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toyb !

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

toyb ! - avaient une sonorité si ridicule que nous autres, frische yingelach, nous ne pouvions que rire en les entendant. Impertinents, nous l'étions peut-être, mais dans ces cas-là je n'ai jamais été réprimandé. Personne ne vous grondait pour avoir essayé d'échapper à Herman le Coiffeur, depuis que, dans son état de confusion, il avait donné à mon frère -  celui qui avait tiré les moustaches d'un autre vieillard -  tout un rouleau de Tums, un médicament contre les brûlures d'estomac, pensant que c'était des bonbons, et que mon frère avait vomi pendant deux jours. Il fallait être gentil avec les autres vieilles personnes ; mais Herman le Coiffeur, on vous permettait de l'éviter et, après quelques autres voyages en Floride quelques étés et hivers de plus, il n'était plus là quand nous venions, et nous n'avons plus jamais eu à nous faire du souci à cause de lui. 2Création   C'EST LE JOUR de ma bar-mitsva que la quête a commencé. Comme n'importe quel autre enfant juif que je connaissais, j'avais reçu une vague éducation religieuse. C'était en grande partie pour apaiser mon grand-père, toutefois, puisque l'éducation juive réformée qui m'était dispensée était tellement diluée, tellement dénaturée, en comparaison de la formation héder, rigoureusement orthodoxe, qu'il avait reçue, des décennies plus tôt, que mes trois frères et moi aurions pu être, selon lui, tout aussi bien éduqués par des prêtres catholiques. Cette éducation, qui avait pour but de nous préparer pour le jour de notre bar-mitsva, ce que nous faisions aussi essentiellement pour faire plaisir au père de notre mère, était divisée en deux phases. A l'âge de neuf ou dix ans environ, nous avions dû aller à l'école du dimanche, un cours hebdomadaire qui avait lieu dans la cave d'un motel local, devenu tristement célèbre par la suite puisque c'était là que la fameuse chanteuse pop italo-américaine, Connie Francis, avait été violée en 1974, après un tour de chant dans une salle de concerts du coin. Dans la cave de ce bâtiment peu attrayant, M. Weiss, un homme très grand et très aimé, nous apprenait l'histoire juive et les histoires de la Bible, le nom et la signification des fêtes. Un grand nombre de ces fêtes, je m'en étais alors rendu compte, étaient des commémorations du fait d'avoir, chaque fois, échappé de justesse aux oppressions de différents peuples païens, des peuples que je trouvais, même à ce moment-là, plus intéressants, plus engageants et plus forts, et plus sexy, je suppose, que mes antiques ancêtres hébreux. Quand j'étais enfant, à l'école du dimanche, j'étais secrètement déçu et vaguement gêné par le fait que les Juifs de l'Antiquité étaient toujours opprimés, perdaient toujours les batailles contre les autres nations, plus puissantes et plus grandes ; et lorsque la situation internationale était relativement ordinaire, ils étaient transformés en victimes et châtiés par leur dieu sombre et impossible à apaiser. Quand vous avez un certain âge ou que vous êtes un enfant d'un certain genre -  bizarre, peut-être ; peut-être le genre d'enfant que les autres enfants, plus grands, tourmentent -, vous n'avez pas envie de passer vos loisirs à lire des histoires de victimes, de perdants. Ce qui me paraissait bien plus attirant, quand j'étais enfant, puis adolescent, c'était les civilisations de ces autres peuples de l'Antiquité, qui avaient l'air de beaucoup s'amuser et qui, apparemment, étaient les oppresseurs des Hébreux. Quand nous avons lu l'histoire de Pâque et la fuite d'eretz Mitzrayim, la Terre d'Egypte, j'ai rêvé des Egyptiens, avec leurs poèmes d'amour séduisants et leurs vêtements de lin transparents, leurs dieux de la mort à tête de chacal et leurs cercueils en or massif; quand nous avons lu l'histoire de Pourim, du triomphe d'Esther sur le méchant vizir persan Haman, j'ai fermé les yeux et pensé aux splendides raffinements des Mèdes, aux bas-reliefs de Persépolis, avec leurs descriptions répétitives hypnotiques d'innombrables vassaux portant de belles robes et des barbes frisées et parfumées. Quand