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Prokopiv a dit quelque chose d'autre à Alex, mais au ton de sa voix, j'ai su que c'était une question.

Publié le 06/01/2014

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question
Prokopiv a dit quelque chose d'autre à Alex, mais au ton de sa voix, j'ai su que c'était une question. J'étais presque sûr d'avoir entendu le mot zhid : Juif. Alex a répondu Tak, Oui, et ajouté une phrase qui a fait que Prokopiv a basculé sa belle tête en arrière et éclaté de rire, un rire de reconnaissance. Alex a dit, Je lui ai parlé des camions, alors il s'est souvenu immédiatement. Tak, tak. Oui, oui. Il se souvient. Shmiel Jâger. Il habitait dans Russki Bolechow, Bolechow Ruthène. Il ne sait pas où se trouvait la rue. Il connaissait le nom, il ne les connaissait pas personnellement. J'ai dit, OK, c'est bien. Puis, je lui ai dit de demander à Prokopiv, qui était impatient de se rendre à l'église, je le savais, s'il connaissait d'autres noms : Szymanski, Grunschlag, Ellenbogen. Alex et lui ont parlé pendant une minute, et Alex a dit, Oui, il connaissait ces noms. C'était une petite ville. Tout le monde se connaissait. OK, c'est bien, ai-je dit, il se souvient des noms. Alex a fait sa tête Bon, allons-y, sa tête Nous n'allons rien obtenir de lui. Oui, a-t-il dit. Très bien. Nous avons remercié Prokopiv et il s'apprêtait à repartir. Alex et moi avons pris la direction de la voiture. Attendez, a dit Froma. Nous nous sommes retournés. Elle a dit, Vous ne voulez rien lui demander d'autre ? Je me suis dit, Et voilà, ça recommence : la pression, la réticence à laisser tomber, l'insistance pour retourner jeter un dernier coup d'oeil, poser une dernière question. J'ai ressenti l'exaspération monter en moi et pas seulement parce que je n'avais aucune envie de retourner. A Taniawa, il y avait eu une petite tension entre Froma et Alex. Lorsque nous avions finalement trouvé le site de la fosse commune, à la fois idyllique et caché, Froma avait dit que les Allemands n'auraient jamais trouvé un tel endroit sans l'aide des Ukrainiens du coin. Depuis que nous avions été à Vilnius, elle et moi, et avions visité la fosse commune de la forêt de Ponar, avec ses centaines de milliers de Juifs reposant d'un sommeil sans repos sous les aires de pique-nique, nous étions revenus obsessionnellement sur la question de la collaboration locale. Bien des fois, nous avions discuté de la mécanique des massacres, qui n'auraient pas été possibles sans l'aide des populations locales, des gens qui savaient où se trouvaient les Juifs, où ils habitaient, où se trouvaient les clairières au milieu des forêts. Beaucoup de gens qui pensent à l'Holocauste se disent, Les Allemands. Récemment encore, lors d'une bat-mitsva à laquelle j'ai assisté à New York (une cérémonie que mon grand-père aurait désapprouvée, mais le temps modifie même les traditions), quelqu'un, qui avait entendu parler de ma recherche concernant ce qui était arrivé à Shmiel et de mes nombreux voyages à l'étranger, s'est approché de moi et a dit, Ça ne vous met pas mal à l'aise quand vous êtes en compagnie d'Allemands ?, et j'ai demandé, D'Allemands en général ?, et puis j'ai ri avant d'ajouter, De toute façon, si j'étais ce genre de personne, j'aurais plus peur des Ukrainiens que des Allemands. Froma était particulièrement préoccupée par cette question et, à Taniawa, elle avait dit, Ils n'auraient jamais pu trouver cet endroit sans les Ukrainiens, et Alex, qui avait chaud et était fatigué, avait été un peu froissé et avait répliqué que ce que Froma venait de dire était impossible à savoir -- froissé non parce qu'il était ukrainien, puisqu'en tant qu'historien, il s'intéressait aux faits et était parfaitement au courant des histoires des atrocités ukrainiennes, tout comme il peut vous raconter en détail comment les Ukrainiens ont été affamés, les soldats soviétiques encerclant les petites villes et les villages, les uns après les autres, confisquant toute la nourriture et laissant les gens mourir de faim, ce qui finissait par arriver, après qu'ils avaient mangé des souris, des rats et enfin se sont mis à se manger les uns les autres. C'était parce qu'il s'intéressait aux faits qu'Alex avait été froissé et avait dit, Je suis désolé, mais comment pouvez-vous savoir ça, il n'y a aucune preuve dans ce cas précis, c'était juste une clairière, n'importe quel endroit aurait fait l'affaire, n'importe qui aurait pu trouver un endroit comme celui-ci ou un autre, d'accord ? C'était pour mettre fin à cette tension que j'avais pris la parole, alors que nous nous tenions dans la clairière verdoyante, et dit, Je crois que nous devrions simplement penser à cette jeune fille, une jeune fille de seize ans. A sa vie. Comme j'avais cette scène pénible en tête, comme je redoutais que Froma parle de nouveau de la collaboration ukrainienne, j'ai répondu fermement à sa question concernant notre interview de Prokopiv en disant, Non, ça va comme ça. Froma a insisté. Vous ne voulez pas lui demander s'il sait quelque chose à propos du moment de leur