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Quelle qu'ait été la date exacte, tout le monde dans la salle à manger de Jack s'est accordé pour dire que la seconde Aktion avait été de loin l'événement le plus horrible et le plus dévastateur pour les Juifs de Bolechow.

Publié le 06/01/2014

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Quelle qu'ait été la date exacte, tout le monde dans la salle à manger de Jack s'est accordé pour dire que la seconde Aktion avait été de loin l'événement le plus horrible et le plus dévastateur pour les Juifs de Bolechow. Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Parce que entre la fin de l'été et le début de l'automne 1941, lorsque la première Aktion a eu lieu, peu de temps après l'invasion de la Pologne orientale par les nazis, et la fin de l'été 1942, lorsque la seconde Aktion a eu lieu, les objectifs et les méthodes des gouverneurs allemands des territoires occupés, appelés Generalgouvernement, avaient changé. Dans tous les territoires occupés de l'Est, à la fin de l'été et à l'automne 1941, les unités SS spéciales, connues sous le nom de Einsatzgruppen, qui avaient été envoyées pour tuer les Juifs des villes occupées, avaient procédé plus ou moins comme les troupes allemandes et leurs alliés ukrainiens s'y étaient pris jusqu'alors pour tuer les mille Juifs de Bolechow au cours de la première Aktion : ils les avaient emmenés dans des forêts, dans des ravins ou dans des cimetières, dans des endroits à l'écart où des fosses communes avaient été creusées obligeamment par les gens du coin, et les avaient abattus là. Entre-temps, cette méthode avait été jugée trop traumatisante pour les membres des Einsatzgruppen. Dans ce qui est considéré comme le livre de référence sur les camps d'extermination en Pologne orientale - les camps de la mort de l'opération dite Reinhard : Treblinka, Sobibor et Belzec -, l'auteur, Yitzhak Arad, explique que « l'exposition prolongée des membres des Einsatzgruppen au meurtre de femmes, d'enfants et de personnes âgées avait un effet psychologique sur certains d'entre eux qui pouvait conduire jusqu'à la dépression nerveuse ». Pour soutenir ce point de vue, qui est aujourd'hui bien connu, il cite le rapport d'un témoin oculaire d'une visite du Reichsfürhrer Heinrich Himmler il Minsk, à la fin de l'été 1941, où ce dernier a assisté à l'exécution d'une centaine de Juifs - soit un dixième, il est peut-être important de s'en souvenir, de ceux qui ont été tués au cours de la première Aktion à Bolechow :   Lorsque les coups de feu ont commencé, Himmler est devenu de plus en plus nerveux. A chaque rafale, il baissait les yeux vers le sol... L'autre témoin était l'Obergruppenführer von dem Bach-Zelewski... Von dem Bach s'est adressé à Himmler : « Reichsführer, il ne s'agit que de cent... Regardez bien dans les yeux les hommes de ce commando, voyez à quel point ils sont secoués. Ces hommes sont finis. »   Arad note, en citant ce passage, que le mot qu'il traduit par « finis est fertig, qui veut dire aussi, nous le savons, « prêt », comme lorsque mon grand-père, en regardant sa quatrième femme, celle qui avait été à Auschwitz, alors qu'ils faisaient leurs bagages pour un nouveau séjour estival à Bad Gastein, la station thermale autrichienne où elle voulait aller chaque année, insistait-elle mystérieusement, avait dit, Also, fertig ? Alors, prête ?   Comme les malheureux SS étaient fertig, finis, à cause des exigences épouvantables de leur tâche à la fin de l'été 1941, il avait fallu trouver une autre méthode pour résoudre la question juive. C'est ainsi qu'ont été conçues les chambres à gaz. Arad cite le témoignage donné par Rudolf Höss, le commandant d'Auschwitz, au procès de Nuremberg :   Au cours de l'été de 1941, je n'arrive pas à me souvenir de la date exacte, j'ai été soudain convoqué chez le Reichsführer SS Himmler, qui m'a reçu sans son officier adjoint. Himmler a dit : « Le Führer a ordonné que la question juive soit résolue une fois pour toutes et que nous, les SS, exécutions cet ordre. Les centres d'extermination existants dans l'Est ne sont pas en mesure de mener à bien les grandes Aktionen qui ont été prévues... » Peu de temps après, Eichmann est venu à Auschwitz pour me faire connaître les plans des opérations telles qu'elles allaient se dérouler dans les différents pays concernés. Nous avons discuté des manières et des moyens de procéder à l'extermination. Cela ne pourrait se faire que par gazage, dans la mesure où il aurait été impossible de disposer, pour l'exécution par balle, du grand nombre d'hommes qui auraient été nécessaires, et cela aurait constitué une tâche trop lourde à exécuter pour les hommes de la SS, particulièrement en raison du nombre de femmes et d'enfants présents parmi les victimes.   Par considération pour la santé nerveuse des SS, il fut décidé lors de la conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942, que les Juifs des Generalgouvernement, représentant (selon les estimations allemandes) quelque 2284000 personnes environ, seraient les premiers à être liquidés par gazage dans des camps de la mort spécialement conçus à cet effet : Treblinka, Belzec, Sobibor. Cette opération qui devait être par la suite baptisée « Reinhard », en l'honneur de Reinhard Heydrich, qui avait été nommé Protecteur de Bohême et de Moravie par Hitler et assassiné à Prague en mai 1942. Heydrich, nous le savons, avait une passion pour le violon. Tout cela est historiquement documenté. Je ne mentionne ces quelques détails documentaires qu'afin d'expliquer pourquoi la seconde Aktion à Bolechow, au cours de laquelle Shmiel, Ester et Bronia ont été arrêtés, selon les anciens de Bolechow à Sydney, a été si différente - tellement plus importante et violente - de la première.     