Devoir de Philosophie

simulacre de controverse, il fait brûler des charretées entières des précieux ouvrages en place de Grève.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

simulacre de controverse, il fait brûler des charretées entières des précieux ouvrages en place de Grève. La dernière année de son règne, pour suivre les consignes d'un concile que d'autres princes préfèrent ignorer, il oblige ses sujets juifs à porter la rouelle, une pièce de tissu, un signe distinctif et humiliant inventé pour les mettre à l'écart de la société des hommes. Je sais, il faut se garder, en histoire, de trop mélanger les époques : les télescopages brutaux n'ont pas grand sens. Tout de même, savoir que le grand Saint Louis est aussi celui qui, en France, promut l'ancêtre de l'étoile jaune, comment dire ? Sur les blancs revers de son manteau d'hermine, cela fait tache. Philippe le Bel (1285-1314) Après lui vient le pâle Philippe le Hardi (1270-1285) puis enfin le dernier grand nom de notre liste : Philippe « le Bel ». Avec lui la machine part dans l'autre sens, on n'est jamais dans l'hagiographie, plutôt dans la légende noire. Nul historien, nul manuel ne conteste qu'il fut à sa manière un homme d'État et qu'il porta le royaume à un point de puissance inouï. Seulement, il y a toujours dans le portrait quelque chose d'obscur, de hanté. Maurice Druon et son best-seller des années 1950, puis la fameuse adaptation télévisuelle qu'en fit Claude Barma dans les années 1970 sont passés par là. Pour tous les Français qui ont goûté l'un ou l'autre, Philippe est surtout le noir héros des Rois maudits. D'abord, c'est l'homme qui fit jeter au cachot les épouses de ses fils, les princesses de la tour de Nesles, parce qu'elles se livraient à l'adultère - les amants furent mis au supplice, châtrés, éviscérés puis pendus. On ne badine pas avec la vertu des princesses, elle est censée, ne l'oublions pas, garantir la pureté de la transmission royale. Il faut reconnaître que l'affaire vaut plus qu'un sinistre fait-divers. Ou plus exactement, il faut se souvenir que les faits-divers familiaux, quand ils engagent les familles royales, engagent le royaume tout entier. C'est à cause de ce coup de colère que les fils du roi, privés d'épouses, n'auront pas d'enfants, ou en auront trop tard pour poser à leur suite un fils sur le trône. Tous les fils de Philippe régneront les uns après les autres : Louis X dit le Hutin (13141316), dont le fils, Jean Ier le Posthume, mourra bébé ; Philippe V le Long (1316 1322) et Charles IV le Bel (13221328). Mais comme ils n'ont pas d'enfants - seules leurs soeurs en ont -, ils ferment cette lignée et ouvrent la voie à de graves problèmes de succession : ce sera le début de la guerre de Cent Ans. Ensuite, il y a l'affaire des Templiers. On peut tenter de la résumer simplement : cet ordre, créé au moment des croisades pour venir en aide aux pèlerins à Jérusalem, était pour partie replié dans le royaume de France. On le disait couvert d'or. Le roi en manquait : trouver de l'argent fut l'obsession de son règne, on l'accusera même de fabriquer de la fausse monnaie. En 1307, brutalement, il fait arrêter tous les dignitaires du Temple et les couvre d'accusations calomnieuses : ils sont hérétiques, sodomites, comploteurs ou tout à la fois. Un long procès se termine par diverses condamnations à mort, Jacques de Molay, le grand maître, est brûlé en 1314 et le roi a eu ce qu'il voulait : le trésor. Il est hors de question toutefois que l'on s'avance ici à parler plus avant de cette affaire : pour des raisons qui nous échappent totalement, elle n'en finit plus, depuis bientôt sept siècles, de nourrir les fantasmes les plus intenses et les plus divers. Risquer le moindre mot sur les Templiers, c'est s'exposer à devoir gérer pendant quinze ans les révélations des authentiques spécialistes qui savent tout sur le trésor, sur les secrets, sur les mystères de ce malheureux ordre. On en compte quinze par cantons. Il est prudent de ne pas chatouiller leur passion. Reste le dernier point d'importance : les rapports tonitruants qu'entretint Philippe le Bel avec le pape. Les bras de fer entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel n'avaient rien de nouveau en Europe. Depuis deux ou trois siècles, on en a dit un mot déjà, ils avaient concerné les vrais successeurs de Charlemagne, les princes du Saint Empire : on appelle ces épisodes de l'histoire « la querelle du sacerdoce et de l'empire », ou encore « la querelle des investitures », car elle portait au départ sur la question de la désignation des évêques. Le fait que désormais l'opposition se joue entre Rome et le roi de France prouve au moins une chose : décidément, celui-ci est devenu le monarque le plus puissant d'Europe. Il n'entend se laisser dicter la loi par personne, fût-ce par le vicaire du Christ. Les causes de la brouille sont complexes : il y a des histoires d'impôt que Philippe veut lever sur le clergé, ce que le pape Boniface VIII conteste : l'argent de l'Église est à Rome, pas aux princes. Il y a une histoire personnelle : Bernard Fraisset, l'évêque de Pamiers, s'est élevé en chaire contre les agissements du roi, le roi le traîne en justice, ce que le pape conteste toujours, c'est à lui seul qu'il revient de juger les évêques. Les effets sont spectaculaires. Boniface VIII multiplie les décrets vengeurs - ce que l'on appelle les « bulles pontificales » -, les lettres et les menaces. Il va, dit-on, jusqu'à affirmer qu'il déposera le roi de France « comme un petit garçon ». Philippe le Bel monte d'un cran. Il rassemble tous les grands du royaume pour avoir leur soutien, il réunit un concile pour condamner ce pape indigne accusé de crimes divers - hérétisie, sodomie, cela devient une habitude - et envoie son lieutenant, Guillaume de Nogaret, pour le saisir physiquement et le traîner devant les juges du roi. La rencontre entre l'émissaire et Boniface se passe en Italie, à Agnani. La légende veut que, dans