandes fenêtres.
Surlerebord delafenêtre laplus proche
de nous, unvase toutsimple contenait uneprofusion defleurs.
Sousuneautre deces fenêtres,
légèrement àdroite denotre groupe, lafemme d'Adam, Zofia,unetrès jolie femme aux
cheveux blancscoupés courtsquilaissaient voirdegrandes bouclesd'oreilles, étaitassise sur
un petit canapé capitonné encuir, destyle edwardien.
Elleportait untailleur sombre avecun
chemisier ensatin blanc àjabot quiluicouvrait lagorge.
Cesoir-là etlelendemain, elleasouri
souvent etamoureusement pendantqu'Adam parlait.Elleavait ungrand sourire debéatitude,
dont sapetite-fille avaitdetoute évidence hérité,etelle enfaisait bonusage.
Alena etson père sesont assis l'unàcôté del'autre, enface demoi, pendant quejevérifiais
mon matériel d'enregistrement, elleconfortablement installéedansunfauteuil enosier
sombre, luiassis biendroit surune deschaises desalle àmanger qu'onluiavait apportée.
Derrière eux,parlagrande fenêtre, nousparvenait lalumière abondante del'après-midi
déclinant.
Ama droite étaitassis lemari d'Alena, unhomme degrande taille,beauetréservé,
qui avait uneallure nordique endépit dufait qu'il était né,comme safemme etses beaux-
parents, enPologne ;comme sesbeaux-parents, commelesFreilich, commeEwa,comme de
nombreux Juifsquiétaient restésenPologne aprèslaguerre, ilétait parti pour laScandinavie à
la fin des années 1960.Wladek aécouté ensilence safemme etson beau-père parler,
n'intervenant pourtraduire pourAdam qu'aumoment oùAlena aquitté lesalon pourallerjeter
un coup d'œil audîner.
Pendant notrelongue visite,Alenaasouvent fumé,sanslamoindre
mauvaise conscience etsans lamoindre excuse,defaçon sipeu américaine donc.Unefoistout
le monde installé, elleaallumé sapremière cigaretteetnous avons commencé àparler.
Pendant quelques minutes,nousavons parlédelaprogression delaguerre enIrak, cequi était
un sujet sensible àce moment-là sivous étiez unAméricain voyageant enEurope, oùlaguerre
n'était paspopulaire – mêmesi,bien sûr,lesujet n'était pasaussi sensible qu'illedeviendrait
huit semaines plustard, après lesrévélations concernant lessévices surdes prisonniers pardes
soldats américains, sujetdontj'aurais aimépouvoir discuter enfait avec Adam Kulberg etles
autres.
Laraison pourlaquelle j'auraisaiméaborder cesujet estlasuivante :parmi lessévices
qui étaient censésavoireulieu, ilya une humiliation bizarrequiavait consisté àforcer les
prisonniers nusàs'empiler lesuns surlesautres pourformer unepyramide vivante.Quandj'ai
lu ça dans lesjournaux pourlapremière fois,deux moisaprès monretour deCopenhague, j'ai
été fortement frappéparcedétail, danslamesure oùjeme souvenais dudétail, l'undes
premiers quenous ayons appris àpropos destortures perpétrées parlesnazis surlesJuifs de
Bolechow, dontOlganous avait parlé encejour d'août 2001:comment, pendantlapremière Aktion, les
Allemands etles Ukrainiens avaientobligédesJuifs dénudés dansleDom Katolicki à
s'empiler lesuns surlesautres pourformer unepyramide humaineaveclerabbin ausommet.
Qu'est-ce quec'était, mesuis-je demandé quandj'aiappris cequi s'était passéàAbou Ghraib,
qu'est-ce quec'était quecette pulsion dedégradation quiavait prislaforme spécifique de
construire despyramides dechair humaine ?Mais, aubout d'unmoment, ilm'est venuà
l'esprit quecetype particulier d'humiliation étaitunsymbole parfait,etparfaitement perverti,
de l'abandon desvaleurs civilisées ;puisque, aprèstout,ledésir d'empiler unechose surune.
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