Vocabulaire: CONCEVOIR, verbe transitif.

Vocabulaire: CONCEVOIR, verbe transitif. I.— PHYSIOLOGIE. souvent emploi absolu. [Le sujet désigne une femme] Former un enfant en soi par fécondation d'un ovule par un spermatozoïde. Synonymes : devenir enceinte, grosse. Ce sein qui vous a conçu; une femme qui a passé l'âge de concevoir (Dictionnaire de l'Académie Française). Or Cilinie était vieille et son mari Émilius était aveugle. Mais Cilinie, ayant conçu, mit au monde un fils (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Vie de Jeanne d'Arc, 1908, page 58 ). Fifine, aurait, quand je vagissais encore dans les langes, quitté l'auberge où elle m'avait, sans préméditation et à la sauvette, conçu des oeuvres d'un anonyme (ALEXANDRE ARNOUX, Zulma, l'infidèle. 1960, page 14 ). — Spécialement, contexte théologique. Stella. — Crois-tu que le Christ, Sauveur prédestiné, Conçu de l'Esprit saint, d'une Vierge soit né? (ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Caligula, 1837, IV, 2, page 101 ). Le verbe s'est fait chair pour relever tes chutes, Une vierge a conçu, le monde s'est délié! (PAUL VERLAINE, Œuvres complètes, tome 2, Amour, 1888, page 22 ). — Par analogie. [Le sujet désigne un animal femelle] Frère Luc (...) qui étudiait les moeurs des animaux, enseignait que la belette conçoit ses petits par l'oreille (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, La Révolte des anges, 1914, page 230 ). Elle [la lamproie] arrive fécondée en avril et mai dans les eaux douces, sans que l'on sache comment elle s'accouple et conçoit (JOSEPH DE PESQUIDOUX, Chez nous, 1921, page 150 ). — Par métaphore. [Le sujet désigne un élément naturel, un phénomène de civilisation] On ne sait quelle ère de progrès foncier sera conçue dans ces épousailles géantes du sol et de l'industrie (JOSEPH DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, 1928, page 112 ). II.— Au figuré, vocabulaire intellectuel et littéraire. A.— [Le sujet désigne un être pensant, l'accent est mis sur l'activité abstractive de l'esprit] Former le concept, l'idée générale ou non d'un objet et, par extension, se représenter un objet par la pensée. Synonymes : cerner, saisir, penser (emploi transitif direct). C'est un axiome pour Descartes que toutes choses doivent être telles que notre entendement les conçoit clairement (AUGUSTIN COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, 1851, page 576 ). Les rapports de ces phénomènes [de la nature] , vous ne les touchez pas, vous ne les voyez pas, vous ne les sentez pas; vous les concevez (VICTOR COUSIN, Histoire générale de la philosophie, 1861, page 103 ). La science habitue les esprits à concevoir l'inconcevable (PIERRE SCHAEFFER, À la recherche d'une musique concrète, 1952, page 147) : Ø 1. Ce goût de penser par larges ensembles se manifeste par l'aptitude à concevoir des idées générales, c'est-à-dire qui représentent, non plus tel ou tel objet, mais des groupes entiers et des séries. PAUL BOURGET, Nouveaux Essais de psychologie contemporaine, préface. 1885, page 266. — emploi absolu. Concevoir et théoriser exigent une opération calme de l'esprit, qui est le « vice suprême » (JOSÉPHIN PÉLADAN, Le Vice suprême, 1884, page 169 ). — [Par allusion littéraire à la célèbre phrase de Boileau] Si M. Renan ne fait pas la toilette de sa personne, il fait du moins avec application celle de ses phrases. Il conçoit bien ce qu'il veut dire, mais les mots n'arrivent pas aisément (LOUIS VEUILLOT, Les Odeurs de Paris, 1866, page 298 ). L'oncle trouvait que cela n'avait ni queue ni tête et citait du Boileau : « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement » (FRANÇOIS MAURIAC, Le Mystère Frontenac, 1933, page 112 ). B.— Par extension littéraire. 1. Synonyme : comprendre. a) Emploi transitif direct. Concevoir quelqu'un ou quelque chose. — Rare. Concevoir quelqu'un. Qu'as-tu donc, Oscar? demanda cette pauvre mère blessée. Je ne te conçois pas, reprit-elle d'un air sévère en se croyant capable (...) de lui imposer du respect (HONORÉ DE BALZAC, Un Début dans la vie, 1842, page 338 ). — Concevoir quelque chose. Le port Bucarelli, du pilote espagnol Maurelle est dans cette partie : je n'ai rien conçu à sa carte, ni au discours qui devait l'éclaircir (Voyage de la Pérouse autour du monde (MILET DE MUREAU) tome 2, 1797, page 224 ). · emploi absolu. Il a l'esprit vif, il conçoit facilement (Dictionnaire de l'Académie française. 