j'ai lu l'histoire du miracle qui est commémoré chaque année à la fête de Hannoukah, l'huile sainte du Temple miraculeusement préservée, dont le volume est augmenté au cours des huit jours qui suivent la profanation du lieu saint par un tyran grec de la période hellénistique, j'ai pensé à la sagesse et aux bénéfices potentiels de la politique d'hellénisation d'Antioche IV, à la façon dont ils auraient pu apporter la stabilité dans cette région constamment agitée. C'était ce que je pensais à l'époque. Mais aujourd'hui je peux voir que la véritable raison pour laquelle je préférais les Grecs, pardessus tous les autres, aux Hébreux, c'était que les Grecs racontaient les histoires comme les racontait mon grand-père. Lorsque mon grand-père racontait une histoire -- par exemple, celle qui se terminait par Mais elle est morte une semaine avant de se marier -- il ne recourait pas au procédé évident de commencer par le commencement et de finir par la fin ; il préférait la raconter en faisant de vastes boucles, de telle sorte que chaque incident, chaque personnage, mentionné pendant qu'il était assis là, sa voix de baryton déchirante oscillant sans cesse, avait droit à sa mini-histoire, à une histoire à l'intérieur de l'histoire, un récit à l'intérieur du récit, de telle sorte que l'histoire ne se déployait pas (comme il me l'a expliqué un jour) comme des dominos, une chose se produisant après une autre, mais plutôt comme des boîtes chinoises ou des poupées russes, chaque événement en contenant un autre, qui à son tour en contenait un autre, et ainsi de suite. D'où le fait, par exemple, que l'histoire qui expliquait pourquoi sa soeur superbe avait été obligée d'épouser son cousin laid et bossu commençait, nécessairement du point de vue de mon grand-père, par l'histoire de son père mourant brutalement, un matin, dans le spa de Jaremcze, puisque c'était après tout le début de la période difficile pour la famille de mon grand-père, des années terribles qui allaient en définitive forcer sa mère à prendre la décision tragique de marier sa fille au fils bossu de son frère, en paiement du prix du passage en Amérique pour commencer une nouvelle vie, mais tout aussi tragique au bout du compte. Bien entendu, pour raconter l'histoire de la façon dont son père était mort brutalement, un matin, à Jaremcze, mon grand-père devait s'interrompre pour raconter une autre histoire, l'histoire de lui et de sa famille, à la période faste, passant des vacances dans certains spas magnifiques à la fin de chaque été, par exemple à Jaremcze, sur les contreforts des Carpates, quand ils n'allaient pas au sud mais à l'ouest, dans les spas de Baden ou de Zakopane, un nom que j'adorais. Ensuite, pour donner une meilleure perception de ce qu'était la vie à l'époque, pendant cette période dorée d'avant 1912 et la mort de son père, il repartait plus loin dans le temps pour expliquer ce qu'avait été son père dans leur petite ville, quel respect il avait inspiré et quelle influence il avait exercée ; et cette histoire, à son tour, l'emmenait au tout début, à l'histoire de sa famille à Bolechow depuis que les premiers Juifs y étaient arrivés, depuis la période où Bolechow n'existait pas encore. L'une après l'autre, les boîtes chinoises s'ouvraient, et je restais assis à contempler chacune d'elles, hypnotisé. Il se trouve que c'est précisément la façon dont les Grecs racontent leurs histoires. Homère, par exemple, interrompt souvent la marche en avant de l'Iliade, son grand poème épique, pour remonter dans le temps et parfois dans l'espace, afin de rendre toute la richesse psychologique et la profondeur émotionnelle des débats, ou afin de suggérer, comme il le fait parfois, que le fait de ne pas connaître certaines histoires, le fait d'ignorer l'intrication des histoires qui, à notre insu, forment le présent, peut être une grave erreur. L'exemple le plus célèbre est peutêtre celui de l'épisode du début du poème qui oppose les deux guerriers, Glaucos et Diomède : alors que le Grec et le Troyen s'apprêtent à combattre, chacun d'eux se lance dans une longue histoire destinée à souligner ses prouesses militaires et le prestige de sa famille, et les généalogies qu'ils racontent sont si longues et si détaillées qu'on découvre bientôt qu'il existe des liens familiaux entre les deux, et en poussant des cris de joie, les deux hommes qui, quelques minutes auparavant, étaient prêts à s'entretuer, se serrent les mains et se jurent une amitié éternelle. De la même façon (pour se déplacer de la poésie à la prose), lorsque l'historien Hérodote, des siècles après Homère, a composé sa grande histoire de la victoire à la fois totale et improbable des Grecs sur le vaste Empire perse, au début du Ve siècle avant J.