XXXVIII UN PETIT VERRE DE RHUM La fable qui précède n'a qu'une excuse : elle illustre le dérèglement auquel des conditions anormales d'existence, endant une période prolongée, soumettent l'esprit du voyageur.
Publié le 06/01/2014
Extrait du document
«
archéologique
ouethnographique montrequecertaines civilisations, contemporaines oudisparues, ontsuou savent
encore résoudre mieuxquenous desproblèmes, bienquenous soyons appliqués àobtenir lesmêmes résultats.
Pourme
limiter àun exemple, c’estseulement depuisquelques annéesquenous avons appris lesprincipes physiques et
physiologiques surlesquels reposelaconception duvêtement etde l’habitation desEskimo, etcomment cesprincipes,
méconnus parnous, leurpermettent devivre dansdesconditions climatiques rigoureuses, etnon pasl’accoutumance ou
une constitution exceptionnelle.
Celaestsivrai qu’on acompris enmême tempspourquoi lesprétendus
perfectionnements apportésparlesexplorateurs aucostume eskimosesont révélés plusqu’inopérants : contrairesau
résultat escompté.
Lasolution indigène étaitparfaite ; pournous enconvaincre, ilnous manquait seulement d’avoir
pénétré lathéorie quilafonde.
La difficulté n’estpaslà.Sinous jugeons lesaccomplissements desgroupes sociauxenfonction defins comparables
aux nôtres, ilfaudra parfois nousincliner devantleursupériorité ; maisnous obtenons dumême coupledroit deles
juger, etdonc decondamner touteslesautres finsquinecoïncident pasavec celles quenous approuvons.
Nous
reconnaissons implicitementuneposition privilégiée ànotre société, àses usages etàses normes, puisqu’un observateur
relevant d’unautre groupe socialprononcera devantlesmêmes exemples desverdicts différents.
Danscesconditions,
comment nosétudes pourraient-elles prétendreautitre descience ? Pourretrouver uneposition d’objectivité, nous
devrons nousabstenir detous jugements decetype.
Ilfaudra admettre que,dans lagamme despossibilités ouvertesaux
sociétés humaines, chacuneafait uncertain choixetque ceschoix sontincomparables entreeux :ilsse valent.
Mais
alors surgit unnouveau problème : carsi,dans lepremier cas,nous étions menacés parl’obscurantisme sousforme d’un
refus aveugle decequi n’est pasnôtre, nousrisquons maintenant decéder àun éclectisme qui,d’une culture
quelconque, nousinterdit derien répudier : fût-celacruauté, l’injustice etlamisère contrelesquelles protesteparfois
cette société même,quilessubit.
Etcomme cesabus existent aussiparmi nous,quelseranotre droitdeles combattre à
demeure, s’ilsuffit qu’ils seproduisent ailleurspourquenous nousinclinions devanteux ?
L’opposition entredeuxattitudes del’ethnographe : critiqueàdomicile etconformiste au-dehors,enrecouvre donc
une autre àlaquelle illui est encore plusdifficile d’échapper.
S’ilveut contribuer àune amélioration deson régime social,
il doit condamner, partoutoùelles existent, lesconditions analoguesàcelles qu’ilcombat, etilperd sonobjectivité etson
impartialité.
Enretour, ledétachement queluiimposent lescrupule moraletlarigueur scientifique leprévient de
critiquer sapropre société, étantdonné qu’ilneveut enjuger aucune afindeles connaître toutes.Àagir chez soi,onse
prive decomprendre lereste, maisàvouloir toutcomprendre onrenonce àrien changer.
Si la contradiction étaitinsurmontable, l’ethnographenedevrait pashésiter surleterme del’alternative quilui
échoit : ilest ethnographe ets’est voulu tel ;qu’il accepte lamutilation complémentaire àsa vocation.
Ilachoisi les
autres etdoit subir lesconséquences decette option : sonrôle sera seulement decomprendre cesautres aunom
desquels ilne saurait agir,puisque leseul faitqu’ils sontautres l’empêche depenser, devouloir àleur place, cequi
reviendrait às’identifier àeux.
Enoutre, ilrenoncera àl’action danssasociété, depeur deprendre position vis-à-visde
valeurs quirisquent deseretrouver dansdessociétés différentes, etdonc d’introduire lepréjugé danssapensée.
Seul
subsistera lechoix initial, pourlequel ilrefusera toutejustification : actepur,nonmotivé ; ou,s’ilpeut l’être, pardes
considérations extérieures,empruntées aucaractère ouàl’histoire dechacun.
Nous n’ensommes heureusement paslà ;après avoircontemplé l’abîmequenous frôlons, qu’ilsoit permis d’en
rechercher l’issue.Celle-ci peutêtregagnée àcertaines conditions : modération dujugement, etdivision deladifficulté
en deux étapes.
Aucune sociétén’estparfaite.
Toutescomportent parnature uneimpureté incompatible aveclesnormes qu’elles
proclament, etqui setraduit concrètement parune certaine dosed’injustice, d’insensibilité, decruauté.
Comment
évaluer cettedose ? L’enquête ethnographique yparvient.
Car,s’ilest vrai que lacomparaison d’unpetit nombre de
sociétés lesfait apparaître trèsdifférentes entreelles,cesdifférences s’atténuent quandlechamp d’investigation
s’élargit.
Ondécouvre alorsqu’aucune sociétén’estfoncièrement bonne ;maisaucune n’estabsolument mauvaise.
Toutes offrent certains avantages àleurs membres, comptetenud’unrésidu d’iniquité dontl’importance paraît
approximativement constanteetqui correspond peut-êtreàune inertie spécifique quis’oppose, surleplan delavie
sociale, auxefforts d’organisation.
Cette proposition surprendral’amateurderécits devoyages, émuaurappel descoutumes « barbares » detelle ou
telle peuplade.
Pourtant,cesréactions àfleur depeau nerésistent pasàune appréciation correctedesfaits etàleur
rétablissement dansuneperspective élargie.Prenons lecas del’anthropophagie qui,detoutes lespratiques sauvages, est
sans doute cellequinous inspire leplus d’horreur etde dégoût.
Ondevra d’abord endissocier lesformes proprement
alimentaires, c’est-à-direcellesoùl’appétit pourlachair humaine s’explique parlacarence d’autrenourriture animale,
comme c’étaitlecas dans certaines îlespolynésiennes.
Detelles fringales, nullesociété n’estmoralement protégée ;la
famine peutentraner leshommes àmanger n’importe quoi :l’exemple récentdescamps d’extermination leprouve.
Restent alorslesformes d’anthropophagie qu’onpeutappeler positives, cellesquirelèvent d’unecausemystique,
magique oureligieuse : ainsil’ingestion d’uneparcelle ducorps d’unascendant oud’un fragment d’uncadavre ennemi,
pour permettre l’incorporation deses vertus ouencore laneutralisation deson pouvoir ; outrequedetels rites.
»
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