1798-1932). · Synonymes : trouver naturel de, que quelque chose; s'expliquer. — C'est votre père? dit Beauchamp; alors c'est autre chose; je conçois votre indignation, mon cher Albert... Relisons donc (ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Le Comte de Monte-Cristo, tome 2, 1846, page 292 ). On conçoit la séduction que ce scepticisme mélangé à ce fanatisme exerce sur nos contemporains (JEAN-RICHARD BLOCH, Destin du siècle, 1931, page 272 ). — Emploi pronominal. Se concevoir. C'est l'agiotage qui multiplie tous les dangers, et cela se conçoit parfaitement (NICOLAS-JEAN-BAPTISTE BOYARD, La Bourse et ses spéculations mises à la portée de tout le monde, 1853, page 397 ). En Belgique, le ministre socialiste Destrée a fait comprendre au Parlement que la restauration nationale ne peut se concevoir sans une restauration intellectuelle (La civilisation écrite (sous la direction de Julien Cain) 1939, page 5215 ). b) Constructions grammaticales composées. — Concevoir (aisément, difficilement, fort bien, parfaitement) combien, comment, pourquoi + indicatif. Je ne conçois pas comment il s'est pu tirer d'une si mauvaise affaire (Dictionnaire de l'Académie française. 1835, 1878). Tu ne m'as pas dit si tu avais donné ma lettre à Fersen. Je ne conçois pas pourquoi il ne m'a pas répondu (GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres de jeunesse, 1787, page 191) : Ø 2. Le nombre des antimétabolites est considérable et, étant donné l'analogie de structure avec des composés biologiques servant de modèles, on conçoit combien les chimistes ont pu opérer de variations sur, en somme, pas plus de 4005 thèmes classiques... ROBERT SCHWARTZ, Nouveaux remèdes et maladies d'actualité, 1965, page 181. — Concevoir que + indicatif/subjonctif [pour exprimer un fait réel] . Je ne conçois pas qu'un homme sage puisse s'oublier jusqu'à (à ce point) (Dictionnaire de l'Académie française. 1798-1878). Je conçois qu'il n'ait pas été satisfait de votre conduite (Dictionnaire de l'Académie française. 1835-1932) : Ø 3. — ... Tu n'es jamais allée au Tivoli de Soulanges (...) tu les verras là, les bourgeois! tu concevras alors qu'ils valent à peine l'argent qu'on leur soutire quand nous les attrapons! HONORÉ DE BALZAC, Les Paysans, 1844-50, page 205. 2. Synonyme : imaginer. a) Rare. Concevoir de + infinitif. Un pays où la grillade est inconnue, où l'on ne conçoit pas de cuire une viande autrement qu'à l'eau (FRANCIS AMBRIÈRE, Les Grandes vacances, 1946, page 191 ). b) Concevoir comment + conditionnel. Quoiqu'il fût inébranlable dans ses desseins, il ne concevoit pas comment il auroit le courage de lui ôter entièrement des illusions si nécessaires à son bonheur (STÉPHANIE FÉLICITÉ DUCREST DE SAINT-AUBIN, COMTESSE DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, tome 3, 1795, page 294 ). c) Concevoir que + conditionnel / subjonctif [pour exprimer une possibilité ou un doute] . Il [Gobseck] abhorrait ses héritiers et ne concevait pas que sa fortune pût jamais être possédée par d'autres que lui (HONORÉ DE BALZAC, Gobseck, 1830, page 385) : Ø 4. On conçoit qu'il pourrait s'établir une diplomatie régulière entre le parti socialiste et l'État, chaque fois qu'un conflit économique s'élèverait entre ouvriers et patrons :... GEORGES SOREL, Réflexions sur la violence, 1908, page 102. 3. Par métonymie. [Souvent précédé d'un substantif particularisant] Se faire ou avoir une représentation personnelle de quelque chose (confer conception). Une façon, une manière (originale) de concevoir une tâche; concevoir quelque chose comme; quelque chose tel que le conçoit quelqu'un. L'idée du beau pur, telle qu'il l'a émise dans son cours de 1819 et telle que je la conçois (GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance, 1846, page 307 ). Hubert Van Eyck conçoit la peinture (...) comme un exposé de la théologie supérieure (HYPPOLYTE-ADOLPHE TAINE, Philosophie de l'Art, tome 2, 1865, page 20 ). Cette façon de concevoir les choses n'a rien qui puisse répugner à un chimiste, versé dans l'étude de sa science (MARCELLIN BERTHELOT, Les Origines de l'alchimie, 1885, page 313 ). Je conçois le journalisme comme une sorte de journal à demi intime (FRANÇOIS MAURIAC, Journal 1, 1934, page 3 ). C.