sur le plan de la connaissance, celle dont Colomb avait
Publié le 06/01/2014
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«
VII
LE COUCHER DUSOLEILVoilà
desconsidérations bienlongues etbien inutiles, pouramener àcette matinée defévrier 1935oùj’arrivai à
Marseille prêtàembarquer àdestination deSantos.
Parlasuite, j’aiconnu d’autres départsettous seconfondent dans
mon souvenir oùquelques imagesseulement sontpréservées : d’abordcettegaieté particulière del’hiver dansleMidi de
la France ; sousunciel bleu trèsclair, plusimmatériel encorequedecoutume, unair mordant offraitleplaisir àpeine
supportable quedonne àl’assoiffé uneeaugazeuse etglacée tropvitebue.
Parcontraste, delourds relents tramaient
dans lescouloirs dupaquebot immobileetsurchauffé, mélangedesenteurs marines, d’émanations provenantdes
cuisines etde récente peinture àl’huile.
Enfin,jeme rappelle lasatisfaction etlaquiétude, jedirais presque leplacide
bonheur, queprocure aumilieu delanuit laperception assourdiedelatrépidation desmachines etdu froissement de
l’eau parlacoque ; comme sile mouvement faisaitaccéder àune sorte destabilité d’uneessence plusparfaite que
l’immobilité ; laquelle,parcontre, réveillant brusquement ledormeur àl’occasion d’uneescale nocturne, susciteun
sentiment d’insécurité etde malaise : impatience quelecours devenu natureldeschoses aitété soudain compromis.
Nos bateaux faisaient beaucoup d’escales.Envérité, lapremière semainedevoyage sepassait presque complètement
à terre tandis quesechargeait etse déchargeait lefret ; onnaviguait lanuit.
Chaque réveilnoustrouvait àquai dans un
autre port : Barcelone, Tarragone, Valence,Alicante, Malaga,Cadixparfois ; oubien encore Alger,Oran,Gibraltar, avant
la plus longue étapequimenait àCasablanca etenfin àDakar.
Alorsseulement commençait lagrande traversée, soit
directement jusqu’àRioetSantos, soit,plusrarement, ralentieverslafin par une reprise ducabotage lelong delacôte
brésilienne, avecdesescales àRecife, BahiaetVictoria.
L’airpeuàpeu tiédissait, lessierras espagnoles défilaient
doucement àl’horizon, etdes mirages enforme demondrains etde falaises prolongeaient lespectacle pendantdes
journées entières, aularge delacôte d’Afrique tropbasse etmarécageuse pourêtredirectement visible.C’étaitle
contraire d’unvoyage.
Plutôtquemoyen detransport, lebateau noussemblait demeure etfoyer, àla porte duquel le
plateau tournant dumonde eûtarrêté chaque jourundécor nouveau.
Pourtant, l’espritethnographique m’étaitencoresiétranger quejene songeais pasàprofiter deces occasions.
J’ai
appris depuis combien cesbrefs aperçus d’uneville,d’une région oud’une culture exercent utilement l’attention et
permettent mêmeparfois –en raison del’intense concentration renduenécessaire parlemoment sibref dont ondispose
– d’appréhender certainespropriétés del’objet quieussent pu,end’autres circonstances, resterlongtemps cachées.
D’autres spectacles m’attiraient davantageet,avec lanaïveté dudébutant, j’observais passionnément, surlepont désert,
ces cataclysmes surnaturelsdont,pendant quelques instantschaque jour,lelever etlecoucher dusoleil figuraient la
naissance, l’évolution etlafin, aux quatre coinsd’unhorizon plusvaste quejen’en avais jamais contemplé.
Sije trouvais
un langage pourfixercesapparences àla fois instables etrebelles àtout effort dedescription, s’ilm’était donnéde
communiquer àd’autres lesphases etles articulations d’unévénement pourtantuniqueetqui jamais nesereproduirait
dans lesmêmes termes, alors,mesemblait-il, j’auraisd’unseulcoup atteint auxarcanes demon métier : iln’y aurait pas
d’expérience bizarreouparticulière àquoi l’enquête ethnographique dûtm’exposer, etdont jene puisse unjour faire
saisir àtous lesens etlaportée.
Après tantd’années, parviendrais-je àme replacer danscetétat degrâce ? Saurais-je revivrecesinstants fiévreux où,
carnet enmain, jenotais seconde aprèsseconde l’expression quime permettrait peut-êtred’immobiliser cesformes
évanescentes ettoujours renouvelées ? Lejeu me fascine encoreetjeme prends souvent entrain dem’y risquer.
Écrit enbateau.
Pour
lessavants, l’aubeetlecrépuscule sontunseul phénomène etles Grecs pensaient demême, puisqu’ils les
désignaient d’unmotquel’on qualifiait autrement selonqu’ils’agissait dusoir oudu matin.
Cetteconfusion exprimebien
le prédominant soucidesspéculations théoriquesetune singulière négligence del’aspect concretdeschoses.
Qu’unpoint
quelconque delaterre sedéplace parunmouvement indivisibleentrelazone d’incidence desrayons solaires etcelle oùla
lumière luiéchappe ouluirevient, celasepeut.
Maisenréalité, rienn’est plusdifférent quelesoir etlematin.
Lelever du
jour estunprélude, soncoucher, uneouverture quiseproduirait àla fin aulieu ducommencement commedanslesvieux
opéras.
Levisage dusoleil annonce lesmoments quivont suivre, sombre etlivide siles premières heuresdelamatinée
doivent êtrepluvieuses ; rose,léger, mousseux quanduneclaire lumière vabriller.
Mais,delasuite dujour, l’aurore ne
préjuge pas.Elleengage l’actionmétéorologique etdit : ilva pleuvoir, ilva faire beau.
Pourlecoucher dusoleil, c’est
autre chose ; ils’agit d’une représentation complèteavecundébut, unmilieu etune fin.Etce spectacle offreunesorte
d’image enréduction descombats, destriomphes etdes défaites quisesont succédé pendant douzeheures defaçon
palpable, maisaussi plusralentie.
L’auben’estqueledébut dujour ; lecrépuscule enest une répétition.
Voilà pourquoi leshommes prêtentplusd’attention ausoleil couchant qu’ausoleillevant ; l’aubeneleur fournit
qu’une indication supplémentaire àcelles duthermomètre, dubaromètre et–pour lesmoins civilisés –des phases dela
lune, duvol des oiseaux oudes oscillations desmarées..
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