-C., lui aussi a eu recours à cette vieille technique fascinante. Il lui paraît donc naturel, pour raconter l'histoire du conflit de la Grèce et de la Perse, de faire le récit de l'histoire de la Perse, ce qui implique des digressions à la fois importantes et mineures, depuis l'histoire fameuse du souhait qu'un certain potentat oriental avait de voir un autre homme contempler sa femme nue (le péché d'arrogance, sommes-nous censés comprendre, qui a déclenché la chute d'une grande dynastie) jusqu'au chapitre entier consacré à l'histoire, aux coutumes, aux moeurs, à l'art et à l'architecture d'Egypte, puisque l'Egypte faisait partie, après tout, de l'Empire perse. Et ainsi de suite. Par conséquent, chaque culture, chaque auteur, raconte des histoires de manière différente, et chaque style narratif ouvre, pour les autres narrateurs d'histoires, des possibilités dont il n'aurait, sinon, pas même rêvé. D'un certain romancier français, par exemple, vous pourriez apprendre qu'il est en théorie possible de consacrer l'essentiel d'un roman substantiel à l'unique conversation qui eut lieu au cours d'un seul repas ; d'un certain écrivain américain (né en Pologne, toutefois), que le dialogue peut être conçu, de manière à la fois intéressante et dangereuse, de telle sorte qu'il soit impossible à distinguer du point de vue du narrateur ; chez un écrivain allemand que vous admirez, vous pourriez découvrir, à votre grande surprise, que, dans certaines circonstances, des dessins et des photos, que vous auriez jugés inappropriés à, ou en concurrence avec, des textes sérieux, peuvent apporter de la dignité à des histoires tristes. Et, naturellement, ces Grecs, Homère et Hérodote, ont démontré qu'une histoire n'a pas à être racontée dans l'ordre chronologique, il s'est passé ceci puis cela -  comme c'est le cas dans la Genèse, par exemple, dont on peut dire au bout d'un moment que c'est un récit qui peut paraître ennuyeux et plat. Et en effet, même si je n'en étais pas conscient à l'époque, je vois maintenant qu'une certaine technique de récit en boucles, dont j'ai cru pendant longtemps que mon grand-père était l'inventeur, était la véritable raison -  plus que la beauté et le plaisir païens, plus que la nudité païenne, plus que la puissance, l'autorité et la victoire païennes - pour laquelle les Grecs, plus que les Hébreux, avaient captivé mon imagination depuis la plus tendre enfance, depuis le commencement. C'est ce qui explique comment mon grand-père, qui était à mes yeux la judéité en soi, a fait naître en moi un goût indéfectible pour les païens. L'histoire que nous apprenions à l'école du dimanche, l'histoire des Juifs et des fêtes juives, était donc une histoire qui me mettait mal à l'aise vis-à-vis de moi-même, dans la mesure où j'étais un Juif qui admirait les Grecs. Cette ambivalence est peut-être à l'origine de mon incapacité déplorable à satisfaire aux exigences de la seconde phase de mon éducation juive, qui s'appelait l'école hébraïque et commençait à l'âge de douze ans. Les cours de l'école hébraïque avaient lieu le mercredi après-midi dans la synagogue aux bancs et aux poutres sombres où se rendait ma famille, et ils étaient entièrement consacrés à la préparation de la bar-mitsva. Menées par un petit homme rond, qui faisait précéder son nom du titre de « docteur », exactement comme l'auraient fait certains en Europe centrale (même si cet homme était originaire de Boston), ces séances de deux heures étaient essentiellement vouées à l'étude de l'hébreu. Mais, à l'âge de douze ans, j'étudiais déjà le grec ancien et j'étais assez