la bousculade, le pape ait été giflé par un spadassin. On appelle l'épisode le « soufflet d'Agnani ». Le coup lui-même est aujourd'hui contesté par les historiens. Pas le reste. Boniface réussit à s'échapper mais est tellement traumatisé qu'il en meurt quelques mois plus tard. Le roi, après un pontife de transition, use de grands moyens : il fait nommer un pape entièrement à sa main et le pousse à s'installer en Avignon, pour être à deux pas de la frontière française, située sur le Rhône. Cette délocalisation supposée provisoire durera près d'un siècle. N'allons pas trop vite, et restons-en sur la querelle elle-même, elle nous parle encore de bien des façons. Songeons d'abord aux arguments constamment utilisés par le pontife pour défendre son pouvoir : « Il est de nécessité de salut, écrit-il dans une bulle, de croire que toute créature humaine est soumise au pontife romain. » Ailleurs il émet la théorie des deux glaives, qu'il distingue clairement, le glaive temporel et le glaive spirituel, mais c'est pour ajouter aussitôt que le premier doit être absolument soumis au second. Aujourd'hui - le plus souvent dans le but de mieux déprécier l'islam, cette religion qui, « par nature », serait incapable de séparer « le spirituel du temporel » -, on ne cesse de louer la capacité du christianisme à accepter la laïcité, c'est-à-dire à poser l'autonomie du temporel par rapport à ce qui relève de la foi. C'est indiscutable. Il n'est pas mauvais de se souvenir qu'il y a sept cents ans, les papes soutenaient expressément le contraire. Songeons enfin à ce que cette affaire nous indique de la façon dont les chefs d'État traitaient alors les princes de l'Église. Entendons-nous bien, la méthode employée à Agnani est détestable, la violence à proscrire par principe et l'image, même fausse, d'un soldat giflant un vieillard est odieuse. Toutefois, il faut avouer que l'on a parfois du mal à ne pas penser à cette affaire. Surtout lorsque nos pays sont saisis de cette étonnante fièvre moderne, la papolâtrie. Le pape en tant que personne, et en tant que chef religieux, est éminemment respectable. Que les catholiques voient en lui un saint homme est leur droit le plus strict. Que dire des dégoulinades de guimauve déférente dont on use dans les médias, ou au sommet de l'État, pour la moindre visite officielle d'un pontife, ou face au plus étriqué de ses discours ? Oui, que dire ? Rien précisément. Se taire pour respecter les croyances de chacun, et sourire in petto en songeant qu'à l'époque de Philippe le Bel, quand il s'agissait de défendre l'autorité du royaume, on était moins chochotte. 8 La bataille de Bouvines revisitée Pendant longtemps, l'enseignement de l'histoire a reposé sur deux piliers. Nous venons d'aborder le premier, les rois. Il en était un autre, non moins important en ces temps guerriers et patriotiques : les batailles. La mode en a passé, peu de sujets, aujourd'hui, paraissent plus ennuyeux que celui-là. C'est dommage, car en trouvant une façon de les raconter, l'histoire des batailles peut être riche d'enseignements. Celle dont nous entendons parler maintenant eut lieu le 27 juillet 1214 dans l'après-midi, le long d'une rivière située dans les environs de Lille, dans le Nord de la France, tout à côté d'un petit village appelé Bouvines. Nous y voilà. Ce nom n'évoque sans doute plus grand-chose à la majorité de nos lecteurs. Il brilla de ses derniers feux au début des années 1970, lorsque Georges Duby lui consacra un livre savoureux, qui connut un succès mérité, et dont je ne saurais trop conseiller la lecture : Le Dimanche de Bouvines1. On l'a beaucoup souligné alors : pour le médiéviste français, fils de la grande « école des annales » qui avait renouvelé totalement la science historique en mettant au centre des préoccupations la longue durée, l'étude des mentalités et des structures, il y avait du défi à relever ainsi le gant de l'histoire telle qu'on ne la faisait plus, l'histoire ancienne, l'« histoire événementielle », comme on disait. Le défi était d'autant plus grandiose que l'événement en question était ce qui se faisait de plus daté : une vieille victoire française. Repères - 1199 : mort de Richard Coeur de Lion, Jean sans Terre roi d'Angleterre - 1209 : Otton IV de Brunswick élu empereur du Saint Empire - 1213 : achèvement de l'enceinte de Paris, élément de la défense de Philippe Auguste contre les Plantagenêts - 1214 : bataille de Bouvines - 1215 : « Magna Carta » imposée par les barons au roi d'Angleterre, limitation du pouvoir royal et garantie de certaines libertés publiques Pour cet homme né en 1919 se réglait aussi, comme il s'en explique au début du livre, une dette d'enfant. Le maître tenait, des décennies plus tard, à approfondir jusqu'au détail ce chapitre qui avait fait rêver le petit garçon, du temps qu'il allait à l'école. Pendant fort longtemps, en effet, la date de 1214 fut aussi célèbre que celle de 1515 ou de 1789, et le seul nom de Bouvines était gonflé d'une importance capitale : c'était de cette victoire que l'on datait « la naissance du sentiment national », c'était de ce jour-là que l'on assurait que le peuple de France avait pour la première fois eu l'idée qu'il était français. Allons donc y voir de près à notre tour. Pour cela, il faut d'abord replacer les faits tels que, durant des générations, les petits Français les ont appris, et comme on les raconte bien souvent encore. Nous revoilà donc dans la chronologie au tournant des xiie et xiiie siècles, au coeur du grand face-à-face du moment, celui des Capétiens et des Plantagenêts. Depuis la mort de son frère Richard Coeur de Lion, Jean sans Terre est devenu roi d'Angleterre ; il est en conflit avec le roi de France, Philippe Auguste. Il en a assez de voir celui-ci se saisir de tous les prétextes pour lui confisquer ses possessions sur le continent. Contre son ennemi français, il réussit à monter une véritable coalition comprenant quelques méchants vassaux rebellés contre