arrestation ? Euh ? ai-je dit, ne voulant pas revenir là-dessus. Nous savions désormais ce qui s'était passé. Et il était évident que Prokopiv n'avait pas connu ma famille. Je pensais qu'il était temps d'en finir, de prendre quelques photos et de partir. Ce que vous avez demandé aux autres, a poursuivi Froma. Ce qui s'est passé quand ils ont emmené les Juifs ? Alex suait à grosses gouttes. Il était corpulent et souffrait de la chaleur plus que nous. Pourtant, il a répété la question de Froma en ukrainien. Prokopiv a parlé un moment et dit que oui, il se souvenait que des Juifs, une fois, avaient été emmenés là où se trouvait la briqueterie autrefois et avaient creusé des fosses, et qu'ils avaient été abattus et enterrés là. Il y avait une sorte de monument commémoratif là-bas. Et d'autres avaient été tués dans le cimetière. Où se trouve ce monument ? a demandé Froma. Il pense que c'est dans la forêt, a dit Alex après un bref échange. Les Allemands les ont emmenés dans ce club qu'il y avait autrefois, ils les ont emmenés dans le cinéma et puis ils les ont emmenés dans cet endroit et ils les ont tués. Il était clair qu'ils parlaient de la première Aktion, de Taniawa. Nous perdions notre temps. OK, ai-je dit, disons-lui merci et partons. Mais Froma a demandé, Est-ce qu'il a entendu parler de ceux qui étaient cachés ? Ce qu'elle voulait savoir, c'était la chose suivante : alors que nous nous trouvions devant le Dom Katolicki dans la matinée, nous avions rencontré une vieille dame minuscule qui, après s'être arrêtée pour saluer Stepan, avait commencé à nous parler et fini par nous dire qu'elle avait caché, il y a bien longtemps, une petite fille juive nommée Rita. Puis, la vieille femme avait éclaté en sanglots et dit, Les Juifs n'avaient jamais fait de mal à personne et ils les ont tous tués quand même. Froma avait été très émue et il était évident qu'elle avait toujours l'histoire de Rita en tête. C'est pour cela qu'elle demandait à présent, Est-ce qu'il a entendu parler de ceux qui étaient cachés ? Alex, à quelques mètres de là, à côté de Prokopiv, a fait un geste pour faire comprendre qu'il n'avait pas entendu. J'ai répété la question d'une voix forte. Est-ce qu'il a entendu parler de ceux qui étaient cachés ? Alex a traduit la question. N'y tenant plus, je me suis éloigné de la voiture pour me rapprocher de Prokopiv. Prokopiv a fait un sourire qui voulait dire oui. Cachés, a-t-il dit. Oui, je sais. En tournant la tête en direction de la rue suivante, le vieil homme a recommencé à parler. J'ai entendu ce que j'ai cru être le mot Kopernika. Copernic ? Mon ukrainien n'était vraiment pas meilleur que mon polonais. Alex a écouté et traduit. Il a dit, Dans la rue Kopernika, il y avait deux femmes polonaises qui étaient institutrices. L'une d'elles cachait deux Juifs. Les Juifs ont été arrêtés et les institutrices ont été tuées.   Debout là, à l'instant où le vieux Prokopiv a dit deux femmes polonaises qui étaient professeurs, l'une d'elles cachait deux Juifs, j'ai compris pour la première fois de ma vie le sens de l'expression cloué au sol. Je ne pouvais plus bouger. Mes oreilles bourdonnaient. J'ai entendu l'écho de ma propre voix dans ma tête quand j'ai pu enfin parler. C'est seulement parce que mon magnétophone digital tournait encore que je sais ce que j'ai dit, Mais c'est la... c'est le... J'ai essayé de mettre de l'ordre dans mes pensées. J'ai dit, Demandez-lui si la Polonaise était professeur de dessin ? Parce que celle qui cachait mon oncle et sa fille, c'était un professeur de dessin, demandez-lui... Il m'est venu à l'esprit que je n'avais pas encore raconté cette partie de l'histoire à Alex. Nous avions appris tant de choses depuis la dernière fois que je l'avais vu, tant de choses que nous avions à échanger, et je les avais gardées pour le grand dîner que Natalie et lui allaient donner le lendemain soir, le samedi, après l'arrivée de Lane. Je ne lui avais pas raconté tout ce que j'avais appris, je ne lui avais pas encore parlé de Frydka, de Shmiel, de Ciszko et de Szedlak, parce que je ne pensais pas que ce serait important pour la visite, ce jour-là. Demandez-lui, ai-je dit, sachant à peine ce que j'étais en train de dire. Alex s'est mis à traduire pour Prokopiv, et je me suis éclairci la voix pour ajouter, Se souvient-il du nom du professeur ? Il pouvait y avoir eu deux professeurs de dessin, me suis-je dit, après tout, il devait y avoir plus d'une institutrice dans cette ville, peut-être qu'une autre cachait des Juifs. Peut-être que ce n'était pas la même. Peut-être que ce n'était pas eux. Il fallait que je sois sûr. Alex a posé la question. Prokopiv écoutait et il a hoché la tête deux fois, vigoureusement, et a fait un grand sourire. Il avait des petites dents bien carrées. Il a dit, Tak, tak. Il a dit, Szedlakowa. Il a dit quelque chose d'autre. Une phrase. Alex m'a regardé. Il m'a dit, Il dit qu'elle a été tuée dans le jardin de sa maison. J'étais là et j'ai dit au vieil homme, comme si la force de mon émotion pouvait transcender à ce moment-là la barrière du langage :
question