— [L'accent est mis sur le produit ou résultat de l'activité abstractive] Former ou créer dans son esprit une idée, un projet, une oeuvre. L'unité du génie devait se reproduire dans une oeuvre unique : la Divine Comédie fut conçue (FRÉDÉRIC OZANAM, Essai sur la philosophie de Dante, 1838, page 78 ). Le maréchal, qui n'avait qu'une poignée d'hommes, conçut un plan pour l'exécution duquel il lui aurait fallu trente mille soldats (FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 3, 1848, page 595 ). L'artiste qui conçoit une affiche destinée à être utilisée seulement pour des panneaux peints (Arts et littérature dans la société contemporaine (direction Pierre Abraham) 1935, page 3019) : Ø 5.... en imprimant à l'oeuvre le tempérament même de l'artiste qui l'a conçue et pétrie au feu de sa forge et à l'aide de son marteau. FERNAND FILLON, Le Serrurier, 1942, page 41. Ø 6. Dans cette vaste cour (50 mètres sur 40) le premier dispositif scénique que Jean Vilar conçut et réalisa avec l'aide de son jeune assistant Maurice Coussonneau bouleversait les dispositions habituelles. MARIE-THÉRÈSE SERRIÈRE, Le T.N.P. et nous, 1959, page 60. — Concevoir de + infinitif. Ce républicain haineux [du Bousquier] , enragé d'ambition, conçut de lutter avec le royalisme et l'aristocratie dans ce pays, au moment où ils y triomphaient (HONORÉ DE BALZAC, La Vieille fille, 1836, page 398 ). Remarque : 1. Dans ce sens, concevoir est très souvent placé en opposition paradigmatique avec exécuter, construire, réaliser dans les mêmes modalités que abstrait et concret ou sujet et objet. 2. On rencontre dans la documentation quelques illustrations de la similitude entre le sens propre et le sens figuré de concevoir au moyen de l'image. Un esprit des deux sexes, d'autant plus fécond qu'il est pur, qu'il conçoit et enfante toujours dans la sphère des idées (Jules Michelet, Journal, 1856, page 297). Il [Jordan] n'avait pu donner davantage [trois heures par jour] , il ne valait que par sa volonté, sa ténacité, sa passion de l'oeuvre qu'il portait, qu'il engendrait de toute sa bravoure intelligente, dussent les couches durer des années, quand il l'avait conçue (Émile Zola, Travail, tome 1, 1901, page 142). Son hésitation devant l'acte comme devant l'impression fait souvent avorter les grands projets que conçoit l'intellection (Emmanuel Mounier, Traité du caractère, 1946, page 298). Par ailleurs on dit couramment d'un projet conçu qu'il " a avorté ". D.— Par extension, langage littéraire. dans le domaine de l'affectivité. Concevoir un sentiment pour quelqu'un ou quelque chose Sentir naître ou laisser se développer un sentiment en soi. 1. [L'objet désigne un sentiment vrai ou de type passionnel ou un comportement] Concevoir de l'estime, du mépris, de l'orgueil, du respect (pour quelqu'un ou quelque chose). Ne concevez point une espérance que je vous refuse, et terminons cet entretien (NÉPOMUCÈNE LEMERCIER, Pinto, 1800, II, 2, page 69 ). Chazal tint le pari et le gagna. Desrais en conçut de l'estime pour lui. Ils aimaient tous deux à montrer leur force (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Vie en fleur, 1922, page 425) : Ø 7. «... Que rien ne ternisse cet épisode de notre vie. En continuant ainsi, je pourrais vous aimer, concevoir une de ces passions folles qui font briser les obstacles, qui vous allument dans le coeur des feux dont la violence est inquiétante relativement à leur durée... » [Lettre à Modeste] . HONORÉ DE BALZAC, Modeste Mignon, 1844, page 92. 2. [L'objet désigne un sentiment diffus] Concevoir des craintes, des soupçons; qu'il me soit permis de concevoir quelque appréhension sur la façon de faire telle ou telle chose. Les bouchers conçurent quelque inquiétude, et les gens sages prirent de l'espérance (PROSPER DE BARANTE, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, tome 3, 1821-24, page 352 ). Comme, après quinze mois de mariage, son désir ne s'était point encore réalisé, elle conçut des doutes et devint pressante (GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, L'Héritage, 1884, page 484 ). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 5 145. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 10 195, b) 5 611; XXe. siècle : a) 6 410, b) 6 316.