« splendides raffinements desMèdes, auxbas-reliefs dePersépolis, avecleurs descriptions répétitives hypnotiques d'innombrables vassauxportantdebelles robesetdes barbes friséeset parfumées.

Quandj'ailul'histoire dumiracle quiestcommémoré chaqueannéeàla fête de Hannoukah, l'huile sainteduTemple miraculeusement préservée,dontlevolume est augmenté aucours deshuit jours quisuivent laprofanation dulieu saint paruntyran grecdela période hellénistique, j'aipensé àla sagesse etaux bénéfices potentiels delapolitique d'hellénisation d'AntiocheIV,àla façon dontilsauraient puapporter lastabilité danscette région constamment agitée. C'était ceque jepensais àl'époque.

Maisaujourd'hui jepeux voirquelavéritable raisonpour laquelle jepréférais lesGrecs, pardessus touslesautres, auxHébreux, c'étaitquelesGrecs racontaient leshistoires commelesracontait mongrand-père.

Lorsquemongrand-père racontait unehistoire —par exemple, cellequiseterminait par Mais elleestmorte une semaine avantdesemarier — ilne recourait pasauprocédé évidentdecommencer parle commencement etde finir parlafin ;il préférait laraconter enfaisant devastes boucles, de telle sorte quechaque incident, chaquepersonnage, mentionnépendantqu'ilétait assis là,sa voix debaryton déchirante oscillantsanscesse, avaitdroitàsa mini-histoire, àune histoire à l'intérieur del'histoire, unrécit àl'intérieur durécit, detelle sorte quel'histoire nesedéployait pas (comme ilme l'aexpliqué unjour) comme desdominos, unechose seproduisant aprèsune autre, maisplutôt comme desboîtes chinoises oudes poupées russes,chaque événement en contenant unautre, quiàson tour encontenait unautre, etainsi desuite.

D'oùlefait, par exemple, quel'histoire quiexpliquait pourquoisasœur superbe avaitétéobligée d'épouser son cousin laidetbossu commençait, nécessairement dupoint devue demon grand-père, par l'histoire deson père mourant brutalement, unmatin, danslespa deJaremcze, puisquec'était après toutledébut delapériode difficilepourlafamille demon grand-père, desannées terribles quiallaient endéfinitive forcersamère àprendre ladécision tragique demarier safille au fils bossu deson frère, enpaiement duprix dupassage enAmérique pourcommencer une nouvelle vie,mais toutaussi tragique aubout ducompte.

Bienentendu, pourraconter l'histoire de lafaçon dontsonpère était mort brutalement, unmatin, àJaremcze, mongrand-père devait s'interrompre pourraconter uneautre histoire, l'histoire deluietde safamille, àla période faste, passant desvacances danscertains spasmagnifiques àla fin dechaque été,parexemple à Jaremcze, surlescontreforts desCarpates, quandilsn'allaient pasausud mais àl'ouest, dans les spas deBaden oudeZakopane, unnom quej'adorais.

Ensuite,pourdonner unemeilleure perception decequ'était lavie àl'époque, pendantcettepériode doréed'avant 1912etlamort de son père, ilrepartait plusloindans letemps pourexpliquer cequ'avait étéson père dans leur petite ville,quelrespect ilavait inspiré etquelle influence ilavait exercée ;et cette histoire, à son tour, l'emmenait autout début, àl'histoire desafamille àBolechow depuisqueles premiers Juifsyétaient arrivés, depuis la période oùBolechow n'existaitpasencore.

L’une après l'autre, lesboîtes chinoises s'ouvraient, etjerestais assisàcontempler chacune d'elles, hypnotisé. Il se trouve quec'est précisément lafaçon dontlesGrecs racontent leurshistoires.

Homère,par exemple, interrompt souventlamarche enavant de l’Iliade, son grand poème épique, pour remonter dansletemps etparfois dansl'espace, afinderendre toutelarichesse psychologique et laprofondeur émotionnelle desdébats, ouafin desuggérer, commeille fait parfois, quele fait denepas connaître certaineshistoires,lefait d'ignorer l'intrication deshistoires qui,à notre insu,forment leprésent, peutêtreunegrave erreur.

L'exemple leplus célèbre estpeut- être celui del'épisode dudébut dupoème quioppose lesdeux guerriers, GlaucosetDiomède : alors queleGrec etleTroyen s'apprêtent àcombattre, chacund'euxselance dansunelongue. »

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