« s'intéressait auxfaits qu'Alex avaitétéfroissé etavait dit,Jesuis désolé, maiscomment pouvez- voussavoir ça,iln'y aaucune preuvedanscecas précis, c'étaitjusteuneclairière, n'importe quelendroit auraitfaitl'affaire, n'importe quiaurait putrouver unendroit comme celui-ci ouunautre, d'accord ?C'était pourmettre finàcette tension quej'avais prislaparole, alors quenous noustenions danslaclairière verdoyante, etdit, Je crois quenous devrions simplement penseràcette jeune fille,unejeune filledeseize ans.Asa vie.

Comme j'avaiscettescène pénible entête, comme jeredoutais queFroma parledenouveau de la collaboration ukrainienne,j'airépondu fermement àsa question concernant notreinterview de Prokopiv endisant, Non,çava comme ça. Froma ainsisté. Vous nevoulez pasluidemander s'ilsait quelque choseàpropos dumoment deleur arrestation ? Euh ?ai-je dit,nevoulant pasrevenir là-dessus.

Noussavions désormais cequi s'était passé.

Et il était évident queProkopiv n'avaitpasconnu mafamille.

Jepensais qu'ilétait temps d'enfinir, de prendre quelques photosetde partir. Ce que vous avezdemandé auxautres, apoursuivi Froma.Cequi s'est passé quand ilsont emmené lesJuifs ? Alex suait àgrosses gouttes.

Ilétait corpulent etsouffrait delachaleur plusquenous.

Pourtant, il a répété laquestion deFroma enukrainien.

Prokopivaparlé unmoment etdit que oui,ilse souvenait quedesJuifs, unefois, avaient étéemmenés làoù setrouvait labriqueterie autrefois et avaient creusédesfosses, etqu'ils avaient étéabattus etenterrés là.Ilyavait unesorte de monument commémoratif là-bas.Etd'autres avaientététués dans lecimetière. Où setrouve cemonument ?a demandé Froma. Il pense quec'est dans laforêt, adit Alex après unbref échange.

LesAllemands lesont emmenés dansceclub qu'il yavait autrefois, ilsles ont emmenés danslecinéma etpuis ilsles ont emmenés danscetendroit etils les ont tués. Il était clairqu'ils parlaient delapremière Aktion, de Taniawa.

Nousperdions notretemps. OK, ai-je dit,disons-lui mercietpartons. Mais Froma ademandé, Est-cequ'ilaentendu parlerdeceux quiétaient cachés ? Ce qu'elle voulait savoir,c'étaitlachose suivante :alors quenous noustrouvions devantleDom Katolicki danslamatinée, nousavions rencontré unevieille dameminuscule qui,après s'être arrêtée poursaluer Stepan, avaitcommencé ànous parler etfini par nous direqu'elle avait caché, ilya bien longtemps, unepetite fillejuive nommée Rita.Puis, lavieille femme avait éclaté ensanglots etdit, Les Juifs n'avaient jamaisfaitdemal àpersonne etils les ont tous tués quand même.

Froma avaitététrès émue etilétait évident qu'elleavaittoujours l'histoire de Rita entête.

C'est pourcelaqu'elle demandait àprésent, Est-cequ'ilaentendu parlerdeceux qui étaient cachés ? Alex, àquelques mètresdelà,àcôté deProkopiv, afait ungeste pourfairecomprendre qu'il n'avait pasentendu.

J'airépété laquestion d'unevoixforte.

Est-ce qu'ilaentendu parlerde ceux quiétaient cachés ?. »

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