La seconde Aktion à Bolechow a été très différente parce qu'elle faisait partie de l'Opération Reinhard. La seconde Aktion a été la plus importante, a dit Bob. Ça a représenté plus de deux mille personnes. Assise à côté de lui, sans le regarder, mais en prononçant ses mots lentement et distinctement, Meg a dit, Deux mille cinq cents. Ils les ont emmenés à Belzec, a dit Bob. Oui, a dit Meg. Ils ont été emmenés à Belzec, qui était un camp d'extermination, a dit Bob. Je le savais, bien évidemment. Ma Petite Ville de Belz. Pas très loin, non ? ai-je demandé pour les faire parler. Euh, je ne sais pas, a dit Bob, cent cinquante, cent soixante kilomètres. C'était juste après Lwów, vous voyez. Et ça, c'était en septembre 1942 ? Ils se souviennent de septembre, je me souviens d'août, a dit Bob avec un air rusé. Bob ! a coupé Jack. C'était dans le livre que l'historien allemand a écrit. Je peux seulement vous dire ce dont je me souviens, a répliqué timidement Bob. Je ne sais pas ce que l'historien a dit. Je me suis réjoui secrètement de la ténacité de Bob Grunschlag face à l'insistance de son frère aîné - et plus encore, face à l'opposition de Meg. Quelque chose dans cette attitude soulignait une qualité que je croyais avoir perçue chez Bob, quelque chose de combatif, quelque chose de brûlé par le soleil et de coriace, après tant d'années passées sur Bondi Beach. Le goût de la controverse des frères cadets, peut-être. Même si j'étais pratiquement sûr en fait qu'il avait tort dans cette instance, son refus de croire aveuglément les mots imprimés d'un historien était quelque chose que je partageais, sachant fort bien à quel point il est facile de faire des erreurs même en toute innocence - l'oeil qui saute une ligne pendant la transcription d'un mot d'un manuscrit un peu effacé -, sans parler des erreurs d'un genre plus compromettant que nous commettons si souvent, comme la mémorisation erronée d'informations récentes simplement parce que l'esprit a besoin d'intégrer certaines données aux histoires sur le monde qu'on nous a appris à nous raconter depuis toujours et que, pour cette raison même, nous chérissons. Bien entendu, il est important de distinguer différents types d'erreurs - de s'accorder sur les choses importantes, comme le dirait par la suite Bob. Cela dit, les petites erreurs, lorsque nous en prenons conscience, ont pour effet de nous déstabiliser, quand bien même elles sont expliquées et pardonnées ; inévitablement, elles nous obligent à nous demander quelles autres erreurs, même si nous envisageons clairement dans quelles circonstances elles ont pu être commises, aussi insignifiantes soient-elles, peuvent être en réalité tapies dans les histoires et, plus encore, dans les textes auxquels nous nous fions aveuglément pour établir les « faits ». Le livre d'Ytzhak Arad, par exemple, contient un appendice, l'Appendice A, qui fournit, comté par comté, les détails des déportations à Belzec des Juifs polonais au cours de l'Opération Reinhard, pendant la fin de l'été et l'automne 1942. Quand j'ai ajouté ce livre à ma bibliothèque de livres consacrés à l'Holocauste, bibliothèque qui devait tant, au début, aux recommandations de mon frère Andrew (Masters of Death est un livre à lire absolument, m'avait-il dit, et je me le suis donc procuré, puisque je suis son frère cadet, après tout), j'ai feuilleté ce volumineux appendice rigoureusement organisé, à la recherche du nom Bolechow. Là, j'ai lu que dans le comté de Stryj, dans la ville de Bolechow, deux mille Juifs avaient été déportés, ce que je savais évidemment, puisque cette information concorde avec les différents rapports des survivants et des témoins de la seconde Aktion. Mais l'appendice du livre d'Arad donne les dates des déportations de masse comme étant du 3 au 6 août 1942. C'est ce dont Bob se souvenait, naturellement, même si Meg avait déclaré avec emphase que la seconde Aktion s'était déroulée les 4, 5 et 6 septembre ; et, comme nous le verrons dans un moment, un autre survivant a témoigné, quatre ans seulement après l'Aktion, qu'elle s'était déroulée les 3, 4 et 5 septembre. Selon moi, la prépondérance des preuves suggère que la grande Aktion a eu lieu au cours de ces premières journées de septembre, et je suppose que le « mois d'août » d'Arad est simplement une erreur (assez facile à commettre, compte tenu du grand nombre d'entrées indexées pour le mois de septembre). Comme j'ai grandi en entendant des histoires, comme j'ai passé de nombreuses années à chercher dans des archives et que je sais (par exemple) qu'une entrée qui dit « Kornbuch » doit en réalité désigner une femme qui s'appelait Kornblüh, comme j'ai parlé à tant de survivants, comme je l'ai dit, je ne suis pas gêné par cette disparité entre les témoignages oraux et écrits, entre la date que quelqu'un peut vous donner au cours d'une interview et l'information indiquée dans l'appendice d'un livre qui fait autorité. Après tout, si vous alliez à l'instant sur le site Internet de Yad Vashem et que vous cherchiez sur la banque de données des Noms des Victimes de la Shoah à « Jäger » de Bolechow, vous apprendriez - ou

« convoqué chezleReichsführer SSHimmler, quim'a reçu sanssonofficier adjoint.

Himmler adit : « Le Führer aordonné quelaquestion juivesoitrésolue unefoispour toutes etque nous, les SS, exécutions cetordre.

Lescentres d'extermination existantsdansl'Estnesont pasenmesure de mener àbien lesgrandes Aktionen quiont étéprévues... » Peu detemps après,Eichmann estvenu àAuschwitz pourmefaire connaître lesplans des opérations tellesqu'elles allaientsedérouler danslesdifférents paysconcernés.

Nousavons discuté desmanières etdes moyens deprocéder àl'extermination.

Celanepourrait sefaire que par gazage, danslamesure oùilaurait étéimpossible dedisposer, pourl'exécution parballe, du grand nombre d'hommes quiauraient éténécessaires, etcela aurait constitué unetâche trop lourde àexécuter pourleshommes delaSS, particulièrement enraison dunombre defemmes et d'enfants présentsparmilesvictimes.   Par considération pourlasanté nerveuse desSS,ilfut décidé lorsdelaconférence deWannsee, le 20 janvier 1942,quelesJuifs des Generalgouvernement, représentant (selonlesestimations allemandes) quelque2284000 personnes environ,seraientlespremiers àêtre liquidés par gazage dansdescamps delamort spécialement conçusàcet effet :Treblinka, Belzec,Sobibor. Cette opération quidevait êtreparlasuite baptisée « Reinhard », enl'honneur deReinhard Heydrich, quiavait éténommé Protecteur deBohême etde Moravie parHitler etassassiné à Prague enmai 1942.

Heydrich, nouslesavons, avaitunepassion pourleviolon. Tout celaesthistoriquement documenté.Jene mentionne cesquelques détailsdocumentaires qu'afin d'expliquer pourquoilaseconde Aktion à Bolechow, aucours delaquelle Shmiel,Ester et Bronia ontétéarrêtés, selonlesanciens deBolechow àSydney, aété sidifférente – tellement plusimportante etviolente – delapremière.     La seconde Aktion à Bolechow aété très différente parcequ'elle faisaitpartiedel'Opération Reinhard. La seconde Aktion a été laplus importante, adit Bob.

Çaareprésenté plusdedeux mille personnes. Assise àcôté delui, sans leregarder, maisenprononçant sesmots lentement etdistinctement, Meg adit, Deux millecinqcents. Ils les ont emmenés àBelzec, adit Bob. Oui, adit Meg. Ils ont étéemmenés àBelzec, quiétait uncamp d'extermination, adit Bob. Je lesavais, bienévidemment.

Ma Petite VilledeBelz.

Pas très loin, non?ai-je demandé pour les faire parler. Euh, jene sais pas, adit Bob, centcinquante, centsoixante kilomètres.

C'étaitjusteaprès Lwów, vousvoyez.

Etça, c'était enseptembre 1942? Ils se souviennent deseptembre, jeme souviens d'août,adit Bob avec unair rusé.. »

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