« entièrement àsa main etlepousse às’installer enAvignon, pourêtreàdeux pasdelafrontière française, située sur leRhône.

Cettedélocalisation supposéeprovisoire dureraprèsd’un siècle. N’allons pastrop vite, etrestons-en surlaquerelle elle-même, ellenous parle encore debien desfaçons. Songeons d’abordauxarguments constamment utilisésparlepontife pourdéfendre sonpouvoir : « Ilest de nécessité desalut, écrit-il dansunebulle, decroire quetoute créature humaine estsoumise aupontife romain. » Ailleurs ilémet lathéorie desdeux glaives, qu’ildistingue clairement, leglaive temporel etleglaive spirituel, mais c’est pour ajouter aussitôt quelepremier doitêtre absolument soumisausecond.

Aujourd’hui –le plus souvent dans lebut demieux déprécier l’islam,cettereligion qui,« par nature », seraitincapable deséparer « lespirituel du temporel » –,on necesse delouer lacapacité duchristianisme àaccepter lalaïcité, c’est-à-dire àposer l’autonomie dutemporel parrapport àce qui relève delafoi.

C’est indiscutable.

Iln’est pasmauvais desesouvenir qu’il ya sept cents ans,lespapes soutenaient expressément lecontraire. Songeons enfinàce que cette affaire nousindique delafaçon dontleschefs d’État traitaient alorslesprinces de l’Église.

Entendons-nous bien,laméthode employée àAgnani estdétestable, laviolence àproscrire parprincipe et l’image, mêmefausse, d’unsoldat giflant unvieillard estodieuse.

Toutefois, ilfaut avouer quel’onaparfois dumal à ne pas penser àcette affaire.

Surtout lorsquenospays sontsaisis decette étonnante fièvremoderne, la papolâtrie.

Lepape entant quepersonne, eten tant quechef religieux, estéminemment respectable.Queles catholiques voientenluiun saint homme estleur droit leplus strict.

Quediredesdégoulinades deguimauve déférente dontonuse dans lesmédias, ouausommet del’État, pourlamoindre visiteofficielle d’unpontife, ou face auplus étriqué deses discours ? Oui,quedire ? Rienprécisément.

Setaire pour respecter lescroyances de chacun, etsourire in petto en songeant qu’àl’époque dePhilippe leBel, quand ils’agissait dedéfendre l’autorité duroyaume, onétait moins chochotte.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles